Entrevue avec Line Beauchamp : Les triples lettres
Société

Entrevue avec Line Beauchamp : Les triples lettres

À quelques semaines du dépôt du budget de son gouvernement, la ministre de la Culture et des Communications, Line Beauchamp, à défaut de promettre des crédits supplémentaires, invite le milieu culturel à se tourner vers l’entreprise privée dans sa quête de financement en prônant le partenariat.  Attention.

Depuis la Commission de la culture de février 2000, à laquelle vous avez siégé, les conditions de vie et de pratique des créateurs se sont-elles améliorées?

"Plusieurs outils ont été déployés pour assurer l’amélioration des conditions de vie et de pratique des artistes. Je pense à l’augmentation du budget du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et au filet de sécurité sociale dont on a discuté avec le milieu culturel et qui commence à se mettre en place. Dans le dernier budget de mon collègue Yves Séguin, il y avait des mesures fiscales pour tenter d’améliorer les revenus des artistes. Les artistes professionnels sont les seuls citoyens au Québec qui peuvent étaler fiscalement leurs revenus sur sept ans.

Ce qu’on sait aussi, c’est que depuis 2000, il y aurait une augmentation des cachets culturels, tant pour les artistes que pour les autres travailleurs culturels. Ces cachets auraient augmenté de près de 50 millions, si on inclut l’augmentation des bourses versées aux artistes par le CALQ grâce aux augmentations budgétaires. Mais je ne suis pas capable de vous dire si cela a fait en sorte que, individuellement, les artistes connaissent une augmentation de leurs cachets ou si cela a simplement permis qu’il y ait plus d’artistes et de travailleurs culturels. Chose certaine, il y a plus d’argent dans l’environnement de la culture et pour les travailleurs culturels depuis 2000."

Dans votre plate-forme électorale, De rempart à tremplin, vous faites état qu’un danseur professionnel gagnait en 1996 13 000 $ en moyenne, un revenu beaucoup moindre que celui d’un employé du ministère…

"Et depuis ce temps, on a publié des données encore plus précises. Treize associations professionnelles ont accepté de nous transmettre des numéros d’assurance sociale, sous une confidentialité absolue, nous permettant de faire une analyse fine des rapports d’impôts des artistes professionnels. Dans cette étude, qui a été rendue publique il y a un an, on voit que les danseurs, mais aussi les membres du Conseil des métiers d’art, font partie des artistes professionnels ayant les plus bas salaires. Or, les artistes mènent souvent une double vie, comme je l’ai décrit à mes collègues. Cela peut surprendre mais l’artiste moyen déclare un revenu supérieur au contribuable moyen. Ce qu’on sait toutefois, c’est que l’écrivain est aussi professeur, ou alors il travaille dans un restaurant… C’est pour cela qu’on a établi des mesures comme l’étalement du revenu tiré d’un travail culturel. Les artistes interprètes ont également le droit de déduire les 15 000 premiers dollars gagnés en droits d’auteur.

D’autres initiatives, comme essayer d’avoir une meilleure couverture par la CSST pour les artistes professionnels, furent entreprises. Les associations d’artistes gèrent aussi plusieurs fonds de retraite et elles ont accepté qu’on mène une étude pour vérifier si, en fusionnant tous ces fonds en un seul, plus gros, on n’assurerait pas une meilleure gestion et un meilleur rendement. J’ai aussi mis en place un comité permanent sur les conditions socio-économiques des artistes, présidé par Raymond Legault, qui doit voir à l’application du plan, ainsi qu’un secrétariat permanent au sein du ministère."

Le rapport final de la Commission de la culture de février 2000, dont vous étiez signataire, recommandait d’augmenter "substantiellement et de façon récurrente" le budget du CALQ afin que cet organisme puisse remplir pleinement sa mission. Soutenez-vous toujours cette position?

"Ma meilleure réponse, ce sont les gestes que l’on a posés depuis qu’on est arrivé au pouvoir. Le budget du CALQ a connu une augmentation de 8,2 millions de dollars sous notre gouverne. Dans un contexte budgétaire difficile, j’ai pu augmenter le budget du CALQ de plus de 10 % en 22 mois. Et ce sont des sommes récurrentes. Je vais vous dire honnêtement, mon choix le plus important, oui, le choix le plus important que j’ai fait comme ministre de la Culture, ce fut l’augmentation du budget du CALQ. J’ai toujours défendu l’augmentation de son budget. On a trouvé les crédits pour le faire de façon récurrente et on y croit."

Pour vous, le CALQ est donc toujours un outil privilégié, essentiel, afin d’améliorer les conditions de pratique des créateurs?

"Oui, moi je crois beaucoup au CALQ. C’est un organisme qui découle aussi de la politique culturelle du Québec née sous le gouvernement de Robert Bourassa. On y disait qu’on privilégiait la voie d’un organisme comme un conseil des arts et des lettres où ce serait le milieu culturel qui formerait le conseil d’administration et qui prendrait les décisions sur les grandes orientations, l’attribution de l’argent aux artistes et aux organismes. Bien qu’un système ne puisse jamais être parfait, selon moi, le CALQ a fait ses preuves et il est une société d’État extrêmement importante sous la gouverne du MCCQ."

