Projet Pamplemousse : Chanter la vie
Société

Projet Pamplemousse : Chanter la vie

Afin de briser le tabou entourant la détresse psychologique qui trop souvent se solde par le suicide, un groupe d’artistes lançait lundi dernier l’album En vie. Art engagé.

L’idée de mettre l’art à contribution pour combattre le suicide a germé il y a deux ans, sous la chaleur de juillet, dans la tête de l’auteure Audrey Benoît, qui assure la direction artistique de l’album-bénéfice se voulant le point de départ de l’opération Pamplemousse, dont l’objectif est de rallier la communauté artistique autour de la problématique du suicide, un fléau qui touche le Québec de façon particulière.

Explorer des canaux d’expression neufs et originaux par les moyens de l’art afin de nommer la souffrance psychologique et ainsi aider à prévenir le suicide, telle est la raison d’être fondamentale de l’opération Pamplemousse. "Il fallait trouver un nom joyeux, qui rassemble, et le pamplemousse représente la santé et le soleil", lance Mme Benoît.

Au total, ce sont 14 artistes – Marc Déry (Laissez passer les clowns, de Plamondon), Kevin Parent (Je bois, de Vian) Mara Tremblay (Laura, de Leloup), Ariane Moffatt (Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve, de Gainsbourg), Paul Piché et Daniel Boucher (Dehors juillet, d’Audrey Benoît), Élage et Karim Diouf (Avec l’amour, de Piché), Élie Haroun (Ailleurs, de Marjo), Lulu Hughes (Jeff, de Brel), Charles Dubé (Signe distinctif, de Desjardins), Louis Larivière (À Sophie qui a 15 ans, de Flynn), Stefie Shock et Marie Burke (Au pays de Candy) – qui s’unissent pour exprimer le mal de vivre et la souffrance qui sont le lot de trop de gens dans une société obsédée par le succès et la performance, enchaîne Mme Benoît. "Des gens, à un certain moment, sont plus vulnérables et éprouvent de la difficulté à gérer la pression sociale. On a aussi souvent de la difficulté à écouter et à parler de la détresse psychologique vécue par ces gens. Il existe une espèce d’omerta autour du suicide. C’est très tabou. Trop souvent, quand quelqu’un va mal, on lui dit: "Voyons, ça va passer, tu vas t’en remettre.""

DÉDÉ FORTIN

Le suicide d’André "Dédé" Fortin au printemps 2000 a fortement secoué le Québec et la communauté artistique en particulier. Audrey Benoît a d’ailleurs écrit peu après la pièce Dehors juillet, un texte qui figure sur L’Album en vie (Jajou Productions) et qui fait écho à Dehors novembre, le dernier album des Colocs. "C’est l’histoire d’une personne qui se promène sur le Plateau, en juillet, et qui, malgré les tristesses, les injustices, les trucs poches et les saletés, garde le goût à la vie. La chanson s’adresse aussi à Dédé. Son geste m’a beaucoup attristée, c’était un ami. Et bien sûr que tout ça est relié parce que c’est un suicide qui nous a sidérés. Mais l’opération en elle-même n’est pas un hommage à Dédé Fortin. Ça va faire cinq ans bientôt et peut-être qu’on est capable d’assumer la tristesse que sa mort a causée…"

Selon les statistiques, à 19,1 pour 100 000 habitants (30,7 chez les hommes), le taux de suicide au Québec serait un des plus élevés au monde. Chez les hommes de 15 à 30 ans, il serait même la première cause de décès. Si elles mettent fin à leurs jours dans une moindre mesure, les femmes sont néanmoins plus nombreuses que les hommes à tenter de se suicider et à consommer des antidépresseurs. La détresse psychologique n’a pas de sexe. Problèmes de santé mentale, consommation excessive de drogues et isolement social pavent très souvent la voie au geste fatal ou aux tentatives pour s’enlever la vie.

