Procès Jackson : Trouver Neverland
Société

Procès Jackson : Trouver Neverland

Freak show ou cirque médiatique? Tout y est: une méga-star déchue, une histoire de cul, de cash, de corruption. Le procès de Michael Jackson promettait d’être l’évènement judiciaire de la décennie. Mais ce qui s’y passe ressemble aux dernières années de la carrière du chanteur: du scandale, mais aucun éclat. Anne-Marie Withenshaw est allée se balader à 280 km de Los Angeles.

7h10. Départ de Los Angeles, direction Santa Maria. Trois heures de route, deux cafés et une contravention pour vitesse (!) plus tard, me voilà dans une station-service à demander à la dame derrière le comptoir comment me rendre au Lewellen Justice Center, le palais de justice de cette ville de 86 000 habitants qui, depuis quelques mois, accueille le cortège Jackson et tout le battage médiatique qui s’ensuit. Elle me dessine une petite carte et m’annonce en riant que la Main de Santa Maria et son procès-vedette se trouvent à quelques coins de rue seulement. "You can’t miss it, Honey!"

10h35. Une fois la voiture garée, direction accréditation médias. La Ford Focus qui est devant ma voiture de location affiche fièrement son allégeance au Roi de la Pop, avec une photo du King collée dans sa vitre arrière, graffitée au Sharpie des mots "We Support MJ". Je fais quelques pas vers le Justice Center et cherche des yeux la horde de fans, les caméras d’Access Hollywood, les agents de sécurité à l’air menaçant. Rien. Je trouve plutôt Peter Shaplen, chargé des relations de presse, qui s’occupe de me mettre au cou une passe de presse et de me diriger vers mon spot attitré, sur la ligne de tir des médias. Officiellement, 1100 représentants de différents médias, en provenance de plus de 25 pays, du Japon à la Russie, du Brésil à la Pologne, sont sur place, remplissant les hôtels, motels et appartements à louer de cette communauté tranquille, entourée de vignobles et de ranchs où l’on cultive les brocolis, les fraises et les artichauts. Le Santa Maria Inn, qui a déjà compté Clark Gable, Bette Davis, Joan Crawford et Rudolph Valentino parmi ses invités de renom, peut maintenant se vanter d’offrir le Michael Jackson Trial Special aux journalistes comme aux curieux.

11h10. Me voilà donc dans le stationnement devant le palais de justice, entre un reporter d’un quotidien suédois et l’équipe de Celebrity Justice, dont les producteurs faisaient pratiquement la roue tant un procès de ce genre génère des cotes d’écoute à l’émission. Je m’informe parmi la cinquantaine de reporters et la trentaine de photographes admis dans l’enclos des médias; on me dit que Jackson entre à 8h30 précises et quitte vers les 14h30, à moins de trois mètres des médias. À première vue, l’imposante présence journalistique et la rue adjacente au palais remplie de véhicules de transmission par satellite suggèrent qu’un événement à la hauteur de la démesure anticipée se déroule. Mais où sont les fans?

12h55. Pas difficile de trouver un endroit où dîner. On a mis sur pied le site www.eatmj.com, un "Guide gastronomique du procès Jackson". Trop weird. Chez Coffee Diem, le café Internet le plus près du palais de justice, on peut louer un ordinateur avec accès à haute vitesse pour la modique somme de… 250 $ par jour! Carmen Jenkins, la proprio, signale que le tarif est descendu de moitié depuis la fin de la sélection des jurés. Parce qu’effectivement, si des centaines de fans, de journalistes et d’entrepreneurs potentiels ont débarqué à Santa Maria dès les premières procédures judiciaires en début d’année, l’armée Jackson est maintenant réduite à quelque 30 fidèles et la présence média a diminué de moitié.

13h27. Une imposante clôture et de larges barrières ont été installées en janvier pour contenir la foule de fans non existante. Trois shérifs, l’air ennuyé, tiennent la garde devant la barricade, sur laquelle on peut lire "No Public Entrance". Des ados, des adultes, des noirs, des blancs, des hispaniques; rien ne distingue particulièrement les fans de MJ, sinon leur loyauté féroce. Parmi les accros (un peu étranges, soyons francs) qui restent, une femme d’une trentaine d’années, venue de Grande-Bretagne, m’explique qu’elle a deux enfants, mais que Michael est tout aussi important que les deux bambins qui l’attendent de l’autre côté de l’Atlantique: "Michael est un père spirituel pour moi." Plus loin, deux jeunes adolescents latinos, venus en couple, déclarent qu’ils seront sur place chaque jour, même les week-ends, pour "montrer leur soutien" à Michael. Aux petites heures du matin, ils font la file devant le palais de justice pour se procurer une floater pass, collant jaune sur lequel sont inscrits les mots "People Versus Jackson", et qui donne accès à la salle d’audience. La passe est attribuée aux premiers arrivés, selon un système de loterie. Comme la barricade, le tirage au sort s’avère inutile puisque seulement une vingtaine de fans était sur place, alors que 40 sièges sont réservés chaque jour aux groupies. "Les fans seront là", m’assure Chris, un des deux latinos. "Ils viendront lorsque les témoins plus célèbres témoigneront."

14h02. Entretien avec d’autres admirateurs de Jackson, qui arrivent à temps pour sa sortie prévue dans une trentaine de minutes. Jaye est venu de New York vendre des chandails "Michael Jackson is innocent". Il me parle d’une connexion spirituelle avec son héros, accusé d’attouchement sur un mineur: "Nous avons la même âme", affirme-t-il le plus sérieusement du monde. Craig, un ado obèse et barbu, écoute du Jackson dans son lecteur portatif et m’annonce fièrement qu’il a lâché l’école secondaire, au Tennessee, pour venir suivre le procès de près. Une dame d’âge mûr, arborant les bas blancs et les loafers noirs typiques de son idole, presse son corps contre une barricade, espérant apercevoir le chanteur.

14h34. Prévoyant y louer son toit à des centaines de dollars le pied carré, le propriétaire de l’autobus Big Red Tours avait stationné son autocar de style double decker devant l’entrée principale de la cour. Il a triste mine, car son autobus est vide. Soudainement, dans le stationnement, les caméramans se placent, les journalistes prennent leur micro, les fans applaudissent, crient, envoient des "We Love You, Michael!" frénétiques. Mais même les entrées et sorties de Jackson sont relativement sans éclat. Alors qu’en janvier, lors de la sélection du jury, on l’avait vu danser sur le toit du véhicule utilitaire qui l’amène chaque jour au palais de justice, et donc offrir aux médias comme aux centaines de fans alors présents une image aussi flamboyante que le personnage, Jackson se fait relativement discret. Sous un large parapluie noir, malgré le ciel dégagé, il quitte le Justice Center, escorté par trois agents de sécurité, entouré de sa mère et de son frère Randy, envoyant sobrement la main, rien de plus. Les analystes légaux de CNN comme de la BBC vont rejoindre leurs équipes respectives sur la ligne média pour commenter la journée qui vient de se terminer. Sur le point de quitter, je recroise Jaye, qui est aux anges. "Il m’a vu! Il m’a vu lui envoyer la main! Je viens chaque jour, pour ce petit moment, et lancer dans l’univers le karma de son innocence. Mais dis donc, tu ne voudrais pas m’acheter un t-shirt en passant?"