La place des arts à l'école
Société

La place des arts à l’école

L’enseignement des arts a-t-il une juste place à l’école? Les modifications au régime pédagogique du ministre Pierre Reid, qui seront officialisées sous peu, refoulent encore les disciplines artistiques loin derrière les autres en termes d’heures d’enseignement. Indigné, un regroupement d’artistes et d’enseignants entend réagir.

Le débat n’est pas tout à fait nouveau. Ce n’est pas d’hier que des spécialistes en enseignement des arts réclament une meilleure reconnaissance de leur domaine quant à l’épanouissement des jeunes, de meilleures ressources et un plus grand nombre d’heures d’enseignement. La reconnaissance des arts est maintenant acquise alors que ceux-ci figurent, selon le ministère de l’Éducation, parmi les cinq domaines de formation considérés comme essentiels. Les autres étant les langues, les mathématiques, les sciences et la technologie, l’univers social (géographie, histoire) et le développement personnel (éducation physique, enseignement religieux ou moral). Au niveau secondaire, le nouveau régime pédagogique entend conférer 1400 heures d’enseignement au domaine des langues, 1100 à celui des mathématiques et des sciences, 600 à celui de l’univers social, 500 au développement personnel, et seulement… 250 à celui des arts. De plus, selon le nouveau régime, la totalité des 250 heures d’enseignement de cours obligatoires seront livrées de la première à la 3e secondaire. Le domaine des arts serait ainsi le seul à voir son parcours se terminer si tôt.

Pour Josée Saint-Pierre, enseignante spécialiste en arts et porte-parole de la Coalition pour une réelle éducation artistique (CREA), qui regroupe des associations d’artistes et d’éducateurs, c’est là que le bât blesse. D’un côté, le ministère reconnaît les arts comme un domaine d’apprentissage fondamental, et de l’autre, il ne livre pas la marchandise en termes d’heures d’enseignement, accordant aux arts trop peu d’espace. "Depuis quelques années, il y avait une réflexion sur la place des arts à l’école. On était très contents que ceux-ci soient considérés comme un domaine faisant partie du développement global de la personne. Ce fut un acquis important pour nous. Mais après avoir reconnu les arts comme essentiels, on établit que leur enseignement obligatoire prendra fin en 3e secondaire. On ne peut pas développer des compétences en interprétation, création et appréciation si on arrête si tôt dans le processus. Au primaire, on n’a pas eu de précisions pour ce qui est du nombre d’heures d’enseignement. Les arts sont encore enseignés à titre indicatif seulement, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune obligation de les enseigner. Or, nous voulons que les jeunes soient formés de la 1re année du primaire jusqu’à la 5e année du secondaire. Il faut que les arts fassent partie d’un savoir commun et unique."

La CREA estime que la maîtrise des arts, à l’instar de nombreuses autres disciplines, est complexe et nécessite davantage de temps et de ressources que ce qu’on veut bien croire très souvent. Dans une lettre qu’elle faisait parvenir au ministre de l’Éducation récemment, ses membres s’interrogeaient: "Comment, Monsieur Reid, les enseignantes et enseignants spécialistes en arts (art dramatique, arts plastiques, danse et musique) pourront-ils amener à la réussite l’ensemble des élèves inscrits à la formation générale en développant des compétences complexes reliées au domaine, tout en respectant le rythme d’apprentissage de chacun, leurs intérêts et leur bagage culturel personnel? Comment peut-on initier les élèves au monde complexe de la création contemporaine en si peu de temps d’intervention?"

La Coalition demande de majorer de 250 à 500 le nombre d’heures d’enseignement obligatoire des arts au secondaire, de la première à la cinquième année, et de définir plus clairement les orientations et le temps minimum prescrit d’enseignement au primaire. L’embauche de spécialistes en arts pour enseigner au primaire figure aussi au rang des revendications.

Au bout du compte, les arts ont tout de même fait un gain intéressant de 150 heures avec le nouveau régime pédagogique. Depuis de nombreuses années, ils n’étaient enseignés qu’en 1re et 2e secondaire, pour un total de 100 heures.

Pourquoi croyez-vous que l’enseignement des arts a toujours été considéré comme moins important? "Depuis plusieurs décennies, on ne laisse pas place à cette sensibilisation aux arts à l’intérieur de l’école. Un peu comme si on pensait que tout repose sur la pensée magique et sur des gens dynamiques qui mettent beaucoup d’heures dans leur travail pour mener des projets à bien. Encore aujourd’hui, la notion d’art est élitiste. Ça peut être bien mais ça ne fait pas partie d’un besoin", poursuit Mme Saint-Pierre.

De nombreux artistes dont Marie-Thérèse Fortin, Armand Vaillancourt et Alain Lefèvre, mais aussi des enseignants ont signifié leur appui à la CREA, qui obtenait au cours des derniers jours le soutien de Pierre Curzi, président de l’Union des artistes. "Je suis content de voir qu’une coalition existe parce que depuis plusieurs années, je m’interroge et m’inquiète au sujet du lien entre la culture et l’éducation. Il est important que ça reste un lien intime. La bonne nouvelle, c’est que le nouveau régime pédagogique reconnaît les arts et la culture parmi les cinq domaines essentiels. Mais je trouve aberrant que leur enseignement prenne fin en 3e secondaire parce que c’est à ce moment qu’on s’éveille à la culture, qu’on allume. Par ailleurs, on forme beaucoup d’artistes au Québec et on en fait quelquefois des chômeurs ou des serveurs de restaurant. On devrait insister sur le fait que ce sont des gens formés pour communiquer la pratique des arts. Ils devraient ainsi être intégrés au milieu scolaire."

"La vision qu’on a de la culture est un peu étroite, on voit ça comme un passe-temps. Je crois que la culture est un objet de divertissement mais qu’elle n’est pas que ça. Par exemple, on reconnaît au sport toutes sortes de vertus formatrices mais c’est comme si on était incapable de faire la même chose avec l’art et la culture", ajoute M. Curzi.

Des membres du regroupement ont rencontré le ministre Reid le 13 janvier dernier, sans obtenir gain de cause sur les points les plus importants. La Coalition promet de poursuivre ses moyens de pression dans l’éventualité où le ministre resterait sourd à ses demandes. "Nous réagirons quand le nouveau régime pédagogique sera officialisé", assure Mme Saint-Pierre.