Mouvement des arts et des lettres : la parole aux artistes : Cris du coeur
Société

Mouvement des arts et des lettres : la parole aux artistes : Cris du coeur

Après avoir questionné les politiques face à l’indécent sous-financement de la culture au Québec, Voir cède à nouveau cette semaine la parole à quelques acteurs prépondérants des différentes disciplines qui partagent les inquiétudes et revendications du Mouvement pour les Arts et les Lettres. Cette semaine, place aux arts visuels avec Francine Larivée et Stéphanie Béliveau et à la danse avec Anik Bissonnette.

UN MAL-ÊTRE

Nous, les artistes en arts visuels, prenons rarement la parole. Nous sommes confrontés à cette gêne et à cette peur d’avouer un mal-être; cette angoisse de ne pouvoir assumer ni le quotidien ni la poursuite de notre œuvre. Faut-il que la détresse vécue s’exprime par un cri… au nom du "je" et du "nous"?

Malgré la reconnaissance nationale et internationale des talents artistiques québécois, nous voulons souligner l’état de pauvreté inconcevable dans lequel vivent la plupart des artistes, et tout particulièrement ceux des arts visuels, dont le revenu annuel est souvent sous le seuil de la pauvreté.

En effet, la situation économique des artistes en arts visuels est unique dans le milieu culturel. Nous sommes à la fois les créateurs et les producteurs de nos œuvres, ayant à assumer tous les coûts inhérents: espaces de travail, matériaux, services techniques, transport et entreposage des œuvres, etc. Toutes ces étapes, de la conception de l’œuvre à sa présentation dans un lieu public, reposent entièrement et uniquement sur les épaules de l’artiste. Ne serait-il pas temps que les programmes de subventions tiennent compte de ces conditions de production?

Cette situation ne prévaut pas seulement chez les jeunes artistes qui débutent. Plusieurs artistes connus et reconnus se retrouvent dans le plus grand dénuement s’ils n’ont pas un travail d’enseignement. C’est inadmissible! La reconnaissance publique et professionnelle n’est pas garante de revenus pour l’artiste; pour une exposition solo dans un musée ou une galerie, l’artiste ne reçoit qu’un montant maximal de 1500 $ en redevances pour les droits d’exposition. Quand on sait qu’un solo peut demander des mois, voire des années de travail…

Nous sommes des travailleurs à part entière et la plupart d’entre nous sont hautement scolarisés. Ne devrions-nous pas avoir droit, comme tous les autres travailleurs du Québec, à des conditions de vie décentes et à des revenus équitables? En tant que travailleurs autonomes, nous n’avons accès à aucun avantage social, régime d’assurance-emploi ou fonds de retraite. Tous les artistes vivent la même réalité, qu’elle ou il soit artiste de la relève ou artiste reconnu(e).

Et qu’advient-il de ces jeunes artistes sortant de l’université, diplômés, seuls, isolés, sans aucun moyen de subsistance pour vivre et créer? Est-ce que quelqu’un se soucie de leur sort?

Tout le milieu vit cette situation précaire de sous-financement chronique, tant les historiens de l’art que les critiques pigistes, les commissaires indépendants, les travailleurs des centres d’artistes et des galeries privées, sans oublier ceux des revues spécialisées.

Qui peut nier aujourd’hui l’importance des arts et de la culture? Que ce soient les arts visuels, les métiers d’art, le théâtre, la danse, la littérature, la musique, les arts médiatiques ou les arts du cirque, tous sont des vecteurs importants du développement de notre société, de sa spécificité culturelle et de son rayonnement tant sur notre territoire qu’à l’étranger.

En 1988, une certaine volonté de soutenir les créateurs s’est exprimée par la loi

S-32.01, la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, et en 1994, par la Politique culturelle du Gouvernement du Québec qui a mené à la création du Conseil des arts et des lettres. Depuis, la situation a très peu évolué. Très peu d’artistes peuvent vivre uniquement de leur production.

La réalité: notre société, telle que nous la connaissons, ne soutient pas ses créateurs, et plus spécifiquement ses artistes en arts visuels.

