Société

Ennemi public #1 : Les belles lettres

En plus de vos nombreuses réactions sur notre site Internet, je reçois un abondant courrier ces jours-ci. Celui-là est principalement composé de récriminations, de demandes spéciales, d’insultes, ou parfois, de messages cryptés, enluminés de cartes cosmogoniques, promettant une fin du monde prochaine et ma damnation éternelle. Si l’érudition de leurs auteurs n’était pas aussi révélatrice de leur profonde folie, j’en frémirais d’horreur.

Mais outre ces considérations apocalyptiques, plusieurs messages heureusement plus terre à terre me parviennent, dont quelques-uns concernant ma position funambulesque à propos des grèves étudiantes. "Coudonc, t’es pour ou contre?" m’interrogent ces lecteurs et lectrices qui, dubitatifs devant ma position de la semaine dernière, vont sans doute être déçus de ma réponse:

Je sais pas, bon.

D’un côté, il y a quelque chose de sain et de romantique dans la contestation étudiante, peu importe sa forme. Je pense que c’est George Bernard Shaw qui disait un truc du genre: si t’es pas socialiste à 18 ans, t’as pas de cœur, et si tu l’es encore à 40, t’es pas vite vite. Voyez, moi, je suis entre deux âges: de moins en moins de cœur et de moins en moins vite. Ce qui explique pas mal de choses.

Par ailleurs, les demandes parfaitement utopiques des groupes étudiants m’agacent au plus haut point. La gratuité scolaire pour tous? Théoriquement, je veux bien, mais ça dépend de ce que vous êtes prêts à sacrifier en retour. Surtout que le premier sacrifice à faire sera justement dans la qualité de l’enseignement, si on prend pour exemple le modèle français, dont le système universitaire est désormais parfaitement exsangue et dont les institutions se classent parmi les plus pauvres d’Europe.

Vous voulez l’équité pour tous? Vous voyez, comme moi, la transformation de bourses en prêts comme une hérésie dans un contexte d’accessibilité? La seule solution que je vois, qui pourrait convenir au gouvernement et, ne les oubliez pas, à ceux qui l’ont élu en croyant dur comme fer à des baisses d’impôts, c’est la hausse des frais de scolarité pour tous et l’augmentation du budget consenti aux bourses. Je vous le dis, dans le contexte actuel, c’est selon moi la seule solution envisageable. Tout le reste n’est que pure fantaisie.

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Toujours le courrier, un lecteur m’écrit gentiment: "Monsieur Desjardins, permettez-moi ce conseil, il serait opportun de prendre périodiquement congé de votre poste d’observation sociétale. Être trop longtemps spectateur, ça finit tôt ou tard par nous rendre las et émousser notre jugement. […] Non, sérieusement! Vous êtes rendu que vous idolâtrez un type qui s’est tiré une balle. L’heure est grave."

Blablabla! Visiblement, vous n’avez aucune idée de ce dont vous parlez. Le type en question est Hunter S. Thompson, le pape du journalisme contre-culturel aux États-Unis, sujet de cette chronique il y a deux semaines.

Sans trop exagérer, ce type fut au journalisme ce que Jack Kerouac fut à la littérature. Alors si Kerouac, alcoolique notoire, s’est lentement suicidé à la boisson pour clamser d’une cirrhose du foie, doit-on pour autant ignorer son apport incalculable au monde littéraire? Considérez-vous avec le même mépris et la même ignorance vos congénères qui, eux, idolâtrent les Hubert Aquin, Nick Drake, Virginia Woolf, Primo Levi, Ernest Hemingway, Kurt Cobain, Gilles Deleuze ou Van Gogh, tous suicidés? Voyons donc.

Thompson était comme la plupart des génies: un être humain parfaitement détestable, bourré de contradictions, totalement imbu de sa personne, insupportablement barge dans la vie de tous les jours.

Il n’est pas question de glorifier sa folie, encore moins sa manière d’en finir, mais bien ce talent que ni vous ni moi ne pouvons même rêver de toucher du bout du doigt.

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On termine avec un message qui me parvient, sans toutefois m’être adressé, concernant le procès intenté par Sophie Chiasson contre Jeff Fillion.

Son auteure écrit: "La défense est en train de gagner des points en détruisant complètement l’image de Sophie Chiasson […], en disant qu’elle est une femme aux mœurs légères, qu’elle a eu plusieurs petits amis et que cela donnerait raison à Fillion!"

Alors la défense tente de prouver que Sophie Chiasson est bel et bien la petite pute qu’on a voulu dépeindre en ondes? Pas surprenant. Mais laissez-moi vous raconter quelque chose.

Chaque matin, Jeff Fillion se présente comme le sauveur de l’humanité, un messie, un libre penseur, la seule voix qui se détache de la pensée unique qui sévit au Québec.

Et chaque matin, il utilise cette voix pour vendre n’importe quoi, en direct sur les ondes. Des nettoyeurs, des portes et fenêtres, des restos.

Chaque matin, cette voix supposément libre se transforme en cri de vendeur de chars.

Où je veux en venir? Juste au fait que les putes ne sont pas toujours celles qu’on pense.