Pouvoirs thérapeutiques de la prière : Se faire prier
Société

Pouvoirs thérapeutiques de la prière : Se faire prier

des milliards de personnes sur terre prient quotidiennement leur Dieu. Un nombre croissant d’études scientifiques s’intéresse aux effets sur la santé de la prière et de la religion. Quand la spiritualité est soumise aux rigueurs de la  science…

Alors que Don Thomson était en attente d’une chirurgie cardiaque, ses amis lui ont dit qu’ils allaient prier pour lui. Cet administrateur à la retraite n’avait pas particulièrement la fibre religieuse. Plus jeune, il a bien fréquenté l’école du dimanche et a même reçu sa confirmation de l’Église anglicane. Mais comme plusieurs, sa foi a dérivé rendu à l’âge adulte. "Don, lui a dit un ami peu avant son opération à l’automne 2003, tu n’es pas en position de dénigrer nos prières!"

Il a donc dû accepter. Aujourd’hui, en se remémorant cette conversation dans le confort de sa maison, au nord de Victoria (Ontario), il ne peut faire autrement qu’en rire. "Je ne peux imaginer qu’une personne sur le point d’entrer en salle d’opération pour une chirurgie cardiaque puisse mettre en doute le pouvoir de la prière", dit-il. Don Thomson ne saura jamais si Dieu a eu quelque chose à voir avec le succès de son opération. Si, en d’autres mots, ces prières ont été exaucées. Mais il est sûr d’une chose: elles l’ont aidé à se calmer avant une épreuve qui aurait bien pu le rendre invalide, ou même causer sa mort. "Lorsque je suis entré dans cette salle d’opération, ajoute-t-il, je n’avais pas peur du tout. J’avais de l’appréhension, évidemment, mais j’étais en paix. J’étais prêt pour l’opération. Et je pense que bon nombre de personnes n’arrivent jamais à un tel résultat."

LA PRIÈRE COMME TRAITEMENT

Pendant des siècles, la science et la religion ont toutes deux cherché la vérité; leurs quêtes ont cependant emprunté des voies divergentes, créant entre elles une profonde division. Désormais, leurs chemins se croisent…

Le psychiatre canadien Jacques Bradwejn s’intéresse depuis longtemps à l’influence de la prière sur la santé mentale. Mais il a attendu d’être reconnu en tant que chercheur distingué (une feuille de route impressionnante, des articles publiés, des travaux récompensés) avant de se lancer dans quelque chose d’aussi "non traditionnel". "Si j’avais commencé à en parler il y a 20 ans, sans avoir d’abord établi ma réputation de scientifique respecté, je ne pense pas que l’on m’aurait pris au sérieux", dit le Dr Bradwejn, chef psychiatre au Royal Ottawa Hospital et responsable du département de psychiatrie à l’Université d’Ottawa. Aujourd’hui, il mène une étude portant sur les effets de la méditation bouddhiste sur des patients souffrant d’anxiété.

Des recherches antérieures ont déjà prouvé que la prière et la méditation pouvaient améliorer le bien-être des gens, mais le Dr Bradwejn soutient aussi que les pratiques religieuses peuvent inspirer des sentiments de culpabilité ou pousser les gens à s’infliger des punitions qui pourraient leur être dangereuses. "Voilà pourquoi il faut effectuer nos recherches avec grande précaution, dit-il. Quelles pratiques pourraient être positives et lesquelles pourraient ne pas l’être? Ce n’est pas une bonne généralisation que de dire simplement que la prière est bénéfique."

Cela pourrait prendre des années avant que cette étude sur les effets de la méditation bouddhiste dirigée par sa collègue Diana Koszycki soit publiée. Mais il espère qu’elle offrira des indications afin de déterminer ce qui dans la prière peut aider, et peut-être d’identifier cet insaisissable "ingrédient positif actif".

Robert R. Barth, quant à lui, consacre ses journées à accumuler des études du genre. Elles sont empilées sur son bureau de l’Office of Prayer Research, près de Kansas (Missouri), un centre qui se décrit comme le "bureau central" des recherches scientifiques sur la religion.

Ce bureau a ouvert ses portes au cours de l’été 2004 suite à un décret du Parliement of the World’s Religions. Au moment de l’annonce, à Barcelone (Espagne), se trouvaient dans la salle des chercheurs médicaux des universités Duke et Harvard ainsi que le spiritualiste nouvel âge de renom, Deepak Chopra.

