Troubles obsessifs-compulsifs : Des chiffres et des lettres
Société

Troubles obsessifs-compulsifs : Des chiffres et des lettres

Chantelle Stulens a 16 ans. Lorsqu’elle hausse le volume de son téléviseur le chiffre inscrit à l’écran doit absolument correspondre à un multiple de 16, son âge actuel. Pourquoi? Parce qu’elle ne peut pas faire autrement.

"Lorsque je suis dans un ascenseur je compte le nombre de secondes entre les étages pour savoir exactement le temps que j’aurais pour sortir de l’immeuble si jamais il y a un feu. Je compte aussi toujours le nombre de marches avant de monter ou descendre un escalier" explique Chantelle Stulens, une jeune femme douce et attachante de Dollard-des-Ormeaux.

Chantelle est obsédée par les chiffres, et également par les mots. Un film qui durerait normalement 1 heure 30 peut lui prendre 3 heures. "Je peux arrêter le film 50 fois. Par exemple, dans le film, si quelqu’un dit: "Quelle belle journée!", je vais m’attarder sur le mot Quelle. J’épelle le mot à l’endroit et à l’envers. Je classe ensuite les lettres par ordre alphabétique. Par la suite, je mets les lettres paires et impaires (a=1, c=3, e=5, etc.) ensemble". Ce "charivari mental" peut absorber Chantelle plus d’une centaine de fois par jour.

Au Québec, environ 2,5 % de la population souffre de troubles obsessifs-compulsifs, dont l’appellation commune est le sigle TOC. Autant d’hommes que de femmes souffrent de cette maladie mentale. Le TOC se manifeste habituellement au début de la vingtaine mais peut commencer dès l’enfance. "J’ai commencé à jouer avec les mots à l’âge de 9 ans. Pour moi c’était normal. J’ai été diagnostiquée comme ayant le trouble obsessif-compulsif à 14 ans. Au début, cette maladie était la honte de ma vie, mais maintenant, je l’accepte", déclare Chantelle.

Le trouble obsessif-compulsif se caractérise par la présence de pensées, d’images, de pulsions ou encore de scénarios récurrents et persistants qui envahissent l’esprit. Ces obsessions créent un niveau important d’anxiété et de détresse psychologique. Pour éliminer l’anxiété, bref, pour se calmer, la personne souffrant de TOC adopte des comportements (compulsions), observables ou non (tels que des calculs). Par exemple, une personne qui a peur d’être contaminée se lavera les mains 300 fois dans la journée.

Le TOC n’a rien à voir avec les tracasseries de la vie courante. L’individu qui est atteint de troubles obsessionnels-compulsifs a de la difficulté à fonctionner normalement dans la vie de tous les jours. Bien que Chantelle aime l’école et soit capable de décrocher des 90 % lors des évaluations scolaires, sa maladie lui cause des problèmes de concentration ou l’épuise mentalement. "Durant les examens je faisais des charivaris avec les questions. Parfois, je m’endormais durant mes examens et je me réveillais alors qu’il ne me restait que trente minutes pour terminer mon test. Malgré ça, il arrivait que je passe tout de même mes examens", évoque l’adolescente.

LES ORIGINES DU TOC

Le trouble obsessif-compulsif est loin d’avoir révélé tous ses secrets aux scientifiques. Différentes hypothèses ont été avancées pour expliquer les causes du TOC. Cette maladie pourrait avoir une cause biochimique. Des anomalies neurologiques pourraient entraîner un dérèglement au niveau des neurotransmetteurs qui ont comme tâche d’assurer la bonne transmission de l’influx nerveux entre les neurones du cerveau. Le neurotransmetteur de prédilection des chercheurs est la sérotonine. La sérotonine est également mise en cause dans la dépression.

L’hérédité pourrait aussi avoir un rôle à jouer dans le développement de cette maladie. Chez les Stulens, la piste héréditaire ne fait aucun doute. "Ma mère avait également le TOC", note la mère de Chantelle, Lorraine Stulens.

Pour mieux comprendre cette maladie complexe, une équipe de chercheurs (généticiens et biologistes moléculaires de la compagnie en recherche génétique Genizon BioSciences), en collaboration avec des chercheurs de l’Hôpital Douglas, mène une étude sur les aspects biologiques du TOC. "Notre but est d’identifier les gènes de susceptibilité investis dans le développement des troubles obsessifs-compulsifs", explique Dre Micheline Lapalme, directrice des projets cliniques chez Genizon BioSciences. Les nouvelles connaissances acquises lors de cette étude pourront aider à développer des tests diagnostiques et des traitements pharmacologiques plus efficaces, de sorte à améliorer la vie des personnes souffrant du TOC.

LES TRAITEMENTS EXISTANTS

Présentement, deux traitements permettent de diminuer les symptômes du TOC: l’ingestion de certains médicaments, dont la majorité sont des antidépresseurs qui ont pour effet d’augmenter la quantité de sérotonine, et la psychothérapie.

