Les Inégalités sociales de la santé : Montréal inégale
C’est connu, il existe un écart important entre l’espérance de vie des habitants des pays riches et celle des habitants des pays pauvres. Un Canadien vivra en moyenne 80 ans alors qu’un Indien peut tout juste espérer vivre jusqu’à 64 ans. Mais on sait moins qu’à l’intérieur même de Montréal, l’espérance de vie des pauvres est toujours de plusieurs années inférieure à celle des nantis.
En 1998, la Direction de la santé publique de Montréal (DSPM) dépose son rapport Les Inégalités sociales de la santé. Cette enquête rend compte des disparités socioéconomiques existant au sein de la population et de l’impact de ces inégalités sur la santé des Montréalais. L’espérance de vie y est étudiée. Les données y sont aussi flagrantes qu’accablantes: l’espérance de vie varie énormément selon les secteurs desservis par les CLSC de la Métropole. Une femme de Pointe-Saint-Charles vivra en moyenne 75,6 années alors qu’une résidente de Notre-Dame-de-Grâce (NDG) pourra espérer atteindre 81,9 ans. Un homme d’Hochelaga-Maisonneuve vivra en moyenne 68,6 ans alors que ce chiffre s’élèverait à 78,8 ans s’il résidait à Outremont.
Mais qu’en est-il de la situation quelques années plus tard? Robert Choinière, démographe et chercheur associé au Centre Léa-Roback (un centre de recherche qui analyse les liens entre les inégalités sociales et la santé, et qui travaille en étroite collaboration avec la DSPM), était du comité scientifique qui a travaillé sur le rapport de 1998. De nouvelles données, qui seront rendues publiques prochainement, démontrent que l’écart d’espérance de vie entre les secteurs étudiés dans l’enquête de 98 n’a pas évolué en sept ans. "En général, l’espérance de vie a légèrement augmenté. Cependant, comme les secteurs défavorisés ont bénéficié de la même augmentation que les quartiers riches, l’écart est demeuré le même", explique M. Choinière. L’espérance de vie d’une femme de Pointe-Saint-Charles est maintenant de 76 ans alors que pour sa concitoyenne de NDG, elle est de 82,7 ans. Et près de dix ans séparent Hochelaga-Maisonneuve d’Outremont.
LA PAUVRETÉ, L’ENNEMI NUMÉRO UN
Une multitude de raisons expliquent ces différences. Isabelle Matte est organisatrice communautaire à la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, un des quartiers les plus défavorisés de Montréal. Pour cette intervenante, la pauvreté est le principal facteur qui conditionne le fait d’être en santé ou non. "Statistiquement au Québec, on a plus de risque d’être en mauvaise santé si on est pauvre que si on est âgé de plus de 65 ans." Et attention, pauvreté ne rime pas nécessairement avec aide sociale. "Beaucoup de gens du quartier travaillent dans des usines ou des magasins, à petit salaire. Habituellement, on appelle ces gens des petits travailleurs, mais pour nous, ce sont de gros travailleurs! Ils travaillent à temps plein et vivent tout de même sous le seuil de la pauvreté." À Pointe-Saint-Charles, 55 % de la population est à faible revenu. Près de 30 % des ménages de ce secteur consacrent plus de 50 % de leur revenu au loyer. Le stress financier, la difficulté de s’alimenter sainement à cause d’un budget déficient et les emplois exigeants physiquement sont des problèmes auxquels sont confrontés une bonne partie des gens que côtoie Isabelle Matte. Et tout cela se répercute sur la santé. "Je connais une dame qui cousait des enveloppes de baloney. Elle pouvait en coudre un millier par jour. À cause de la cadence qu’elle devait maintenir, ses doigts s’étaient déformés. Cette femme était très fatiguée. Je vois des gens qui ont 55 ans et qui paraissent beaucoup plus vieux à cause du métier qu’ils ont exercé dans leur vie", affirme Mme Matte.
L’ENVIRONNEMENT PHYSIQUE
Pour Louise Potvin, professeure en médecine sociale à l’Université de Montréal et directrice scientifique du Centre Léa-Roback, l’environnement physique est une des causes explicatives de l’écart d’espérance de vie entre les secteurs favorisés et défavorisés. "Les quartiers pauvres sont beaucoup moins agréables à vivre que ceux où s’établissent les riches. Il y a plus de pollution, moins de parcs, la qualité des logements est souvent mauvaise et le milieu de vie, moins sécuritaire, donc plus stressant." Même l’identité liée au secteur de résidence peut influencer l’état de santé des individus. "Vivre dans un quartier agréable confère une certaine estime de soi. Des études ont démontré que les gens ayant un faible revenu et vivant dans des secteurs riches ont tendance à avoir une meilleure santé que les personnes pauvres habitant des quartiers défavorisés", explique Mme Potvin.
Si la pauvreté et l’environnement physique sont parmi les facteurs qui creusent le fossé entre les durées de vie moyennes des Montréalais, un autre élément important est à considérer: le suicide. "Nous n’avons pas de statistiques par secteurs urbains. Cependant, le suicide semble être très influencé par la condition sociale. Le taux de suicide est 2,5 fois plus élevé chez les pauvres que chez les riches", mentionne Robert Choinière. Dans l’arrondissement Pointe-Saint-Charles, la détresse psychologique est une triste réalité. "Il y a un taux très élevé de personnes ayant des problèmes psychiatriques dans le quartier", explique Mme Matte.
LES SOLUTIONS
Quelles actions sociales ou politiques peuvent être mises en place pour réduire l’écart entre les populations pauvres et riches? Pour Louise Potvin, il faut d’abord prévenir la ghettoïsation des individus. "La mixité dans les quartiers doit être préservée. C’est dans cette diversité que s’épanouissent les gens. Des HLM peuvent côtoyer des condos de luxe. Les projets de revitalisation ne doivent pas repousser les gens à l’extérieur de leur quartier."
Isabelle Matte croit pour sa part que c’est en s’attaquant directement aux injustices sociales que les inégalités qui ont un impact sur la santé seront réduites. "Notre société québécoise appauvrit les pauvres et enrichit les riches. Il faut augmenter le salaire minimum et les prestations d’aide sociale. Les grandes entreprises et les grandes fortunes doivent payer leur juste part d’impôt." Pour cette organisatrice, il est également primordial de maintenir la vie communautaire de chaque quartier. "Il y a une trentaine d’organismes communautaires à Pointe-Saint-Charles. L’image des pauvres qui ne font rien est un préjugé. Beaucoup de gens appauvris se relèvent les manches et passent à l’action. Je suis convaincue que s’il n’y avait pas ce mouvement communautaire, la situation serait encore pire au niveau de la santé, du suicide et de l’espérance de vie", conclut Mme Matte.