Le Plateau : Sur un plateau

Quel est le point commun entre l’école Le Plateau, l’épicerie Jean Paré et la piscine Lévesque? Les trois bâtiments et quelque 157 autres ont été choisis comme témoins architecturaux significatifs du Plateau Mont-Royal. La liste officielle, présentée sur le site Internet de l’arrondissement, donne à voir, parfois de façon surprenante, tous les types d’architecture présents dans l’arrondissement. On y découvre, éberlué, que les petites ruelles du Plateau abritent des constructions d’inspiration napoléonienne, Bauhaus, contemporaine, Art déco ou encore néo-romane. On y apprend aussi qu’au-delà du triplex existent d’autres traits typiques, comme les maisons de faubourg (maisons les plus anciennes, datant de la deuxième moitié du 19e siècle); qu’en levant le nez il est possible d’admirer, boulevard Saint-Laurent, des édifices issus de l’école de Chicago; ou bien encore que l’avenue du Parc est l’un des berceaux des conciergeries (bâtiments en U avec cour à l’avant).

Qu’on se demande ce que l’arrondissement du Plateau a de plus que les autres et il sera désormais facile de répondre: une réglementation pour protéger son patrimoine architectural qui englobe la totalité des constructions et repose sur une étude typo-morphologique (étude des grandes périodes de développement et des caractéristiques urbaines et architecturales des bâtiments). Le Plateau peut désormais se vanter d’être la seule localité de plus de 100 000 habitants à posséder ce genre de règlement d’urbanisme, habituellement réservé au centre historique des villages. Toute une gageure quand on sait que le nombre de permis de construction est en continuelle augmentation (on est passé de 1113 demandes en 2003 à 1361 en 2004), tout comme la valeur des travaux de rénovation en secteur résidentiel et commercial, qui est passée de 33 millions de dollars à 46 millions de dollars durant la même période.

"Une première au Québec", aime-t-on répéter fièrement aux bureaux de l’arrondissement, qui a nécessité plus de deux années de recherche et de consultations auprès de la population. Un projet qui repose sur une "évaluation qualitative, et non plus normative", soulignent en chœur Michel Tanguay, chargé de communication et Claude Laurin, chef de division. Le leitmotiv peut porter à sourire mais révèle un réel changement de cap dans la gestion de l’urbanisme: "Auparavant, en vertu de la réglementation de 1992, l’évaluation qualitative ne concernait que les façades, sur seulement 25 % du territoire, explique Michel Tanguay. Aujourd’hui, il n’est pas un seul projet de construction, démolition ou rénovation qui ne doive passer devant le comité de consultation mis en place par l’arrondissement. Il nous est, de plus, beaucoup plus facile de faire stopper des travaux qui n’auraient pas obtenu de permis."

Pour rendre leur jugement, les membres du comité consultatif se réfèrent aux résultats de l’étude typo-morphologique. Ainsi peut-on savoir, selon un plan de l’arrondissement découpé en 5 aires et en 53 unités de paysage, quels sont les critères à suivre pour construire un immeuble. Les nouvelles constructions doivent notamment prendre en considération le caractère des constructions voisines (niveau des planchers, parements, couronnements, saillies, matériaux utilisés, espaces libres…), ce qui évite, selon Claude Laurin, les bâtiments "mutants" tels qu’on a pu les voir se développer dans les trois dernières années. Strictes, les nouvelles règles du jeu? Plutôt "un gain de temps", répond cette dernière qui insiste sur l’aspect pratique de la réglementation, qui a pour effet d’obliger les entrepreneurs à se renseigner de manière complète avant d’aller de l’avant. Un règlement qui fait consensus, ajoute François Contant, architecte préposé à la planification, qui rappelle que "le comité de consultation est aussi constitué de citoyens" et qu’"il ne s’agit pas de faire du faux vieux, mais une architecture contemporaine de qualité".

Côté rénovations, rien n’est négligé pour préserver les caractéristiques architecturales originales des bâtiments déjà existants. Plus question de remplacer les fenêtres à guillotine par une ouverture de style moderne à la légère. Du toit à la porte, en passant par les escaliers, désormais rien n’échappe à l’œil scrutateur des fonctionnaires de l’arrondissement. On promet même aux propriétaires désireux d’effectuer des changements toutes sortes de conseils pratiques. Gaétan Ricard, agent technique en architecture, fait remarquer que "beaucoup de gens remplacent parce qu’ils ne connaissent pas la valeur des choses". Référence faite principalement aux fenêtres et aux portes en bois, régulièrement mises à la poubelle au profit de modèles modernes et coûteux.

En mettant l’accent sur la rénovation et sur l’insertion architecturale, l’arrondissement participe à un changement de mentalités plus vaste. Une sorte de retour à l’authenticité souhaité par les habitants du quartier et qui constitue, selon Claude Laurin, une réponse à la perte d’intégrité architecturale vécue dans les années 70 et 80: "C’était l’époque de Drapeau, on voulait assainir Montréal et on était dans un processus industriel. Aujourd’hui, on revient à une échelle plus humaine, comme en témoigne le nombre de nouveaux petits commerces spécialisés en rénovation qui ouvrent depuis cinq ou six ans dans l’arrondissement. Lorsque les gens viennent nous voir avec l’intention de remplacer, ils repartent avec de quoi rénover, ils ont accès à des ressources spécialisées."

Prochain objectif pour François Contant: une prise en compte plus exhaustive du patrimoine moderne: "L’architecture moderne est aussi présente sur le Plateau mais elle est encore sous-estimée. Or, il faut connaître avant de réglementer, problème auquel on fait face actuellement dans le centre-ville, avec la controverse autour de la Place Ville-Marie. Tout un nouveau champ à explorer…"