Il y a deux types de psychothérapie qui sont pratiqués pour traiter le TOC; la thérapie cognitive et la thérapie comportementale. "La thérapie cognitive vise à agir sur les idées obsessives comme telle et à mettre en doute les croyances de la personne. Les idées de la personne sont irrationnelles mais elle ne le voit pas. Par exemple, le cas classique est la personne qui vérifie les ronds de poêle plusieurs fois avant de quitter. Même en revérifiant plusieurs fois elle va se dire: "D’un coup que je les aurais allumés sans m’en rendre compte…" Même si elle voit qu’ils sont fermés, ça n’arrive pas à la sécuriser", explique le psychologue Marc Therrien.

Dans ce genre de psychothérapie, le thérapeute traitera également le sentiment d’hyper-responsabilité qui caractérise plusieurs personnes atteintes de TOC. "Les personnes souffrant du TOC se sentent plus responsable que la majorité des gens. Par exemple, la personne qui vérifie les ronds de poêle va se dire que s’il y a un incendie, ça va automatiquement être de sa faute", souligne M. Therrien.

La thérapie comportementale, quant à elle, s’attaque spécifiquement aux rituels. Le thérapeute examinera avec le patient la source de l’anxiété chez ce dernier et les moyens de contrôler, voire de s’habituer à l’anxiété, sans retomber dans les comportements compulsifs. "C’est la combinaison des deux approches, c’est-à-dire la thérapie cognitivo-comportementale, qui donne les meilleurs résultats" rappelle Marc Therrien.

DES PRÉJUGÉS TENACES

Les médicaments et la psychothérapie peuvent améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de TOC, cependant, le soutien moral des proches est indispensable, car les préjugés entourant les maladies mentales sont coriaces. "Présentement je devrais être en secondaire 5, alors que je suis au niveau de secondaire 3. À l’école, quand les autres étudiantes ont su ma maladie, elles me traitaient de folle et elles riaient de moi. C’était rendu que je dînais plus ou je mangeais dans les toilettes. J’ai été hospitalisée deux fois dans un hôpital psychiatrique et contrairement aux autres patients je ne voulais pas sortir. J’étais bien là parce que personne ne me jugeait", raconte calmement Chantelle avant d’ajouter: "Après mes hospitalisations, je me faisais dire que ma mère ne m’aimait pas, parce qu’elle m’avait envoyé dans un hôpital psychiatrique. Je recevais aussi des courriels de méchanceté". Cette période a également été éprouvante pour la mère de Chantelle. "J’avais régulièrement des appels de l’école pour que j’aille la chercher. Ça été des moments très difficiles pour Chantelle. Elle ne comprenait pas toute cette méchanceté parce qu’elle ne faisait rien de mal", affirme Lorainne Stulens. Le cas de Chantelle faisant trop de remous, la direction de son école décide de la renvoyer.

Outre les proches, les personnes atteints du TOC peuvent trouver un certain réconfort auprès d’organismes comme le Groupe Revivre ou encore Phobies- Zéro, qui organise chaque jeudi des soirées d’aide au CLSC St-Léonard. Rémi Labrèche, animateur chez Phobies-Zéro, comprend bien la problématique du TOC, lui-même étant un vérificateur compulsif qui est maintenant capable de contrôler ses manies et d’avoir une vie relativement normale. "Lors des soirées, il y a des témoignages mais je donne aussi des trucs de gestion de la vie. Par exemple, si un laveur compulsif ne se donne pas une journée précise pour faire le ménage, il va juste penser à ça. Un des trucs est de se faire un horaire hebdomadaire. Ça aide à libérer l’esprit.

J’apprends aussi aux gens à gérer leur stress lorsqu’ils deviennent nerveux.

Une autre chose importante pour les personnes qui ont le Toc est d’apprendre à vivre le moment présent. Ce sont souvent des gens qui vivent dans le passé et le futur", explique M.Labrèche.

LES PROJETS D’AVENIR

Malgré sa maladie, et son cortège de problèmes, Chantaelle Stulens, comme toutes les jeunes filles de son âge, a des rêves. "Je veux retourner à l’école pour terminer mes études. Plus tard, j’aimerais être zoologiste mais pas au Québec, plutôt en Afrique ou en Australie. C’est préférable d’attendre à l’automne pour mon retour aux études parce que je vais probablement prendre des nouveaux médicaments et je ne sais pas comment je vais réagir à cette nouvelle médication. Présentement je travaille. Je garde des enfants et j’adore ça", affirme d’un ton enjoué la jeune femme.

Et à ceux qui seraient tentés de prendre Chantelle en pitié, ravisez-vous. "Je n’aime pas quand les gens me prennent en pitié parce que ça me rappelle que je ne suis pas normale, et je veux être comme les autres", conclut Chantelle.

Pour participer à l’étude sur le trouble obsessif-compulsif:

Composez le 1 866 922-0002 (sans frais au Québec) ou (514) 761-6131 poste 4675

Pour joindre les groupes d’aide:

Phobies-Zéro: (514) 276-3105 le Groupe Revivre: (514) 529-7552