Entrevue avec Daniel Turp : Au nom de la loi
Société

Entrevue avec Daniel Turp : Au nom de la loi

La semaine dernière dans nos pages, la ministre de la Culture et des Communications invitait le monde des arts à envisager une participation croissante du secteur privé dans la culture. Daniel Turp, critique de l’opposition officielle en matière culturelle, réplique à ce texte et propose pour sa part une loi assurant un financement public décent aux organismes culturels. Deux visions.

Êtes-vous d’accord avec le regard que porte la ministre de la Culture sur l’évolution des conditions de vie et de pratique des artistes au Québec?

"Elle parle des artistes qui ont des revenus inférieurs au contribuable moyen, mais elle rappelle que d’autres ont aussi des revenus supérieurs. Il ne faut pas se satisfaire du fait que des artistes ont un revenu supérieur au contribuable moyen grâce à un travail ou à un métier qui n’est pas lié à leur formation ou à leurs talents.

Le fait d’avoir un revenu supérieur au contribuable moyen, et la ministre met beaucoup l’accent là-dessus, ce n’est pas un argument pour dire que la situation des artistes, s’agissant de leur revenu, est correcte. Allez dire cela aux jeunes ou aux artistes qui débarquent dans mon bureau comme ce fut le cas encore ce matin. À des jeunes qui font du théâtre ou des finissants du Conservatoire et d’autres diplômés qui me disent qu’ils doivent également travailler dans un restaurant. Travailler dans un restaurant, c’est honorable, mais les artistes devraient être soutenus afin de pouvoir gagner leur vie par les arts et les lettres. Un administrateur d’une compagnie de théâtre est venu ce matin me parler des conditions difficiles des gens pour lesquels il travaille. De toute évidence, on n’en fait pas encore suffisamment…"

Outre le soutien financier, qui n’est pas tout selon elle, la ministre insiste beaucoup sur les mesures fiscales et sur un filet de sécurité sociale pour les créateurs…

"Les mesures fiscales qui ont été prises par le gouvernement peuvent contribuer à améliorer la situation des artistes. Mais il y a beaucoup plus que ça à faire. Je conteste un peu sa façon de voir le financement de la culture. Par exemple, le rôle du privé selon moi ne doit pas être exagéré. Il ne faut pas fonder le financement de la culture sur la possibilité d’un financement stable et récurrent du privé. Parce que le financement privé est toujours précaire, non récurrent et aléatoire. Quand une entreprise est en difficulté financière et que ses profits sont à la baisse, c’est la culture qui y passe. Alors quand on laisse entendre que le milieu culturel doit se tourner vers l’entreprise privée dans sa quête de financement, et c’est un peu la façon dont la ministre voit les choses, d’ailleurs elle me l’a déjà dit, mon parti et moi ne sommes pas d’accord.

Il ne faut surtout pas oublier que le privé aide surtout les gros, les entreprises qui ont les reins solides et qui offrent une grande visibilité, comme nos grands orchestres. Si on met l’accent sur le privé, ce sont les petits, les créateurs que l’on va sacrifier au bénéfice des grands. S’il y a un domaine où l’on doit continuer de prévoir un rôle important à l’État, c’est dans le financement de la culture.

En conséquence, la revendication du Mouvement pour les arts et les lettres (MAL) de faire passer le budget du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) de 72 à 90 millions de dollars est légitime et je l’appuie. J’en ferais toute une bataille. Si j’étais ministre, j’emmènerais mes collègues dans des salles de concert pour les sensibiliser à cette culture dont on est si fier, mais qu’on ne finance pas comme on le devrait. Je m’assurerais que les gens qui prennent les décisions voient aussi la contribution importante de la culture au développement économique; chose qu’on ne dit jamais assez."

La ministre aussi a fait sa profession de foi dans le CALQ et se dit d’accord avec la nécessité d’augmenter de façon récurrente son budget. Vous a-t-elle convaincu?

"La ministre a dit: »Ma meilleure réponse, ce sont les gestes qu’on a posés… » mais elle n’a pas voulu vous dire ce qu’elle réclame et elle ne s’est certainement pas engagée à se battre pour obtenir les 18 millions de dollars que réclame le milieu. Elle évoque le contexte budgétaire difficile. Je m’attendrais à ce qu’une ministre de la Culture se batte pour avoir plus d’argent, à ce qu’elle soit plus combative et qu’elle fasse son lobby publiquement. Au fédéral, Lizza Frulla a réussi, avant le dépôt du budget, à faire délier les cordons de la bourse. Il ne suffit pas de dire que le budget de la culture a augmenté depuis deux ans, il faut dire qu’il doit continuer d’augmenter."

Ne faut-il pas, comme le croit la ministre, solliciter le secteur privé afin qu’il augmente son soutien à la culture?

