C’est l’histoire de Claire. Ç’aurait pu être celle de Sébastien, ou celle de Marilou. Aussi, j’y change les noms et modifie certains détails pour ne nuire à personne.
Mais commençons, si vous le permettez, par le commencement.
Claire est en première secondaire, elle fréquente une école publique passablement rock’n’roll où elle excelle dans tout. Enfin, dans tout sauf une matière: l’anglais.
Son prof ne lui parle qu’en anglais, donne tout le cours dans la langue de Shakespeare. C’est une méthode d’immersion généralement efficace, mais Claire ne pige rien et prend donc son prof en grippe. Sentiment réciproque ou non, selon ce que laisse deviner son bulletin, le professeur n’entretient guère de sympathie pour la jeune fille qui, remarquez, a plus ou moins baissé les bras dans ce cours.
Mais je vous le disais, c’est une histoire ordinaire. Une élève qui déteste son professeur. Rien de plus normal, de plus banal.
Puis un jour, comme plusieurs d’entre nous avons fait, Claire gribouille dans son cahier. Elle dessine le prof en train de se faire hacher menu, et elle se fait prendre.
C’est là que, comme disent justement les anglos, shit hits the fan.
Car non seulement s’est-elle fait pincer, mais son prof a complètement freaké. Au bureau du directeur, on a renvoyé Claire chez elle, on l’a suspendue et on a appelé les flics.
Si, si. Les flics.
Peut-être vous souvenez-vous d’un cas qui a fait la manchette, c’était dans une école de la région de Montréal, il y a trois ans. Un élève avait été suspendu et menacé de renvoi pour avoir imaginé, dans un texte de fiction, une tuerie à la Columbine dans sa classe. Malgré non pas une, mais deux évaluations psychologiques rassurantes, et aussi une enquête policière, il avait fallu imposer son retour, les profs refusant sa réintégration.
Peut-être vous souvenez-vous aussi, plus tôt la même année, de ce garçon de 16 ans à Cornwall qui, pour se venger – au moins dans l’imaginaire – de ses tortionnaires, avait écrit cette fiction morbide dans laquelle il les assassinait. Il s’était tapé 34 jours de prison! L’écrivaine Margaret Atwood s’était même portée à sa défense dans une lettre ouverte aux journaux du pays, vous vous rappelez?
Dans toutes ces histoires, les profs freakent, la direction perd les pédales et on ignore complètement le bon sens. Fuck. Une histoire fictive qui sert d’exutoire, un dessin pour passer ses frustrations, c’est pas la fin du monde, c’est pas des menaces, c’est l’adolescence. Un peu bête, mais surtout, mal dans sa peau.
Qu’on les envoie chez le psy pour se rassurer, bien d’accord. Qu’on les suspende, bon, il faut bien les punir, non? Mais la police? Mais la judiciarisation d’une violence imaginaire?
Dans tous ces exemples, la folie s’empare de tout le monde, et surtout – c’est le plus malheureux – des adultes censés faire la part des choses. Je ne vous dirai pas qu’ils ont complètement tort. Je ne vous dirai pas non plus que le prof de Claire aurait dû faire preuve d’un peu plus de détachement. Je ne vis pas dans le contexte actuel des écoles secondaires, des menaces qui pourrissent le quotidien.
Sauf que les professeurs paraissent d’une impuissance déconcertante dans ces récits, les élèves disposant d’une force d’intimidation de plus en plus inquiétante.
On en vient à croire que ce n’est pas du folklore, que Fabienne Larouche donne en deçà du réel et qu’il y a bel et bien une guerre qui se déroule dans certaines de nos écoles. Une guerre des nerfs.
Parmi les premières victimes, on compterait déjà la santé mentale de certains profs, et aussi celle d’ados ordinaires aux travers ordinaires, cependant magnifiés par un climat d’inquiétude extrême.
Les gagnants de cette guerre, on les devine déjà. Ce sont la peur et la méfiance. La méfiance instaurée en système, la peur qui vient teinter toute la vie scolaire.
Mais comment évoluer et apprendre dans la crainte? Comment grandir en ne faisant plus confiance?
Avoir l’humour un peu noir, je vous dirais qu’on étudie, au Ministère, l’adoption de ces compétences transversales pour la prochaine réforme du secondaire.