Québec 2004 : L’année de tous les dangers
Douze mois de crise, 12 mois à s’examiner et à être auscultée par les médias montréalais, 12 mois à se demander ce qui a pu lui arriver: Québec avait bien hâte que 2004 se termine. Commentaires d’observateurs.
L’AFFAIRE CHOI-FM
Florian Sauvageau, professeur au Département d’information et de communication de l’Université Laval
"Il faut chercher à comprendre pourquoi les gens qui écoutent CHOI tiennent autant à cette station. C’est un phénomène important qu’on ne peut pas écarter du revers de la main, même si c’est vrai que ce que Fillion dit n’a pas de bon sens. Ça ne prend pas beaucoup de talent pour faire de la radio sur le dos des gens.
Fondamentalement, la position du CRTC en est une de non-respect de contrat. Les radiodiffuseurs obtiennent une licence, qui est un bien rare et qui fait d’eux des privilégiés. En contrepartie se trouvent des exigences et des obligations de se conformer aux règles de l’organisme. Or la stratégie de la station fut de dire qu’on la censurait, tout en dénaturant le poème d’Eluard Liberté, j’écris ton nom partout. Mais la liberté d’expression, ce n’est pas dire n’importe quoi. J’ai dit à plusieurs reprises que la sanction était sévère, même si légitime. Le CRTC aurait pu aussi, par exemple, renouveler la licence pour un an et interdire que la station diffuse des publicités durant le premier mois. Cela lui aurait causé des pertes de revenus.
En octobre, on a réuni au Centre d’étude sur les médias des avocats étrangers spécialisés dans ce type de questions. Un spécialiste belge nous disait que cette affaire n’aurait pas fait de vagues chez lui, car tous s’attendent à ce qu’un organisme de réglementation ne renouvelle pas une licence. Si la sanction est apparue aussi lourde ici, c’est que le CRTC intervient rarement.
Ce que CHOI va contester en cour, c’est la légitimité du CRTC, qui porterait atteinte à la liberté d’expression. Ce que cherchera à démontrer le gouvernement fédéral, c’est que partout dans le monde occidental des organismes semblables exercent un rôle du genre. Est-ce que notre loi sur la radiodiffusion est contraire à la liberté d’expression? Je pense que non. Il reste à voir ce qu’en penseront les tribunaux." (Frédéric Denoncourt)
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STEVE-O: JACKASS À QUÉBEC
Bernard Arcand, professeur au Département d’anthropologie de l’Université Laval
"Ce n’est pas d’hier que des gens se font souffrir et s’automutilent. L’être humain est parfaitement capable de se faire mal. On pourrait faire une longue liste de rites, d’initiations ou d’apprentissages où les gens, historiquement, se faisaient souffrir. Mais en général, cela se faisait dans un contexte de sens. On le faisait pour le seigneur parce que le corps était méprisable ou je ne sais quoi. Par exemple, au nord de l’Inde, des hommes se châtraient. Des Indiens des plaines se suspendaient par le poitrail. De nos jours, des musulmans se flagellent encore jusqu’au sang. Si on n’est pas de cette religion, ça nous semble fou et absurde. Mais si on est de cette religion, on est rempli de respect.
Là où c’est peut-être un peu différent, c’est lorsqu’il n’y a pas d’autre sens que l’excès. C’est très typique de notre société, cette mentalité du record Guinness. L’excès pour le plaisir de l’excès. L’excès parce qu’on est en compétition pour l’attention d’un public déjà diverti par 100 millions de spectacles, de divertissements et d’images. Jackass participe de cette attitude du plus, plus, plus. Le phénomène Jackass est surtout ridicule, car il n’a pas de sens. Mais il n’y a pas qu’eux. On se demande aujourd’hui pourquoi les Snowbirds s’écrasent. Ce qui est surprenant, c’est que, considérant les manœuvres qu’ils font, ils ne s’écrasent pas tous les jours!" (Frédéric Denoncourt)
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LES DÉFUSIONS
Réjean Lemoyne, chroniqueur urbain à la radio de Radio-Canada
"Il y avait des risques de défusion à Sillery, Sainte-Foy et Beauport. L’Allier ne pouvait pas se permettre de perdre Beauport et surtout pas Sainte-Foy, à cause de la présence de l’Université Laval. Le cas de Sillery fut une surprise, car c’est là qu’avait débuté le mouvement défusionniste, et tout le monde s’attendait à ce qu’elle soit la première à sortir. Il faut dire qu’avec la règle simple du 50 plus 1, quatre ou cinq municipalités auraient peut-être défusionné. À Vanier, les gens ont voté à 60 % en faveur de la défusion, mais le OUI n’a pas atteint les 35 % d’électeurs inscrits.
