Mouvement des arts et des lettres : Yves Neveu et Monique Giard : Cri du coeur
Après avoir questionné les politiques face à l’indécent sous-financement de la culture au Québec, Voir cède la parole cette semaine à Monique Giard, céramiste, et Yves Neveu, président du regroupement national des arts du cirque, qui partagent leurs inquiétudes et revendications du Mouvement pour les Arts et les Lettres.
MONTRÉAL, CAPITALE INTERNATIONALE DES ARTS DU CIRQUE?
La très grande majorité de celles et ceux qui font tous les jours la culture québécoise vivent avec peu de moyens. Malheureusement, les artistes de cirque n’échappent pas à cette situation. Oubliez les méga-productions présentées à Las Vegas avec des budgets comparables au P.I.B. de la Guinée-Bissau, il ne s’agit pas là d’un portrait fidèle de la réalité. En effet, la plupart des artistes de cirque ont en commun avec le reste de la communauté artistique une existence marquée du sceau du sous-financement. En Piste, le regroupement national des arts du cirque, s’inquiète de cette situation.
Certes, nous nous réjouissons que le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) ait reconnu en 2001 les arts du cirque comme un art à part entière. Toutefois, les budgets octroyés à nos artistes et créateurs sont peu élevés et n’ont malheureusement pas évolué au cours des trois dernières années, ne totalisant toujours qu’un maigre 650 000 $. En cette période où l’on nous répète à satiété que l’économie va mal (ce qui est faux) et que l’État n’a plus les moyens, ce montant n’en demeure pas moins ridicule. En faisant le calcul, on se rend vite compte que c’est bien peu pour tout faire: les bourses aux artistes (En Piste compte plus de 200 membres), les projets de création, le soutien à la diffusion au Québec et à l’étranger (pensons à ce qu’une trapéziste doit mettre dans ses bagages et aux frais que cela occasionne! Imaginez maintenant une troupe au complet!!!), l’aide au fonctionnement de l’association et aux divers organismes, incluant le Cirque Éloize et le Théâtre de l’Aubergine, Les 7 doigts de la main se voyant toujours refuser ce soutien, malgré leur indéniable talent et leur rayonnement planétaire, faute d’argent dira-t-on.
Ce sous-financement chronique transforme nos idoles en bénévoles qui doivent se battre tous les jours pour assurer leur subsistance. Dans un climat d’insécurité quotidienne, ils doivent jongler avec des budgets faméliques, en équilibre sur un fil pour finalement se lancer sans filet dans un monde de plus en plus compétitif. Faire de telles acrobaties en piste est notre métier; les faire hors piste au quotidien nous empêche de l’exercer correctement et entraîne des risques d’accidents qui peuvent mettre en danger la santé, voire la vie des artistes.
Peu de gens savent que soutenir la culture est économiquement rentable, chaque dollar investi dans les arts entraînant des retombées économiques supérieures à celles de tout autre secteur. De plus, une vie culturelle diversifiée est une composante essentielle d’un environnement propice à l’installation de grandes entreprises. Et puis, quel autre secteur d’activités offre un tel rayonnement sur le plan national et international?
Pendant ses années passées dans l’opposition, l’actuelle ministre de la Culture, madame Line Beauchamp, s’est à maintes reprises portée à la défense des artistes. De rempart à tremplin, un document émanant du Parti libéral, s’inscrit également dans cette pensée puisqu’on y indique vouloir "cibler les créateurs comme principaux bénéficiaires des réinvestissements dans le CALQ". C’est un point de vue que nous partageons; le réinvestissement dans des organismes comme le CALQ est sans contredit ce qui permettra aux créateurs de vivre décemment de leur art.
En encourageant la création, nous contribuons à la santé et la prospérité de toute la société et à l’épanouissement de ses citoyens. Nous voulons que Montréal devienne une capitale internationale des arts du cirque? Beau projet auquel nous ne pouvons qu’applaudir. Mais investir dans le béton, que le résultat soit spectaculaire et unique ou non d’un point de vue architectural, ne suffira pas. Il faut aussi pouvoir y présenter des créations et, pour ce faire, on a besoin de créateurs. Il est maintenant temps de passer des paroles aux actes et de faire preuve de cohérence. Car, comme disait Malraux, la culture, c’est ce qui a fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers…
Yves Neveu
Président
En Piste, regroupement national des arts du cirque
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Madame la Ministre,
Qu’il était chaud et réconfortant, ce soleil qui brillait au temps de cette période préélectorale. Que vous étiez souriante et détendue, vous notre complice, qui compreniez et assumiez avec nous, du milieu des arts et des lettres, la nécessité de nous extirper de cette précarité morbide dans laquelle on nous enfonçait année après année à votre grande indignation.
Puis, la saison électorale approchant, ce fut le temps des engagements, des promesses, des projets, d’une vision d’un autre monde où enfin les métiers d’art et les artisans qui en vivent sortiraient de la misère dans laquelle on les a confinés afin de libérer les forces créatrices de ce secteur auquel vous vouez une admiration sans borne.
Le milieu des métiers d’art associé régulièrement à la danse comme étant les deux parents pauvres de la culture québécoise. Ce milieu des métiers d’art qui a fait l’objet au fil des années de maintes études, de multiples recommandations, ce milieu que l’on a couvert d’engagements et de promesses, vous l’avez rassuré. Vous étiez prête, déterminée à sortir les métiers d’art de l’insécurité financière chronique dans laquelle ils sont confinés. Vous étiez décidée à vous battre bec et ongles pour que la plus élémentaire équité en matière de financement de ces créateurs et artisans soit désormais la règle.
Que s’est-il passé? Comment se fait-il que le secteur des métiers d’art, de malade qu’il était par son sous-financement, se retrouve aujourd’hui dans l’antichambre des soins intensifs?
Avec l’énergie du désespoir, nous continuons de créer, nous encourageons les jeunes à rejoindre la relève, à fréquenter des écoles-ateliers dont l’existence même est menacée. Nous hurlons notre foi dans le talent et la créativité de celles et ceux qu’on appelle les mains d’ici, et le seul écho qui nous parvient est celui de la rage que nous arrivons de plus en plus difficilement à contenir.
Que s’est-il passé? Ce pouvoir que vous recherchiez afin de "transformer les choses", vous l’avez. Qui vous empêche de parler et, si nécessaire, de crier à votre tour? À moins que le pouvoir ne provoque cette cécité qui atteint souvent et sans égard aux lignes partisanes celles et ceux qui y accèdent.
Déçus pour ne pas dire écœurés, mais non désespérés, nous les artisans en métiers d’art continuerons de réclamer justice et équité. Nous refusons d’être oubliés dans le couloir des soins intensifs.
Monique Giard, artiste céramiste
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