Société

Ennemi public #1 : De la télé et des agents d’immeubles

Retour sur la chronique de la semaine dernière dans laquelle je vous avouais bien candidement que j’allais m’ennuyer de vomir un animateur tombé au combat. Mea culpa. J’adore haïr. J’aime détester. Je lis, j’écoute et je regarde autant pour m’amuser, pour apprendre et pour aimer que pour maudire.

Pas vous? Et pourtant, quel bonheur pervers de lire Franco Nuovo pour mieux apprécier son talent d’animateur à la radio, d’écouter Languirand pour se consoler de sa propre ignorance en matière de pétrissage des chakras, de regarder Eric Salvail pour se convaincre que la télé québécoise, lorsque vient le temps de jouer la carte du cheap grand public, n’a que peu à envier aux USA ou à la France. Sinon le fric des premiers et les froufrous du second.

Parlant de Salvail, je le déteste avec une passion délirante, le considérant comme la parfaite incarnation de la vulgarité télévisuelle. Non parce qu’il raconte des obscénités qui font glousser les matantes et rougir les grand-mères. Non plus parce qu’il anime une télé-réalité d’une insondable connerie. Mais plutôt à cause de sa guidounerie qu’on nous présente pourtant comme un bel exemple de détermination, un success story. À cause de sa façon bien impudique de réclamer de l’amour et de la célébrité à tout prix. Comme si montrer sa gueule à la télé était une finalité, comme si faire dégouliner son imbécillité au plus grand bonheur des téléspectateurs était un métier enviable.

La célébrité, ce fléau. Dans un tout autre registre, vous remarquerez que même certains agents d’immeubles s’y laissent prendre, adoptant des airs de vedettes, affichant sur leurs pancartes des photos où le sourire épais du vendeur emphatique a été remplacé par la bouille zoolandesque du mannequin en papier glacé. Juste ce qu’il faut de mystère et de suffisance sur fond noir tragique ou gris mélancolique. J’en ai aperçu deux spécimens savoureux qui apparaissent avec régularité sur l’un de mes parcours de jogging favoris. Tellement pissants que la première fois où je les ai vus, j’ai dû m’arrêter et revenir sur mes pas pour m’assurer que je n’avais pas halluciné. Les joues creuses, le regard perdu dans l’abîme de leur rapport d’impôts, l’ombre d’une repousse de barbe virile. Coudonc, les boys, vous vendez quoi au juste, des maisons ou le parfum d’une marque de bobettes?

Mais ceci est un retour sur la chronique de la semaine dernière, disais-je? J’ai menti. C’est plutôt un prétexte pour vous montrer que si des fleurs ou du pot, le second fait un bien meilleur projectile, je suis aussi capable d’aimer d’amour. Même quand cela concerne la damnée télé.

Aussi, permettez que je m’étende sans trop me répandre sur toute l’admiration que j’éprouve à l’endroit de Julie Drolet, chef d’antenne qui m’a réconcilié avec le bulletin de nouvelles de 18 h à la SRC de Québec. On m’a dit – et j’ignore si cela est vrai – que la dame est excessivement exigeante, voire difficile. Qu’est-ce qu’on en a à foutre? Que ce soit grâce à son charme, son regard pétillant, son sérieux, son évidente passion du métier, ou tout cela ensemble, reste qu’elle réussit là où un chapelet de gars se sont cassé les dents avant elle. Elle parvient à être rigoureuse sans paraître précieuse, ne s’embarrasse pas d’un humour simplet pour faire people: elle nous rappelle que ce sont les nouvelles, que c’est Radio-Canada, et pas le Festival du grand rire jaune. Bref, madame, félicitations pour votre beau programme. Vous y apportez un peu d’âme.

Enfin, toujours à la télé, j’adore une autre émission, aux antipodes du Téléjournal. Cela s’appelle La Nouvelle École, et c’est la seule chose qui puisse me faire passer plus de 30 secondes à l’antenne du canal Vox. La Nouvelle École, c’est un ovni télévisuel. Des petits crisses, des skateux irrévérencieux avec des faces à fesser dedans qui, caméra à la main, proposent un show sur les sports marginaux, du snowboard urbain au trampoline de compétition.

J’adore ces petits morons qui font de leur insouciance une marque de commerce, un sceau d’authenticité, qui donnent l’air de s’en foutre alors que c’est tout le contraire.

Le rapport avec la chef d’antenne?

C’est que contrairement aux Eric Salvail de ce monde, les ti-culs de La Nouvelle École et Julie Drolet ne paraissent pas motivés que par l’envie d’être vus, mais aussi par celle de montrer, d’expliquer, de transmettre.

Je ne vous dis pas que ces gens-là ne sont pas obsédés par leur image. En fait, je n’en sais rien, et au fond, on s’en contrefiche. Ce qui importe, c’est qu’ils savent parfois s’oublier.

Ils ne sont pas seuls. Mais avouez que dans un univers de vedettes plus intéressées par leur propre personne que par leur sujet, il est toujours rassurant de croiser des gens dont le succès repose sur autre chose qu’une belle gueule d’agent d’immeubles.