National Novel Writing Month : Combat poids plume
Société

National Novel Writing Month : Combat poids plume

Un jeune Californien et ses amis se mettent au défi: écrire un roman en 30 jours. Le "National Novel Writing Month" est né. 42 000 écrivains s’y sont adonnés cette année…

En 1999, Chris Baty a 26 ans. Il entraîne une vingtaine de ses amis dans l’aventure et ils consacrent ensemble 30 jours consécutifs à consommer du café et à produire des mots. Le résultat va au-delà de leurs attentes: "En dépit de nos motifs douteux et de notre pitoyable manque d’expérience, nos romans n’étaient pas mauvais….plus surprenant encore, le processus d’écriture s’est avéré plutôt amusant."

Le marathon littéraire est une révélation pour le jeune Californien. Il découvre que le fait de se fixer un terme l’aide à contrer l’inertie et à faire fi de l’autocensure. Par ailleurs, qui a dit que l’écriture était une activité solitaire? Au contraire, se dit-il, l’écrivain est plus productif lorsqu’il a conscience de ne pas être seul à mariner dans son jus créatif.

Chris lance alors le concept de "National Novel Writing Month" (NaNoWriMo, pour les intimes) et désigne le mois de novembre, particulièrement propice en raison du mauvais temps, comme mois officiel de l’écriture. Le site Nanowrimo.org est mis en place en 2000 et accueille 150 participants la première année. Tout le monde peut être "gagnant". Il suffit de s’inscrire en ligne, commencer à écrire le 1er novembre lorsque le coup d’envoi est donné et accoucher de 50 000 mots (soit un roman de 175 pages) en l’espace de 30 jours.

L’année d’après 5 000 écrivains tentent le coup. Ils sont 13 500 en 2002… le nombre décuple, les candidatures s’internationalisent. Novembre 2004 regroupe 42 000 NaNo écrivains aux doigts fiévreux et compte quelque 5 894 vainqueurs.

CHAPITRE 1: PASSEPORT POUR L’ÉCRITURE

"Je rêve d’être écrivain. J’aime écrire mais je n’ai jamais le temps. Je ne sais pas si j’ai le talent. Quand je serais… (au choix) grand, riche, expérimenté, plus inspiré, enfin disponible… j’écrirais mon roman." Ces remarques sont familières à tout adepte de l’écriture.

C’est précisément cette mentalité que défient les NaNo écrivains. En prenant part à l’initiative, ils s’engagent à surmonter le manque de confiance en soi et le trop-plein d’excuses.

Selon Jay Zeffren, 21 ans, étudiant en anglais, la force de "National Novel Writing Month" réside dans son concept même. "Il faut labourer, continuer d’avancer, même si l’on n’est pas complètement satisfait de ce qu’on a écrit."

Paula Garber, 36 ans, qui travaille à mi-temps sur des projets d’édition et qui cette année a pris part à NaNoWriMo pour la deuxième fois, a une méthode plus radicale encore: "Je ne relis jamais ce que j’écris. Autrement, je sais que je vais passer des heures à bricoler avec les phrases."

Paula qualifie NaNoWriMo de "permis pour l’écriture", ce qui semble étrange de prime abord. Mais la comparaison n’est peut-être pas gratuite. La détention d’un permis, s’il ne garantit rien quant à la qualité de l’excursion et à la destination finale, a le mérite non seulement de permettre mais aussi d’encourager l’expérience. Une expérience que recherchent beaucoup d’aspirants, pour des raisons différentes.

CHAPITRE 2: IRRATIONNEL ET PERSONNEL

Eli Balin est un réceptionniste de 31 ans. L’écriture semble être une soupape de sécurité, permettant de dégager la frustration qui naît de son travail. Le thème de son roman, cauchemardesque, en témoigne. Matériaux irrationnels traite, sans aucun ordre particulier, de maison close tenue par des bonnes sœurs, de pirates chanteurs, de singes volants et d’une épidémie qui fait suer du sang. Eli n’a pas réussi à boucler son roman qu’il avoue être un peu "alambiqué." Mais il sera au rendez-vous l’année prochaine avec cette fois-ci un récit qu’il espère "plus simple", autour de cow-boys qui écrivent sur des homards et de nazis spatiaux.

