Taser : Messieurs 100 000 volts
Société

Taser : Messieurs 100 000 volts

Depuis son apparition en 2001, le pistolet Taser a été lié au décès de 74 personnes en Amérique du Nord, selon un rapport d’Amnistie internationale. Présenté comme la meilleure alternative aux armes à feu par les services policiers, le Taser n’a pourtant jamais fait l’objet d’études indépendantes avant sa mise en circulation.

Arme à "transfert d’énergie électrique", le Taser propulse, sur une distance maximale de 6 mètres, deux fléchettes reliées à des fils électrifiés qui envoient des décharges de 50 000 volts. Dès le contact avec le corps, l’individu le plus robuste s’effondre. Instantanément. Le Taser fait maintenant partie de l’arsenal de milliers de corps policiers aux États-Unis. Il est aussi de plus en plus présent au pays, où son emploi suscite aujourd’hui la controverse. Présenté comme une arme non létale par le fabricant Taser International, le pistolet n’a été testé que sur… un cochon et quatre chiens avant sa commercialisation. Aucune étude médicale indépendante et approfondie n’a ainsi été menée concernant les risques pour la santé humaine, ce que déplore Gilles Sabourin, coordonnateur d’Amnistie internationale (AI) pour les transferts d’armes et d’équipements militaires. "Aux États-Unis, 65 personnes sont décédées après avoir été frappées par des décharges de Taser. Au Canada, il y a eu neuf morts au cours des quinze derniers mois. Ce qu’on demande, c’est de suspendre l’utilisation du Taser en attendant de s’assurer qu’il n’y a pas de problèmes pour la santé. Dans les cas où on ne peut pas s’en passer, on demande qu’il soit utilisé en dernier recours."

Le Taser est une arme qui ne laisse aucune trace et qu’on peut manier très facilement, ce qui fait craindre que des policiers fringants n’en fassent une utilisation abusive, de l’aveu de M. Sabourin. AI doute que le Taser ne soit utilisé que lorsque la situation l’exige. "Il faut des règles très strictes sur les conditions d’utilisation du Taser. On ne peut affirmer que le Taser est responsable de la mort dans tous les cas rapportés. Mais on se pose des questions à savoir si le pistolet n’a pas été utilisé de manière abusive."

Selon AI, des médecins émettent de sérieuses réserves quant à l’emploi de ce type d’arme en apparence inoffensive. Selon un extrait du rapport, "les médecins n’ont cessé d’exprimer leurs préoccupations à propos des risques potentiels de ces armes pour la santé, notamment pour les personnes souffrant d’une maladie cardiaque ou sous l’emprise de stupéfiants. L’inquiétude d’Amnesty International est renforcée par le nombre croissant de décès liés à l’utilisation des pistolets paralysants par la police. L’organisation estime que l’on ne peut exclure que ces armes aient pu jouer un rôle dans certains cas de décès signalés. Les préoccupations que suscite l’usage de ces armes augmentent proportionnellement à la fréquence d’utilisation de ces dernières".

Des coroners ont spécifié que cinq décès aux États-Unis étaient directement attribuables au Taser. Dans les autres cas, la prise de drogue et des faiblesses cardiaques étaient invoquées comme facteurs aggravants.

Le Taser est utilisé, selon les policiers, dans des situations de crise, face à des individus violents et agités. Son emploi permet une maîtrise rapide du suspect et évite le recours à une arme à feu. Le problème, c’est qu’il est souvent utilisé contre des personnes fragiles ou surexcitées, continue M. Sabourin. Au cours de la dernière année, neuf personnes sont mortes à la suite de son utilisation en Colombie-Britannique, en Ontario, en Alberta et au Yukon. Aucun incident n’a toutefois été rapporté au Québec. "Dans les pires cas, les gens avaient déjà été arrêtés quand on a utilisé le Taser; ils étaient maîtrisés. Une personne a même été frappée jusqu’à 10 fois en quelques minutes. On voudrait connaître les corps de police qui l’utilisent et, tout comme c’est le cas pour les armes à feu, savoir quand et dans quelles circonstances on le fait. Au départ, en 2001, la police de Montréal avait commencé à donner des statistiques sur l’utilisation du Taser. Et il était employé fréquemment, c’est-à-dire une centaine de fois au cours des premiers mois. Si on compare aux armes à feu, c’est beaucoup plus fréquent. Peut-être est-ce parce qu’il est très utilisé et qu’on ne veut pas que ça se sache qu’il n’existe plus de données…", s’interroge M. Sabourin.

VERSION POLICIÈRE

Le commandant René Allard, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), assure que l’emploi du Taser fait l’objet d’une surveillance des plus sévères à Montréal. L’équipe tactique SWAT est le seul corps à en faire usage, et ce, de façon exceptionnelle. "Le Taser est utilisé lors d’opérations à risque, c’est-à-dire dans des cas où l’on doit maîtriser quelqu’un à la suite d’une prise d’otages, un homme barricadé ou une personne violente. Il y a des critères concernant la façon de l’utiliser qui reposent notamment sur le potentiel de violence que représente l’individu. Le Taser est justifié face à des personnes intoxiquées par rapport au bâton, au poivre de Cayenne ou aux armes d’impact (fusil à balles de plastique) car ces moyens fonctionnent à la douleur. Or, les gens intoxiqués ne ressentent pas la douleur et il devient très difficile de les maîtriser sans que cela représente un risque pour eux ou les policiers. Le Taser attaque le système neuromusculaire et il n’est pas douloureux. C’est sûr qu’il peut engendrer des blessures, mais elles sont mineures."

De l’avis de M. Allard, les gens qui décèdent après avoir été frappés par un Taser sont souvent dans un état d’agressivité frôlant le délire ou alors ils sont drogués. Rien ne prouve que le pistolet soit en cause dans leur mort. "Selon les recherches que la GRC a faites avant qu’on utilise le Taser, aucun décès n’est directement lié à ce pistolet. Aucun coroner au Canada n’a dit que le Taser était la cause directe de la mort d’un individu. Ce qu’il faut comprendre, c’est que certains individus développent le delirium aigu et que ces gens décéderaient de toute façon. Je n’ai rien contre les propos d’Amnistie internationale, qui est à sa manière un chien de garde des droits, mais quand on fait face à un individu qui a un couteau et qui est très violent, qu’est-ce qu’on utilise? Le Taser ou l’arme à feu? Notre politique est de toujours utiliser la force minimale. L’avantage du Taser, c’est également de ne pas en arriver à une confrontation physique où il existe des risques de blessures des deux côtés et où personne ne sort gagnant."

Aucun policier patrouilleur ne porte de Taser à sa ceinture, assure M. Allard. L’unité SWAT (la seule à utiliser le Taser) a fait usage du pistolet une vingtaine de fois, avec un taux de succès de 65 %, poursuit M. Allard. La plupart du temps, le pistolet est employé dans les centres de détention afin de maîtriser les individus dans les cellules. Depuis peu, le SPVM dispose du nouveau modèle, le X26, qui dégage seulement 6 watts, comparativement à 26 pour le M26. Avant de faire usage du pistolet, de nombreux avertissements seraient servis à l’individu récalcitrant. "Les cas de décès sont liés au M26. De notre côté, on a décidé d’être très rigoureux, le Taser n’est pas un jouet. On veut que ça reste une arme d’exception. On ne veut pas que ça devienne l’outil facile", conclut M. Allard.