Retour à la terre : Métropolis, adiiiiieu!
Étonnant! Après un siècle d’exode urbain, près de 90 % des jeunes de 25 à 34 ans souhaiteraient, s’ils le pouvaient, s’exiler à la campagne. Vieille utopie, nouveau retour à la terre attendu?
En 2001, Nadia Guérette, 28 ans, faussait compagnie à la ville de Québec pour installer ses pénates à Saint-Georges-de-Malbaie, un bled de 511 habitants planté au bout de la péninsule gaspésienne. Le coup de foudre instantané. Si la néo-Gaspésienne a craqué pour les paysages, elle est restée pour la qualité de vie. Aujourd’hui, elle est impliquée dans les milieux culturels de sa région. "La Gaspésie est un immense terrain de jeu, dit-elle, tant pour s’y divertir que pour investir dans son développement. Depuis que je vis ici, je n’ai jamais vu autant de spectacles de qualité." Celle qui caresse aujourd’hui le projet de fonder une famille ne reviendrait en ville que pour des raisons de force majeure. "Il m’arrive de m’offrir un bain de ville et cela me suffit amplement, ajoute-t-elle. Je me trouve chanceuse de pouvoir faire cela, surtout quand je regarde mes amis, pris dans le quotidien urbain où, bien souvent, ils ont de la difficulté à s’arrêter pour s’oxygéner."
VILLAGES À VENDRE
On attendait environ 6000 personnes à la troisième Foire des villages qui se tenait du 4 au 6 février dernier au Marché Bonsecours. L’événement avait pour but rien de moins que de vendre la vie rurale aux Montréalais. Dispersés dans une cinquantaine de kiosques, des représentants de toutes les régions du Québec étaient là pour mousser les atouts de leur coin de pays: qualité de vie, accès facile à la propriété, emplois disponibles, infrastructures en place… "Avec la Foire des villages, on veut venir à la rencontre des urbains, mais aussi sortir un peu des préjugés qu’ils peuvent entretenir envers la campagne", dit Jacques Proulx, président et fondateur de Solidarité rurale du Québec (l’organisateur de l’événement).
Cette foire originale avait un objectif avoué de séduction. C’est un fait, les régions éloignées du Québec se vident. Selon les derniers indicateurs de Statistique Québec, le Saguenay-Lac-Saint-Jean affichait un bilan migratoire négatif de 2716 personnes en 2003-2004. Pendant la même période, la Côte-Nord et l’Abitibi-Témiscamingue avaient perdu respectivement 1244 et 1449 habitants. Pour ces régions, des familles qui s’éclipsent peuvent signifier en bout de ligne des fermetures d’écoles et de commerces et la dégradation du tissu social.
Quelques données sont toutefois plus encourageantes pour les villages. Depuis quelques années, un nombre croissant de Montréalais quittent l’île pour s’installer dans d’autres régions du Québec. En 2003-2004, ils étaient 24 100 à déménager ailleurs dans la province. Si la majorité d’entre eux ont migré vers les régions de la couronne montréalaise (comme la Montérégie), d’autres s’éloignent davantage. La région de Lanaudière, par exemple, a largement profité des mouvements interrégionaux, attirant 6586 nouveaux arrivants l’an dernier.
Au-delà des chiffres, l’attitude envers la campagne a changé, surtout depuis l’établissement d’une politique nationale de la ruralité, en 2001. "Pour la première fois, Québec reconnaissait l’importance de la ruralité, explique Jacques Proulx. Les politiques de concentration et l’économie néolibérale ont été très négatives pour le milieu rural. On a maintenant des programmes et une vision d’avenir, ce sont des gains extrêmement importants. L’autre grande victoire, c’est d’être sorti du fatalisme dans lequel les espaces ruraux se trouvaient depuis plusieurs années."
DE JEUNES CAMPAGNARDS
Partir de Montréal, c’est ce qu’ont fait Nicole Lebel, 28 ans, et son conjoint Francis Turenne, 32 ans. En juin 2001, ils sont allés s’installer à Saint-Justin, un village près de Louiseville (Mauricie). Là-bas, le couple a fondé une boîte de design graphique et, en novembre dernier, Nicole accouchait de sa deuxième fille, Jasmine. "On ne voulait pas élever nos enfants en ville ni même y vivre, raconte Nicole Lebel. Il y a du monde partout, tout est en béton, on manque d’air. Quand tu te rends compte que c’est dans le bois que tu es le mieux et que tu n’as pas le goût d’être toujours dans des 5 à 7 jet-sets, tu changes de place."
"À Saint-Paul-de-Montmagny, sur une population de 858 habitants, on a 30 nouvelles familles qui se sont installées ici depuis deux ans, dit Jean-Louis Proulx, agent de développement rural à la MRC de Montmagny. Avant, on pouvait dire que tel nouvel arrivant était le fils d’Untel. Plus maintenant. Il y a beaucoup de gens qui ont choisi le coin non pas à cause de la parenté, mais pour la qualité de vie." Beaucoup de jeunes familles effectuent un retour à la terre. Certains trouvent sur place un emploi qui leur convient, d’autres préfèrent effectuer le trajet quotidien de 50 à 70 km qui les sépare de leur lieu de travail, simplement pour jouir des joies de la campagne. Dans le lot, il y a aussi bon nombre de travailleurs autonomes, libérés des contraintes géographiques grâce à Internet. "Dans mon village, poursuit M. Proulx, il y a deux personnes qui font de la traduction pour le gouvernement et qui reçoivent leurs travaux par courrier électronique."
Mais que recherchent exactement ces jeunes ex-urbains? Outre la qualité de vie, il y a aussi le coût de la vie. "Dans la région de Montmagny, une belle maison ancestrale (1925-1950) en très bonne condition et avec un terrain paysager peut coûter environ 50 000 $", note Jean-Louis Proulx. À cela il faut ajouter toutes sortes d’incitatifs d’ordre pécuniaire: des remises sur l’achat d’une maison, des taux d’intérêt hypothécaires réduits si une famille s’installe à la campagne, etc. Lorsqu’on pense qu’un condo sur l’île de Montréal se vend souvent autour de 150 000 $ (sans terrain), il y a là de quoi réfléchir…
LA FIN DU MARASME
L’exode urbain des jeunes familles est certes un phénomène encourageant pour les régions du Québec, mais c’est aussi une tendance lourde que l’on observe dans plusieurs pays industrialisés. "Depuis un certain nombre d’années, dit Jacques Proulx, il y a un retour vers un mode de vie plus accroché au milieu rural. Il n’y a rien de gagné, mais on a mis un frein à un certain désabusement." Les jeunes, que l’on croyait urbains jusqu’aux ongles, seront-ils ceux qui sortiront la campagne du terroir?