De quoi je vous parlais, déjà? Ah oui, de l’école, de l’art, du goût qui s’apprend.
Ce sera donc une chronique qui commence en appliquant les freins à deux pieds. Pas pour revenir en arrière, pas non plus pour me dédire, rassurez-vous. C’est que dans ce véhicule, il arrive parfois qu’on doive s’arrêter de toute urgence pour discuter avec ses passagers. Les yeux dans les yeux.
Pour ceux qui ne comprendraient pas, je vous renvoie à ma chronique de la semaine dernière (Le cancer du colon) qui, sous certains aspects, fut un échec lamentable. Un échec dans la mesure où, plutôt que d’ouvrir un espace de discussion sur la place des arts à l’école, je ne suis parvenu qu’à vous braquer: les uns contre moi, les autres avec, dans un cas comme dans l’autre pour les mauvaises raisons.
Mettons donc les choses au clair: au fond, je me fous pas mal de Lara Fabian, de Star Académie ou de ce que vous écoutez dans votre auto en allant faire l’épicerie. Ce qui m’importe, c’est l’acquisition d’outils qui te permettent, si tu le souhaites, d’avoir accès à autre chose qu’aux soporifiques Dany Bédar de ce monde. Après, t’es libre de choisir ce que tu consommes, mais au moins, tu sais qu’il existe autre chose.
Sauf que vous, vous avez pris ça pour un plaidoyer anti-divertissement, pour un pur mépris des masses.
Parlons plutôt de grosse méprise.
Fascisme, élitisme, pureté, il y en a même un qui a trouvé le moyen de parler de nazisme parce que j’opposais divertissement et art. Parce que j’ai osé parler de goûts qui, contrairement à ce que vous croyez, sont critiquables sans toutefois qu’on sombre dans le totalitarisme de la pensée. Ce que je vous disais est pourtant simple, mais je le répète encore plus clairement: dans la mer de divertissements qui nous accable, sommes-nous équipés pour faire la différence entre le pur produit de consommation et celui qui recèle d’autres vertus que celle d’être facilement vendable au plus vaste dénominateur? Et n’est-ce pas en partie le rôle de l’école de nous former le goût en nous fournissant ces outils de critique éclairée?
Peut-être pas, mais je n’ai jamais parlé d’élite, c’est tout le contraire. J’ai plaidé en faveur de la démocratisation du savoir, de l’éducation, de la curiosité collective, et vous, vous me parlez de fascisme. De Hitler qui tripait sur Wagner.
Coudonc, avez-vous mangé la même chose que Claude Charron?
ooo
Toujours au rayon des doléances.
Un message sur mon répondeur, la dame ne se nomme pas.
"Monsieur Desjardins, c’est épouvantable. Je viens d’apprendre qu’en ouverture des Rendez-vous du cinéma québécois, on jouera un film en anglais: Manners of Dying. Ça fait-y assez colonisé à votre goût? Pouvez-vous en glisser un mot dans votre chronique?"
Avec plaisir. Même plusieurs si vous permettez. Le réalisateur de Manners of Dying s’appelle Jeremy Peter Allen, il est né à Québec, il fait des films en anglais et en français. Le scénario est tiré d’une nouvelle écrite par Yann Martel, un autre Québécois. Il écrit en anglais, il a reçu le prestigieux Booker Prize pour son excellent roman Life of Pi. Le premier rôle est tenu par Roy Dupuis, un Québécois que vous connaissez sans doute, et si vous l’ignoriez encore, le film a été tourné ici même, à Québec.
C’est pas assez québécois pour vous? Vous voulez quoi de plus, Madame? Une ceinture fléchée? Rémy Girard? Ah oui, que le film soit en français. Voyez, moi, la seule chose qui m’effraie ici, c’est que la voix de Roy Dupuis soit doublée par Bernard Fortin dans la traduction.
Chacun ses angoisses.
ooo
Grosse plainte hyper-médiatisée pour conclure.
L’auteur du bouquin qui remporte le prix du titre le plus drôlement nostalgique de l’année (Je m’ennuie de Michèle Viroly), un ouvrage déjà prisé par la critique, montait la semaine dernière aux barricades pour défendre la "bonne" culture sur les ondes de la télé de Radio-Canada.
Vous aurez reconnu Victor-Lévy Beaulieu qui, en fait, défendait surtout son téléroman Le Bleu du ciel, supposément victime de cotes d’écoute confidentielles.
Le drame dans tout ça, c’est que pour ne pas trop l’affliger, on n’a pas dit toute la vérité à VLB, et c’est pour cela qu’il imagine des complots ourdis par Rabinovitch et Cie pour abrutir les masses francophones.
Ce sont ces excès de diplomatie qui mènent aux pires malentendus, et qui me ramènent à mon sujet de la semaine dernière. Art ou divertissement de masse, peu importe leur nature, il y a des œuvres ratées et d’autres réussies. C’est le grand égalisateur. Une justice parfaitement ingrate qui n’a rien d’objectif.
Tout ça pour vous dire qu’on a voulu épargner ce pauvre VLB. On a fait parler le public, on a fait porter l’odieux de la décision par les cotes d’écoute plutôt que de mettre ses culottes et de lui dire en toute franchise: peu importe ce que tu en penses, si on flushe Le Bleu du ciel, c’est juste parce que c’est vraiment, mais vraiment très très mauvais.
Que dites-vous? Ah oui, je sais.
La vérité est une chienne.