Nora Mulligan, 45 ans, avocate reconvertie depuis quelques années en mère au foyer, écrit avec autant d’aisance et de plaisir qu’elle parle. Lors d’un rendez-vous d’écriture dans un café à New York (organisé par les coordinatrices régionales tout au long du mois), elle tape frénétiquement sur le clavier, interrompue de temps à autre par un fou rire. Son personnage la surprend par son comique, explique-t-elle. Ce qui ne signifie pas pour autant que son roman est bon enfant. "J’ai du faire basculer un de mes anciens associés du 15e étage," dit-elle, hilare, "il m’énervait vraiment trop."

Paula mène un travail plus introspectif, basant son ouvrage sur des événements personnels de sa vie, et narre le tout à la troisième personne pour éviter les blocages psychologiques. 50 000 mots, oui, mais "loin d’en avoir fini", dit-elle avec un sourire. Pour elle, l’écriture semble être la promesse d’une évolution personnelle, peut-être d’une réconciliation avec le passé.

Jay, quant à lui, consacre son roman à une bande d’adolescents originaires de Seattle qui fuient leurs parents abusifs et entament un road trip vers l’est des Etats-Unis. Jay, qui écrit aussi articles et essais académiques, est pourtant d’avis que la fiction est un véhicule plus subtil, permettant de mieux communiquer les idées et les valeurs. "Les gens aiment écouter des histoires. Je peux écrire cinq pages sur le pourquoi de ne pas exploiter les enfants. Ce sera à prendre ou à laisser. Ou bien, je peux écrire 50 000 mots sur les conséquences possibles de tels actes. Et là," dit-il confiant, "ça aidera peut-être les gens à changer."

CHAPITRE 3: IL M’A ÉCHAPPÉ DES MAINS

Discuter avec les NaNo écrivains permet d’envoyer valser les idées préconçues autour de l’écriture de fiction. À commencer par le fait que chaque histoire nécessite une intrigue. En effet, plus d’un participant certifie que c’est l’acte même d’écrire qui fait naître les idées et nombreux sont-ils à surmonter le manque initial d’intrigues dans leurs romans en mettant en scène leurs personnages et en les faisant tout simplement vivre.

Tous certifient que leurs personnages n’en font qu’à leurs têtes, menant le jeu parfois sur plusieurs pages d’affilée. Jay, qui a pourtant une idée très claire du début et de la fin de son histoire, explique avec sérieux: "On ne pense pas à ce que le personnage devrait dire. Il le dit, c’est tout. Et parfois même, il dit des choses auxquelles on n’aurait jamais pensé soi-même."

Teresa Hussein, 29 ans, agent de publicité sur Internet, va même jusqu’à dire qu’elle enregistre et vit l’histoire de ses personnages. Une expérience qui peut être traumatisante: "Mes deux personnages principaux étaient inspirés de mon frère et de moi-même. Lors d’un dialogue entre eux, j’ai appris qu’ils avaient eu une liaison dans le passé. Ç’a m’a complètement affolée. Je n’ai rien pu écrire pendant deux jours!"

Le processus d’écriture est parfois laborieux pour des raisons plus pratiques. Pour avancer dans leur périple routier, les personnages de Jay devaient dérober une voiture stationnée. "Je n’ai jamais volé de voiture. Je ne savais vraiment pas comment décrire la scène." Rien de plus simple: Jay fait part de son souci à la communauté NaNoWriMo en postant un message sur le forum en ligne; un autre écrivain, expert en mécanique, vole à son secours en lui expliquant la procédure en détail.

"Il suffit de poser une question et on se retrouve avec un million de réponses", confirme Jay. Le forum regorge de suggestions et de conseils en réponse à des problèmes tels que: "Un nom amusant pour un fleuriste?" et "Au secours! ma mère veut lire mon roman, mais il est truffé de scènes érotiques!!!"

ÉPILOGUE: NANO UNE FOIS, NANO TOUJOURS

Le 30 novembre 2004, la soirée "Thanks God It’s Over" organisée à Manhattan a regroupé une vingtaine d’écrivains de tous âges. Vainqueurs ou non, l’expérimentation leur semble mémorable. Toutes les personnes interviewées certifient qu’elles reprendront part à NaNoWriMo l’année prochaine.

"Au moins, cette fois-ci je sais ce qui m’attend." dit Eli, qui s’apprête à acheter une machine à café pour l’occasion: "Il faut que je trouve un moyen de moins dormir."

Basé sur un effort personnel, mais soutenu et orchestré sur une plate-forme collective, NaNoWriMo n’est que bienveillance face aux confins angoissants de l’écriture: Il sera toujours temps de se corriger, alors autant commencer à écrire. Après tout, cent pour cent des écrivains ont démarré avec une page blanche sous les yeux.