Forfaits chirurgie : Sous le scalpel exactement
Société

Forfaits chirurgie : Sous le scalpel exactement

Cette année, oubliez Hawaï et les Laurentides… Pour les vacances, choisissez plutôt le Maroc ou la Tunisie. Au programme: hébergement en hôtel cinq étoiles, cures de thalassothérapie, visite des curiosités locales et… implants mammaires ou greffes de cheveux. Le tout à des prix défiant toute concurrence.

Équipement à la pointe de la technologie, luxe à tous les étages, télévision par satellite dans les chambres… Certaines cliniques du bassin méditerranéen offrent une hospitalisation grande classe à moindres frais, à l’abri des regards indiscrets des amis et des voisins médisants. Des salaires locaux peu élevés associés à des aides de l’État (notamment des réductions de taxes à l’importation du matériel) permettent que ces établissements proposent des tarifs pour le moins compétitifs. Résultat: les clients européens et américains sont de plus en plus nombreux à se laisser séduire par ces offres alléchantes et à se tourner vers des agences de voyages spécialisées dans le tourisme médical. De nombreux sites Internet proposent de joindre l’utile à l’agréable avec des forfaits comprenant le transport aérien, l’accueil à l’aéroport, les transferts, l’hébergement, des soins du corps, des excursions dans le désert ainsi que des chirurgies à la carte. Pour 3600 $, on vous suggère par exemple un lifting des seins entre deux séances de sauna avec en prime cinq nuits dans un hôtel quatre étoiles. À moins que vous ne préfériez opter pour des injections de Botox, une liposuccion de l’abdomen ou l’extraction d’une dent de sagesse… Dans certains cas, il est même possible de cumuler plusieurs opérations pour bénéficier de réductions, le tout sans aucun délai d’attente. Soleil, palmiers et bistouri, voilà donc les trois mots clés pour un séjour réussi.

Associée aux notions de plaisir et de loisir, la chirurgie est aujourd’hui commercialisée au même titre qu’un produit de consommation quelconque. Source de profits considérables, elle représente un véritable business, se pliant aux lois de l’offre et de la demande. Pour payer moins cher leur hospitalisation, les patients sont prêts à tous les sacrifices, comme se laisser opérer par un chirurgien sans l’avoir jamais rencontré au préalable. Les pré-consultations à distance, par courriel ou, dans le meilleur des cas, par l’intermédiaire d’une caméra numérique ne font plus peur à personne. Houssem Ben Azouz, directeur de l’agence Cosmetica Travel, assure que cette nouvelle médecine discount ne présente aucun danger. "Du fait de l’éloignement, les interventions ne sont réalisées que sur des individus bien portants. La santé physique et mentale des clients est d’abord évaluée au moyen de questionnaires détaillés et d’entretiens téléphoniques approfondis. On leur conseille aussi de consulter des spécialistes dans leur pays d’origine avant d’entrer dans l’une de nos cliniques. Ces précautions permettent d’éviter les complications. Et si complications il y a, nous arrivons toujours à trouver des arrangements à l’amiable."

L’ALÉA THÉRAPEUTIQUE

Seulement voilà, que faire si, de retour à la maison, les prothèses se dégonflent? Certaines cliniques promettent qu’en cas de litige, le patient peut choisir un plasticien "neutre" qui servira d’arbitre. Mais un dommage peut aussi subvenir sans qu’aucune faute médicale ne soit établie. Alors quand de sérieux problèmes surviennent, les médecins peuvent se réfugier derrière l’argument de l’aléa thérapeutique ou invoquer d’autres effets, considérés comme impondérables. Bien sûr, les recours existent toujours, mais l’éloignement ne facilite pas les choses et entamer une procédure dans ces conditions relève du parcours du combattant. Devant l’ampleur de la tâche, la majorité des patients renoncent à se lancer dans la bataille juridique. Déçus et amers, certains patients diffusent des mises en garde sur le Web. Des témoignages comme celui de cette jeune Française, récemment opérée en Tunisie, alimentent les forums de discussion. "Quelques semaines après être rentrée chez moi, j’ai téléphoné à la clinique pour me plaindre. Lorsque l’on m’a dit de m’adresser à mon omnipraticien pour régler mes problèmes, j’ai compris que les soi-disant garanties de sécurité n’étaient plus à l’ordre du jour et que l’on ne me proposerait aucune prise en charge gratuite. Surtout maintenant que j’étais à des milliers de kilomètres du lieu d’intervention."

Par ailleurs, devant le succès de la "chirurgie délocalisée", l’agence Cosmetica Travel prévoit partir à la conquête du marché canadien. Elle a l’intention d’ouvrir un bureau à Montréal afin de proposer une solution de rechange à la médecine locale. Cet engouement mondial pour le tourisme médical ne semble néanmoins pas inquiéter les chirurgiens québécois. Sur la dizaine de spécialistes contactés, aucun n’a souhaité s’exprimer sur ce sujet.