Les radios communautaires à Québec : Ici Radio Crève-la-faim
Qu’est-ce que faire de la radio communautaire à Québec aujourd’hui? Galvanisés par une très grande liberté de manœuvre, mais étouffés par de sempiternelles contraintes financières, les principaux artisans des stations de Québec nous parlent de leur travail quasi héroïque.
La plupart des artisans interrogés ont soutenu que c’est la grande liberté leur étant consentie qui constitue le plus grand avantage de la radiophonie communautaire. Aussi, bien qu’elles aient toutes un son propre et une couleur particulière, les radios communautaires de Québec ont en commun cette volonté de donner accès aux ondes aux citoyens et de servir de courroie de transmission à leurs préoccupations. La résistance aux diktats de l’industrie de la musique commerciale en vue d’offrir une tribune aux artistes de la relève ou de la marge, comme aux styles ou aux genres musicaux alternatifs, se veut un deuxième grand principe partagé par les stations. Mais les missions qu’elles se donnent s’exercent dans des conditions financières de plus en plus difficiles.
LA PUB OU LA VIE
CKRL bouclait récemment son 24e radiothon annuel par une récolte d’un peu plus de 40 000 $. Soit 2000 $ de moins que l’année dernière. La station communautaire possédant le plus gros budget, 418 000 $ l’an dernier, a néanmoins essuyé un déficit de 27 000 $. La "radio des découvertes" doit, année après année, à l’image des autres stations, composer avec une situation financière précaire, ce qui l’a incitée à accorder au fil du temps de plus en plus d’espace à la publicité sur ses ondes. Une décision qui n’a pas été sans causer des frictions, admet Éric Couture, directeur de la programmation à CKRL, certains craignant de voir la station dévier de sa mission. "On a senti le besoin de se doter d’un code d’éthique publicitaire, qui nous aide, mais qui nous limite aussi. Cette crise financière crée des frictions parce qu’on est tous surmenés, mais elle a aussi l’avantage de cimenter une équipe où les gens n’ont pas le choix d’être polyvalents et solidaires. Si on avait juste un peu plus d’argent pour se faire connaître, ça nous aiderait énormément…"
Ces déchirements à propos des sources de financement autonomes furent peut-être encore plus marqués à CKIA, reconnue comme la station-phare des combats sociaux et politiques. Durant le Sommet des Amériques, en 2001, la "radio la plus à gauche sur la bande FM" s’est imposée comme un point de ralliement important. Liberté et indépendance sont des notions fondamentales pour ses artisans, qui sont aux prises depuis des lunes avec de très sérieux problèmes financiers. "Nous croyons que la radio est un outil d’information et d’éducation. Jusqu’à récemment, il y avait cette idée de n’avoir de comptes à rendre à personne. En ce moment, on a un gouvernement qui coupe dans tout et on ne peut plus vivre de façon totalement indépendante. Il faut tenir compte de certaines choses", explique Ernst Caze, directeur général de CKIA.
En 2003, une crise a ébranlé les fondements de la station, qui compte 2 salariés et 150 bénévoles. De déchirants débats ont alors eu lieu quant à ses orientations. Avec un maigre budget de 161 162 $ l’an dernier, CKIA, une station où la publicité est quasi inexistante, fait figure d’authentique résistante. Mais le prix à payer pour demeurer entièrement libre et indépendant est devenu insoutenable. "Cette crise a fait la preuve, d’une part, du bon fonctionnement de la démocratie interne chez nous, mais, d’autre part, de la fragilité de la station. Dans l’avenir, c’est sûr qu’il va y avoir de la pub, mais le C.A. devra s’assurer qu’elle est éthique. Le grand démon, ce pourrait être McDonald’s ou Pepsi!" ajoute en rigolant M. Caze.
UN LABEL QUI NUIT?
De l’aveu de Dominic Tessier, directeur de la programmation à CIMI, la station n’a aucunement l’intention de suivre les inclinations sociopolitiques de CKRL ou de CKIA. Aucun code d’éthique publicitaire n’est en vigueur à la station située à Charlesbourg, qui se spécialise dans la talk radio et dont les animateurs s’inspirent ouvertement de CHOI. Avec André Arthur aux commandes de l’émission du matin, la "radio qui vous parle à Québec" annonce clairement ses couleurs. On peut faire de la radio communautaire en défendant des valeurs conservatrices, clame M. Tessier, qui estime du même souffle que c’est le label communautaire qui fait fuir des auditeurs et condamne à la marge les radios communautaires. "L’appellation devrait changer pour »radio locale ». Le communautaire a toujours été lié à la gauche extrémiste ou écolo. Et oui, on est un peu plus de droite. Dans la charte du CRTC, ce n’est pas écrit: »Soyez gauchistes »…"
"On est la radio des nouveautés. Personne ne fait tourner autant de nouveaux trucs que nous", dit de son côté Jean-Philippe Lessard, directeur général de CHYZ, dont le leitmotiv est "J’écoute l’avant-garde". Le rock, le hip-hop et la musique électronique sont les trois principaux genres musicaux de la station, poursuit M. Lessard. CHYZ joue également un rôle informatif très important lors de la présente grève étudiante, mais tous les courants idéologiques sont présents à la station, qui elle non plus n’a pas de code d’éthique en matière de publicité. "C’est sûr que si Wal-Mart voulait annoncer, on se poserait peut-être quelques questions. Mais on n’est pas CKIA et on ne veut pas l’être. Je pense qu’avoir une orientation idéologique nuirait à la radio, même si en général notre approche est plutôt critique."
CIMI et CHYZ avaient pour leur part des budgets respectifs de 225 000 $ et 100 000 $ l’an dernier. Un référendum qui faisait récemment passer la cotisation étudiante de 50 ¢ à 2 $ devrait toutefois aider CHYZ à gonfler son budget aux environs de 230 000 $. La station étudiante compte ainsi se doter au cours des prochains mois d’une nouvelle antenne de 6000 watts, qui lui permettra d’étendre considérablement son rayon d’action.
Dans l’ensemble, la situation des huit radios communautaires urbaines du Québec n’a jamais été aussi catastrophique que maintenant, de l’aveu de Jean-Pierre Bédard, président de l’Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec (ARCQ). Et pour éviter de disparaître, les radios communautaires auront impérativement besoin d’un meilleur soutien, elles qui ne reçoivent en moyenne que 21 % de leur budget en subventions de l’État. "Les radios urbaines sont de plus en plus menacées de fermeture. À Montréal, CIBL est en crise. Ici, CKRL vit des moments difficiles. À Sherbrooke, CFLX est branchée sur le respirateur artificiel."
L’orientation critique en matière sociale et politique n’est pas un vrai problème, de l’avis de M. Bédard, selon qui ce n’est pas tant l’existence de codes d’éthique publicitaire que la compétition des radios commerciales qui fait mal aux radios communautaires urbaines. "Et il ne faudra pas trop compter sur des sommes d’argent supplémentaires de la part du gouvernement. En ce moment, nous travaillons plutôt pour que l’État finance des projets qui permettent de mettre en place une force de vente plus appropriée pour les radios communautaires. Cela pourrait prendre la forme d’un bureau de commercialisation ou d’une agence de représentation possédant les outils nécessaires à un bon travail de prospection pour le compte des radios. Un des moyens de contrer la convergence et la concentration passe peut-être par les radios communautaires. Encore faudrait-il qu’elles aient les moyens d’être cette autre voix", conclut M. Bédard.