"Même si la prière a toujours existé dans chaque tradition spirituelle, ce n’est que très récemment que la science a commencé à prouver qu’elle "fonctionnait", ce qui, dans le champ de la médecine, signifie que ceux qui reçoivent des prières se rétablissent plus rapidement et connaissent moins de complications après une maladie sérieuse", soutient le Dr Chopra. "Mais la science peine à découvrir pourquoi les prières fonctionnent, et cela restera inconnu tant et aussi longtemps que nous ne réviserons pas nos théories fondamentales à propos de ce que nous appelons la réalité."

Quoi qu’il en soit, M. Barth a rassemblé jusqu’ici quelque 250 études. "Nous avons bien sûr quelques études qui prétendent que la prière n’a aucun impact, dit-il, mais plusieurs autres soutiennent qu’elle en a. Si, à long terme, la science prouve le pouvoir de la prière, cela changera la vie de bien des gens. Beaucoup de personnes savent que la prière fonctionne et qu’elle est basée sur la foi. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui ont besoin d’avoir la preuve scientifique de tout ceci."

Prouver le fonctionnement de la prière ne se fait toutefois pas sans une part de controverse. Une étude de la Columbia University a fait jaser partout dans le monde en 2001 en soutenant que la prière doublait les chances des femmes infertiles de tomber enceintes. Cette conclusion a été reçue comme une bénédiction.

Toutefois, la véracité de cette étude a été rudement mise à l’épreuve après qu’un des auteurs ait révélé qu’il s’agissait d’une fraude. Daniel Wirth, un avocat californien qui a touché à la recherche dans le domaine des médecines alternatives, a plaidé coupable en Pennsylvanie, au printemps 2004, dans une affaire de conspiration lors d’une fraude commerciale totalisant 2,1 millions $US.

Cette étude, publiée dans le Journal of Reproductive Medicine, est désormais sous examen. Un autre de ses auteurs, Rogerio A. Lobo, a récemment quitté son poste au département d’obstétrique et de gynécologie de la Columbia University, et l’institution a même dû admettre qu’elle n’a pas suivi ses propres politiques de validation de projets de recherche.

PRIEZ POUR MOI!

Mais les études sur les effets de la prière sont bien moins controversées que celles portant plus précisément sur la prière "à distance" à l’intention de personnes étrangères. Parce qu’elles ne sont pas faites pour mettre Dieu au défi, ceux qui prient pour d’autres ne s’attendent pas à recevoir de réponse.

L’étude de la Columbia University en 2001 a été l’un d’elles. Des groupes chrétiens au Canada, aux États-Unis et en Australie ont été invités à prier pour des patients infertiles de la Corée du Sud.

De plus, lors d’études dirigées par des cardiologues du Duke University Medical Center en Caroline du Nord, on a demandé à des individus de partout autour du monde de prier pour des patients aux prises avec des problèmes cardiaques dans divers hôpitaux.

Les résultats préliminaires de ces études ont d’abord tendu à démontrer que ceux qui recevaient ces prières se portaient mieux, mais l’étude complète de trois ans, portant sur 750 patients, et qui a été publiée l’automne dernier, n’a révélé aucune différence pertinente entre l’état de ceux qui ont bénéficié de prières et de ceux dont ce n’est pas le cas.

DES CRITIQUES

Andrew A. Skolnick n’est pas contre l’étude de la prière en tant que telle, mais il s’inquiète des recherches qui érodent l’intégrité de la science dans son ensemble. "Que la sphère scientifique soit utilisée pour tester Dieu ne m’inquiète pas, dit M. Skolnick, directeur exécutif de la Commission for Scientific Medicine and Mental Health d’Amherst (New York). Je m’interroge plutôt sur ce qui pourrait survenir lorsque des gens qui ne reconnaissent pas les règles de la science les utilisent néanmoins pour promouvoir leur agenda religieux aux dépens de la confiance du public envers la science. Voilà ce qui m’effraie."

"Les recherches sur la prière que j’ai vues, et j’en ai vues beaucoup au cours des 15 dernières années, sont truffées d’imprécisions, d’approximations et de choses que n’importe quel comité éditorial de n’importe quelle bonne publication rejetterait, dit-il. Ceux qui réalisent ces études magasinent jusqu’à ce qu’ils trouvent une publication qui voudra bien les publier."

Mais même les critiques comme M. Skolnick acquiescent: dans certains cas, la prière ou l’appartenance à une communauté religieuse peut améliorer son état de santé. "Nous pouvons comprendre que la compassion ou la prière au chevet d’un patient peuvent avoir des effets bénéfiques. Vous n’avez pas à invoquer le vaudou pour l’expliquer, dit M. Skolnick. Il n’a rien de surnaturel dans tout cela."

Adapté de l’anglais par Steve Proulx