Ce sont ainsi les villes plus éloignées de L’Ancienne-Lorette et Saint-Augustin qui ont quitté. Dans le cas de Saint-Augustin, le fait que cette ville soit plus loin du centre peut expliquer en partie le résultat. Des gens dans ce secteur ont peut-être fait leur choix en croyant qu’il y aurait une majorité de villes défusionnées. Aujourd’hui, ils s’interrogent, car ils craignent des augmentations de taxes de 15 ou 20 % parce qu’ils auront à assumer seuls des responsabilités et devront acheter à la ville-centre des services.
À L’Ancienne-Lorette, le maire Loranger a fait campagne très fort en faveur des défusions. Mais là aussi, un parti qui veut revenir dans la vieille ville se met en place. Ainsi, 2005 sera une année de transition, car ce n’est qu’en 2006 que les défusions devraient être en vigueur.
Le problème de fond des inégalités fiscales n’est pas réglé et cela représentera un handicap majeur pour le prochain maire. Car même si on a une gestion unifiée de la ville, on n’est pas capables d’avoir des politiques pour l’ensemble parce que chaque arrondissement tire de son bord en fonction du fait qu’il a un taux de taxes différent." (Frédéric Denoncourt)
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JEAN-PAUL L’ALLIER
Procès sur-médiatisés pour un scandale scabreux, mise en échec d’ambitieux projets et victoire populaire pour la trash radio: rarement Québec a-t-elle connu une année aussi éprouvante que celle qui se termine, rarement la capitale s’est-elle sentie aussi divisée. Le maire Jean-Paul L’Allier commente.
Les fêtes du 400e anniversaire de Québec, l’échec du projet de place de France et de l’escalier reliant la basse et la haute-ville…
"La réalisation d’une "place de France" dans Saint-Roch, au cœur des premiers sites occupés par les institutions françaises au début de la colonie, aurait permis de réhabiliter le dernier espace urbain "mal aimé" de Saint-Roch tout en donnant à la France l’occasion de nous dire sa fierté de ce que nous sommes devenus après quatre siècles. Le ministère des Transports du Québec en a décidé autrement, tout à fait à l’aise, quant à lui, avec les bretelles inutiles d’une autoroute inachevée.
Il faut maintenant considérer autre chose, mais il importe que la France demeure au cœur des célébrations du 400e anniversaire de l’implantation du fait français en Amérique. Nous y travaillons." (Claude Giguère)
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CHOI-FM et le climat malsain qui s’est installé en ville…
"Plusieurs facteurs ont convergé pour attirer l’attention sur Québec, dans ce que la ville a de moins intéressant: enquêtes tapageuses dans le dossier de la prostitution juvénile, refus du CRTC, après un premier avertissement, de renouveler la licence de CHOI-FM, débat autour du grand thème de la liberté, que l’on confond toujours avec la liberté qui doit s’exercer à l’intérieur des règles établies, en régime démocratique, alors que certains croient qu’elle est plutôt le droit de tout faire en toute circonstance et indépendamment des lois et règlements… Tout ça dans un contexte où les citoyens sont souvent de mauvaise humeur quant à l’action de leur gouvernement…
Mais les choses se placent, la vérité trouve son chemin, la raison équilibre l’émotion… On lit dans le journal que 60 % des fonds recueillis par la Fondation Scorpion ont servi à payer des honoraires au cabinet de Me Guy Bertrand et on attend la décision de la Cour fédérale à la suite de celle prise par le CRTC: c’est la vie en société, c’est le prix à payer pour protéger la liberté de parler en même temps que le droit des citoyens et citoyennes à leur vie et à leur réputation. Il faut éviter les mesures extrêmes qui mettent en danger le respect de nos valeurs fondamentales et, d’une certaine façon, la démocratie. Tentante pour certains, la justice directe par le peuple sur la place publique et le lynchage sans procès peuvent exciter l’opinion publique, mais nous éloignent de la vie démocratique." (Claude Giguère)
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Votre départ du monde politique et votre succession…
"J’ai tenté de donner le meilleur de moi-même pendant 16 ans à la mairie de Québec. Mon but n’a pas été de plaire ou de déplaire, mais de faire progresser la ville dans ce qu’elle a de meilleur. Il est temps de passer la main. Ceux et celles qui suivront voudront sans doute faire autre chose autrement. La ville sera cependant toujours là, ville nouvelle à construire, à respecter et à aimer, ville qui doit faire la fierté des personnes qui l’habitent et de celles qui la partagent.
Pour bien compléter mon travail, je dois éviter de désigner ou de donner l’impression de désigner ceux ou celles qui pourraient me remplacer. C’est à la population qu’il appartient de choisir le genre de ville qu’elle veut pour l’avenir et les personnes qu’elle juge les plus aptes à y travailler et à la diriger." (Claude Giguère)