Rap vaudou : MC Baron Samedi
En réponse au hip-hop mercantile et macho vantant les mérites du fric les bagnoles et la vie facile, la jeunesse africaine se tourne vers ses traditions mystiques pour concevoir un style nouveau: le rap vaudou. Plus branché tu meurs.
On sait déjà qu’en France, le rap de IAM ou de NTM est un moyen de révolte contre les flambées de violence dans les quartiers dits "sensibles". On sait aussi que le rap des Loco Locass sert la cause des souverainistes québécois. Mais sait-on que d’autres artistes ont recours au rap vaudou pour lutter contre une nouvelle forme de colonisation culturelle?
Pour entendre les revendications de ces jeunes-là, il faut aller jusqu’en Afrique de l’Ouest, car ni les médias américains, ni les médias européens ne se font l’écho de leurs préoccupations. Porte-parole d’une génération qui n’a pas grandi à Brooklyn, mais bien en plein cœur du Bénin, les membres de H2O Assouka sont décidés à prouver au monde entier que les États-Unis n’ont pas le monopole de la culture rap.
En 1990, ils se lancent donc dans une forme de militantisme pacifique en s’inspirant du vaudou, culte animiste imprégné de l’esprit de leurs ancêtres, pour composer leurs pièces. Dès lors, ils rejettent en bloc tous les signes ostensibles d’"occidentalisation" et troquent la panoplie jogging-baskets-chaînes en or qui brillent contre le costume blanc des prêtres vaudou, symbole de leur identité, qu’ils arborent fièrement sur scène. Outils de communication, mais aussi sources d’énergie incontestables, leurs sons et leurs danses maintiennent en vie des pratiques qui pourraient désormais n’appartenir qu’au passé. En utilisant des rythmes traditionnels, et surtout en scandant leurs textes comme des incantations, ils contribuent à sortir le rap du ghetto où on le cantonne en participant à l’émergence d’un nouveau courant musical. "Nous avons avant tout développé un style original, et c’est de cela que le monde a besoin de nos jours", résume Missihoun Fagbédji Marius, alias Fadji, l’un des membres fondateurs du groupe. "La lutte contre l’uniformisation et la mondialisation de la culture, voilà notre credo."
À travers des danses hypnotisantes, des démonstrations verbales toniques au son des percussions, les performances de ces rappeurs d’une nouvelle ère semblent chercher à atteindre quelque chose de mystique. Pourtant, il n’en est rien. Ils tiennent d’ailleurs à préciser que leur musique n’a rien de magique, même si l’un de leurs derniers albums, Biéwé, porte le nom d’une fleur rare et sacrée, censée pouvoir briser le pouvoir maléfique des envoûtements. Artistes engagés, ils ne font pas l’apologie du vaudou comme religion, car ils ont choisi une autre voie pour faire passer leur message, celle de la culture. Une culture avec laquelle ils ont grandi, qui les a nourris, comme l’explique Fadji. "On devient vaudou, chrétien ou musulman par choix, par conviction. Mais même si l’on n’est ni croyant ni pratiquant, les traditions transmises par nos parents contribuent à nous construire. Qu’on le veuille ou non. Nous avons donc choisi de nous servir de cet héritage pour revendiquer notre identité."
Et l’héritage en question se prête parfaitement à cette adaptation musicale inattendue. Les textes scandés par les rappeurs suivent en effet les rythmes des fameuses incantations du vaudou. Le plus naturellement du monde, cette nouvelle forme d’expression a donc trouvé sa place en Afrique et une vingtaine de groupes s’inspirent aujourd’hui de ce culte ancestral pour composer leurs pièces. John Constantinides, DJ et ethnomusicologue diplômé de l’Université de Montréal, compare cette tendance à l’émergence du reggae, qui constituait déjà, dans les années 60 et 70, un véhicule de revendication des racines africaines. "La présence de rythmes traditionnels dans les rythmes contemporains-urbains forme la base d’un style, comme un marqueur qui désigne des influences derrière une pièce de musique. Roulements de tambours, cris d’animaux, grondements de tonnerre et autres peuvent alors être utilisés pour symboliser une menace, une méfiance, une violence ou donner un sens spectaculaire à la performance. De nombreux artistes utilisent ces techniques, surtout dans le dub."
Si, oscillant entre tradition et modernité, le groupe H2O n’a rien inventé, il a au moins le mérite d’exploiter des vertus insoupçonnées de la musique… et de la religion. Le vaudou, cette fameuse symbiose entre le culte catholique et les traditions africaines, a longtemps fait horreur aux négriers et aux évangélistes. Aujourd’hui, il redevient ce qu’il a toujours été: une forme de résistance. Sur scène à Cotonou ou sur un plateau de la Télévision nationale, le message de revendication des rappeurs passe par une déferlante de rimes. On les regarde autant qu’on les écoute, on cherche avec eux des remèdes à ces maux qui brisent la société africaine. Et qui sait, peut-être qu’un jour leurs pouvoirs dépasseront ceux des prêtres vaudou.