Oublions-nous que les artistes sont le tissu vivant d’une société et que c’est à travers leurs œuvres qu’une nation se pense, se définit et prend conscience de ses possibles?

Francine Larivée et Stéphanie Béliveau
Artistes en arts visuels

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LA DANSE AGONISE…

Pas encore, pas tout à fait. La danse souffre d’un excès de vitalité que des diètes sévères n’ont pas réussi à mater. Mais les effets pervers commencent à se manifester. Coup sur coup ferment le FIND et la Fondation Jean-Pierre Perreault, deux piliers de la danse contemporaine à Montréal. Pourrait suivre la disparition des Grands Ballets Canadiens, s’ils venaient à perdre l’usage de la salle Maisonneuve de la Place des Arts, ce qui balaierait du revers de la main une grande institution et 50 ans de danse classique. Il suffirait que les coupures annoncées de deux millions de dollars dans le programme de soutien à la diffusion internationale du ministère des Affaires étrangères soient effectives pour que d’autres fleurons de la danse québécoise rendent l’âme. Et s’il fallait que les budgets du CALQ et du CAC soient gelés ou dégraissés de quelques millions pour les investir ailleurs? Dans Ubisoft, dans Bombardier, dans une nouvelle commission d’enquête…

Manque de pot, la danse prend son essor en période de récession suivie d’une ère de déficit zéro. Bien qu’elle soit soumise dès sa tendre enfance à la méthode du compte-gouttes et, à l’adolescence, au principe de l’entonnoir, les compagnies de danse ne cessent de proliférer. Comme autant de cellules mangeuses de fonds publics, dit-on. En l’espace de vingt ans, les dévoreuses sont passées de huit à une quarantaine, sans compter le nombre élevé de sans-papiers, combatifs comme c’est pas permis.

Tous sont maintenant à trouver des solutions administratives imaginatives, à mettre en partage leurs ressources, ressources déjà partagées et qui, année après année, stagnent alors que la danse, elle, n’en finit pas de faire des petits. Joli casse-tête, d’autant que par instinct de survie, la communauté s’appuie sur une culture de dépendance qui rend extrêmement fragiles tous les maillons de la chaîne. Une hausse de loyer quelque part dans la chaîne et tout le monde divise la facture.

Que dire des quelques grandes compagnies dont la santé dépend des fluctuations du dollar et de leur cote sur les marchés étrangers, en l’absence d’un marché intérieur et d’une vision affirmée et partagée du développement de public sur le territoire? Alors que la clé du développement en danse, dit-on, est la diffusion internationale, aucune politique de soutien à l’exportation culturelle n’existe tant du côté du Québec que du Canada. Faut-il attendre que ces compagnies crèvent pour reconnaître, mais trop tard, que la danse a besoin d’un solide rattrapage en financement public pour se donner des assises solides?

Ce n’est pas faute d’avoir sonné l’alarme. Mais c’est comprendre à moitié le cri du cœur des interprètes quand, plutôt que de leur offrir des perspectives de travail, en donnant aux chorégraphes la possibilité de les faire danser, on leur promet une prime de travail et, pour prévenir des blessures chroniques, une éventuelle couverture d’assurance durant leur entraînement quand ils sont sans contrat. C’est ne pas entendre le cri du cœur des créateurs quand on leur promet qu’ils pourront un jour étaler leurs revenus, alors que ce qu’ils demandent, ce sont les moyens de créer un capital artistique vibrant pour l’ensemble d’une collectivité.

Depuis vingt ans, pullulent, contre toute mesure d’attrition, des chorégraphes et des interprètes talentueux. Autour de cette mine riche à craquer, gravitent plusieurs compagnies tout aussi vulnérables les unes que les autres, quelques structures de diffusion et organismes de services, tenus à bout de bras par des travailleurs culturels. En amont, quatre écoles professionnelles de danse et des centaines d’autres écoles de danse, réparties aux quatre coins du Québec, préparent la relève et le public de demain. Mais dans quelles conditions et à quel prix? Qu’adviendra-t-il d’autant de promesses gâchées si l’on persiste à appliquer ce qui ressemble à une insidieuse opération de coupe à blanc?

Anik Bissonnette
Présidente du Regroupement québécois de la danse

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