Le chanteur du groupe Gaïa, Élie Haroun, ne s’est pas fait tirer l’oreille avant de s’investir dans ce projet. Si ce fut un privilège pour les artistes de s’exprimer pour une si noble cause, la rigueur artistique et l’ardeur au travail furent de mise tout au long du processus, assure-t-il. "La majorité des pièces de l’album soulignent vraiment les émotions de désespoir, de sensibilité, d’entraide et de communication. C’est un album qui exprime bien son message et, en tant que citoyen et musicien, j’ai toujours eu un penchant pour les causes sociales ou politiques. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de chansons sans aucun contenu. Comme s’il y avait un manque de conscientisation de la part des musiciens. Je trouve cela important dans le parcours d’un musicien qu’il s’engage dans des causes qui lui tiennent sincèrement à cœur. Pour moi, le suicide est quelque chose d’atroce. C’est la concrétisation ultime du désespoir. Et si les gens sont sensibles au suicide, ils sont un peu désemparés quand vient le temps d’aider les suicidaires."

SOUTIEN AUX JEUNES DE LA RUE

L’opération Pamplemousse œuvre en partenariat avec Médecins du monde, qui recevra 5 $ par album vendu pour mener à bien le projet Montréal, mis en place par l’organisme à but non lucratif et dont l’objectif est d’améliorer la santé et les conditions des jeunes en errance âgés de 15 à 30 ans. "Nous venons en aide aux exclus des soins de santé par la prévention, en offrant des cliniques de dépistage ou des traitements. Mais nous offrons aussi un soutien psychologique aux intervenants qui travaillent avec ces gens parce qu’on s’est aperçu que souvent, ils n’osaient pas consulter, explique le médecin Réjean Thomas. Les jeunes de la rue ont 12 fois plus de risques de décéder que les autres jeunes. Soit par le suicide, l’overdose ou de maladies comme les hépatites et le sida. Le VIH et la toxicomanie sont des formes de suicide, inconscientes, mais parfois conscientes…"

M. Thomas tient à souligner que les pensées suicidaires sont aussi parfois le fruit de désordres biologiques. "La détresse psychologique, c’est ce que l’on voit le plus souvent au bureau du médecin. Mais il existe encore beaucoup de préjugés face aux traitements comme les antidépresseurs pour prévenir le suicide. Des patients qui sont parfois en dépression sévère commencent un traitement puis y mettent fin parce que des membres de leur famille ou leurs amis leur disent de ne pas prendre de pilules. La dépression a aussi une variante biologique. On peut prévenir des suicides avec la pharmacothérapie."

À L’IMAGE DES RESTOS DU COUR

La Fondation des maladies mentales, un autre partenaire important de l’opération Pamplemousse, effectuera d’ici la fin de l’année scolaire, et également au cours de l’automne prochain, une tournée de sensibilisation et d’information dans les écoles sous le thème Solidaires pour la vie. On y distribuera alors des affiches et des copies de l’album-bénéfice. "Près de 50 % des gens qui font une tentative ou qui se suicident ont été diagnostiqués au moins une fois comme ayant un problème de santé mentale. On a souvent beaucoup de difficulté à admettre une faiblesse psychologique. On a l’impression qu’on est responsable et que c’est de notre faute si on est malade. Nous, on vise à dire: "Quand il y a un problème, il ne faut pas le nier"", ajoute Mme Benoît.

D’autres projets sont à l’étude dans le cadre de l’opération Pamplemousse, comme des campagnes de sensibilisation destinées aux salles de cinéma, des spectacles et la conception d’un site Internet. L’essentiel est qu’un mouvement se mette en branle et que le volet artistique continue de prédominer, dit Mme Benoît. "On fonctionne comme si L’Album en vie était un produit artistique comme un autre, au lieu d’adopter uniquement l’angle sociétal. Ultimement, j’aimerais que Pamplemousse existe par lui-même, avec son conseil d’administration, un peu comme les Restos du cœur en France, qui existent depuis 20 ans."

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