"Oui, mais je crains beaucoup que si l’on obtient quelque chose du privé, cela justifie le retrait ou la diminution du soutien de l’État. Le milieu et les artistes ont besoin de stabilité. Or, ce n’est pas le financement privé qui donne cette stabilité. Je ne rejette pas le mécénat, mais celui-ci doit être complémentaire, cumulatif au soutien public."

La ministre de la Culture soutient qu’il est difficile d’obtenir plus de fonds pour les créateurs parce que le Parti québécois a trop investi " dans la brique et le béton " et qu’on doit avant tout payer les intérêts sur ces immeubles…

"Je vais vous parler de l’avenir plutôt que du passé. Et l’avenir implique de remettre en question le fait que le MCCQ doive assumer chaque année tous ces coûts liés aux équipements culturels. Y compris ceux des bâtiments patrimoniaux comme l’Institut national de police de Nicolet. Ce n’est pas normal que les coûts de cet institut, qui relève de la Sécurité publique, soient assumés, si j’ai bien compris, par le ministère de la Culture. La bataille de la ministre est de changer cela, de ne plus accepter ça. Elle doit arrêter de dire qu’on leur a légué ceci ou cela et que ça coûte cher. Sa bataille, c’est de dire que les choses doivent changer et que ce n’est pas le MCCQ qui doit assumer les coûts d’équipements culturels qui profitent à tout le monde. Ce n’est pas normal que le ministère doive assumer tous ces coûts aux dépens du soutien aux créateurs.

Dans certains pays, il y a des ministères de Travaux publics et d’Équipements qui sont propriétaires du patrimoine et en assument les coûts. Il est aussi possible de partager les coûts des équipements entre divers ministères. À l’avenir, je vais y réfléchir et mener une bataille pour que la culture n’ait pas à assumer ce qu’elle assume en ce moment. La ministre devrait mener la bataille elle-même en ce moment auprès de ses collègues pour que cette situation cesse."

Le milieu culturel a l’impression de devoir se battre férocement chaque année pour obtenir le financement nécessaire à sa survie. N’y aurait-il pas moyen d’établir un plan à long terme de financement de la culture afin de mettre fin à l’insécurité des artistes et du milieu?

"Oui, s’ils voulaient vraiment assurer le soutien à la culture, les gouvernements pourraient recourir à un moyen qui existe, mais ils hésitent beaucoup à le faire. Ainsi, les budgets du CALQ et de la SODEC pourraient être votés par l’Assemblée nationale à plus long terme au moyen d’une loi stipulant, par exemple, que la dotation au CALQ est de 90 millions de dollars par année pour une période de cinq ans avec des augmentations qui tiennent compte de l’inflation et du coût de la vie. Dès ce moment, on créerait de la stabilité parce que le ministre des Finances devrait vivre avec cette loi. On pourrait trouver une formule en discutant avec le milieu, le MAL en particulier, pour voir comment faire évoluer un budget et le sécuriser."

Un gouvernement accepterait-il de se lier de cette façon?

"Oui, d’autres l’ont fait. Il y a déjà eu des budgets attribués à des organismes prévus dans des lois. Le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique avait une dotation prévue par une loi fédérale d’un ou deux millions de dollars par an sur une période de cinq ans. Le CALQ et la SODEC ont une autonomie dans leurs rapports avec la ministre et cela pourrait justifier que leur budget soit protégé par une loi. Si la culture a une telle importance au Québec, si on veut protéger cette mission de l’État, qu’on protège les budgets des deux grands organismes dont on reconnaît l’importance."

Madame Beauchamp disait que les PPP pourraient être une voie d’avenir pour le milieu culturel dans la mesure où de nouveaux équipements seraient construits avec l’aide financière du secteur privé. Qu’en dites-vous?

"Pour moi, les PPP ressemblent pas mal plus à des créations au service des profits des plus puissants. C’est comme laisser un consortium transformer le Théâtre Maisonneuve en salle de concert pour l’OSM sans coûts en échange d’un bail emphytéotique sur l’îlot Balmoral…Il y a également un problème de transparence avec les PPP. Dans le dossier de la salle de concert de l’OSM, j’ai essayé sans succès d’avoir de l’information pour savoir qui est consulté, qui fait quoi, qui prend les décisions. Même les journalistes se font dire qu’on ne peut pas parler des échéanciers, etc. De plus, si on veut développer des équipements culturels à l’extérieur de la métropole, ce n’est pas évident que les PPP sont la solution."

Le PQ ferait autrement, mieux?

"Le défi que je voudrais relever, c’est d’établir une politique nationale de la culture originale, mieux adaptée aux nouvelles réalités que la politique culturelle actuelle. Mettre l’imagination au profit de la culture en consultant le milieu et en diversifiant les soutiens à la culture afin d’aider les jeunes de la relève. Chose certaine, la culture demeure un combat et le ministre en titre doit être un combattant…"

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