Il reste que, encore cette année, le milieu culturel dit faire face à de graves problèmes de financement qui mettent en péril les activités de création, de production et de diffusion. Le MAL (Mouvement pour les arts et les lettres) réclame 18 millions de dollars de plus pour le CALQ et 5 pour la SODEC. Votre gouvernement a-t-il l’intention de répondre à ces demandes dans son prochain budget?

"C’est une très belle tentative! Je ne pourrai pas répondre à votre question parce que ce serait dévoiler des éléments du prochain budget et on est tenu au secret. Je ne pourrai donc pas répondre aussi clairement que vous le voudriez, mais je peux dire que je respecte le MAL, le travail qu’il fait et ses analyses. Chose certaine, défendre la création et les artistes professionnels va toujours demeurer au cour de mes priorités. Je fais partie d’une équipe pour laquelle le soutien à l’artiste et au créateur est une condition pour que l’on puisse dire avec fierté qu’il y a une culture québécoise bien vivante qui s’épanouit dans toutes les régions."

Alors puis-je vous demander si vous avez entrepris des démarches auprès de votre collègue du ministère des Finances en ce qui concerne les demandes du MAL?

"Écoutez, mon travail, c’est de défendre le MCCQ, la culture et la création. Je ne pourrai pas vous répondre dans le détail au sujet de mes démarches. Mais je vais vous répondre en vous illustrant les résultats jusqu’à maintenant. Le budget du MCCQ, depuis qu’on est là, est passé de 497 à 531 millions de dollars. Le budget du ministère n’a jamais été aussi élevé. Et ça n’inclut pas les mesures fiscales octroyées par le ministre Séguin et les crédits d’impôt.

Je vous répondrai ceci le plus honnêtement possible: je pense que je fais mon travail comme ministre de la Culture, mais ma vraie obsession n’est pas mon portefeuille. Ma vraie obsession, c’est d’obtenir des mesures qui permettent d’améliorer les revenus disponibles dans les poches des artistes. Par exemple, les mesures fiscales, qui représentent plusieurs millions de dollars, ne sont pas comptabilisées dans le budget du MCCQ, mais j’en suis tout aussi fière. En ce moment, nous faisons des travaux pour voir comment on peut faire en sorte que des investissements du secteur privé soient faits plus facilement en culture, que des entreprises en région, par exemple, soient gagnantes si elles investissent en culture.

Les résultats de ces travaux ne s’additionneront pas dans le budget du MCCQ, mais je suis convaincue que ce sont des mesures qui pourraient faire en sorte que de l’argent disponible pour la culture atterrisse au bon endroit. Mon obsession, ce n’est pas mon portefeuille, mais plutôt que la culture voie arriver plus d’argent pour son développement."

La hausse constante des dépenses incompressibles en matière d’immobilisations au MCCQ semble de plus en plus problématique. Une part importante du budget échappe aux créateurs…

"Il y a eu des choix par le passé qui font en sorte que même sans aucune initiative pour des équipements culturels, le service de la dette augmente. On a beaucoup investi dans la brique et le béton. C’était la stratégie du gouvernement précédent. Cela m’enlève de la marge de manouvre car je dois payer pour des choix antérieurs. Cette année, ce sera presque 25 % du budget du MCCQ qui servira à payer les intérêts pour des immobilisations.

Dans ce contexte, je cherche d’autres moyens de doter le Québec de bons équipements culturels. C’est pour cette raison qu’on parle de partenariats public-privé qui nous permettent souvent de réaliser des projets dans les meilleurs délais et surtout à l’intérieur des enveloppes budgétaires. J’arrive de Londres et les PPP dans le domaine des équipements culturels se réalisent à 88 % dans les enveloppes prévues. Au MCCQ, je peux vous dire que c’est une tradition: si on octroie tant de millions pour un projet d’immobilisation, on est à peu près sûr qu’il y aura des dépassements de coûts. Mon choix, c’est d’essayer de trouver des partenaires pour réaliser des projets d’équipements culturels et faire en sorte que l’argent des contribuables aille un peu plus vers la culture vivante. Un PPP permet de mieux gérer les coûts à long terme. C’est pour ça que j’y crois."

Est-ce qu’on peut présumer que les sommes ainsi économisées par le gouvernement en matière d’immobilisations iraient gonfler les budgets de soutien à la création?

"Écoutez, le soutien à la création va toujours demeurer une priorité du gouvernement. Au fond, les PPP vont permettre de se doter d’équipements qui autrement n’auraient pas vu le jour et aussi de dégager des marges de manouvre."

Les créateurs et les artistes seraient ainsi avantagés par les PPP?

"En 2003, j’ai joué cartes sur table et toujours dit que c’est vers ça qu’on s’en allait. J’ai clairement dit qu’il y avait d’autre monde que le gouvernement pour investir dans le béton. Pourquoi ne serions-nous pas là plutôt pour soutenir les organismes culturels qui seront les locataires de ces immeubles? L’agence des PPP est en train d’être mise en place. Il faut adopter cette nouvelle culture au Québec. J’ai visité à Londres une bibliothèque réalisée en PPP. En France, le Grand Palais est en train d’être rénové par un partenaire privé, les galeries du Louvre ont aussi été rénovées par le privé. Il ne faut pas avoir d’oillères mais plutôt se dire: "Voilà d’autres outils qui vont nous permettre d’en faire plus.""

Le milieu et les créateurs y gagneraient, donc?

"Je crois que oui."

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