Pour tout vous dire, j’ai rarement eu aussi honte de ma ville que cette année.
Je sais, vous trouvez que j’en ai mis pas mal, que je suis souvent revenu là-dessus, que j’ai été dur avec nous. Vous me l’avez souvent dit. Puis, vous l’avez répété à mon boss, à mes amis, je le sais aussi. Mais avouez donc que ce fut une année de merde. Douze mois atroces pour Québec.
Et surtout, un an de règne de la peur. Bien plus que la honte, c’est cette damnée peur qui a marqué l’année dans la capitale. Surtout pour ceux qui n’adhèrent pas aveuglément à la pensée unique qu’on distribue sous forme d’autocollants et qu’on vend en forfait t-shirt-casquette-lobotomie. Pour ceux qui auront adopté la position intenable du doute devant le nouveau dogme radiophonique.
Ce qui nous amène à cette autre impression que nous laisse la dernière année: le dégoût.
Le dégoût devant nos procès médiatisés jusqu’à l’écœurement, où l’on ne savait plus trop ce qui était le plus répugnant des gestes commis par les accusés ou du plaisir malsain des médias à se vautrer dans la fange. Je vois encore l’infâme bine mexicaine de TQS, sautillant avec un micro, posant des questions d’une navrante bêtise, et Dieu que je n’envie pas ceux qui font ce métier s’apparentant à celui de préposé au ramassage des crottes de chiens.
Un an de conneries, quand on y repense. De Robert qui fait du pain de viande jusqu’à Ti-Guy le clown qui empoche la cagnotte des crédules contributeurs de la fondation "que l’on continusse". Un an de conneries, celles-ci moins odieuses, comme le cristie de gros bateau, l’interminable saga de l’Aquarium et du Zoo, le débile prolongement de l’autoroute du Vallon, le débat avorté du port méthanier, mais surtout, la campagne de défusion et les vaines guéguerres entre Langlois et L’Allier, tristes à faire pleurer les pierres.
Un an ou presque à savoir Mohamed Cherfi derrière les barreaux grâce à la complicité – et à la duplicité – de la police de Québec.
Un an à ne rien faire pour son prochain et décider 15 jours avant Noël qu’il est temps de lui donner un peu d’amour et un peu de Quik.
Un an à non seulement endurer la corruption des libéraux fédéraux, mais à les reporter au pouvoir.
Un an à subir l’hypocrisie d’un gouvernement provincial qui, tout en parlant de développement durable, cautionne la pollution par le bruit des motoneiges et tente de prolonger indûment la durée de vie d’une centrale nucléaire après avoir essuyé l’échec du Suroît.
Un an à se demander si les gais devraient pouvoir se marier ou non, quand au fond, on s’en fiche au point de dire: est-ce qu’on pourrait accepter, en finir, et passer à autre chose, s’il vous plaît?
Un an pour en arriver au plus pathétique de ce débat, redécouvrant cette semaine, lorsqu’un confrère s’attaque à l’Église pour sa position rétrograde, un Québec qui déborde de grenouilles de bénitier et de suceuses de balustres, complètement décalées du réel, qui conservent une vision d’un monde qui n’existe déjà plus, qui n’est qu’un souvenir.
Un an à se sentir dépassé, vidé devant la bêtise humaine qui donne, comme disait l’autre, une bonne idée de ce qu’est l’infini.
Bon, je sais, vu comme ça, ça peut avoir l’air long comme année. Un cauchemar? N’exagérons rien, car en fait, ce fut une année rêvée pour écrire. Un grand cru, du bonbon, les enfants. Une année merdique à vivre dans l’oppressante ambiance qui gagnait la ville, mais 12 mois d’immersion dans le plus fertile des terreaux pour le chroniqueur.
Une grande année pour le journalisme malgré les dérapages médiatiques, une année de débats et d’échanges épistolaires avec le lectorat, très rarement tièdes.
Aussi, dans certains moments d’une rare solitude, lorsque j’avais l’impression de faire du rodéo sur des vaches sacrées, j’ai pu m’appuyer sur certains d’entre vous, sans même que vous le sachiez.
Dans la tourmente de cette année maudite, j’ai trouvé un immense bonheur à mettre toutes vos idées en vrac dans ma tête. Je me suis amusé à vous trouver bêtes, j’ai angoissé à vous trouver suffisamment brillants pour me faire douter.
– Comment, Desjardins, il t’arrive de douter? dites-vous.
– Ben kin. Il n’y a que les idiots qui n’ont pas de doutes.
– T’es sûr?
– Certain. Allez, bonne année.