Priez pour nos péchés
Tandis qu’au bout du continent, le pays le plus conservateur et catholique d’Amérique médite sur l’héritage de Jean-Paul II, l’inquisiteur Ratzinger accède sans surprise à la fonction suprême. Controverse en vue…
SANTIAGO, Chili – Sœur Maria Ines Concha, doyenne de la Faculté de théologie à l’Université catholique du Chili à Valparaiso, se souvient du pape Jean-Paul II comme d’un partisan dévoué des droits des femmes.
"Je crois que le choix du prochain pape ne changera rien à la question des femmes. Personne ne va régresser face à tout le progrès que nous connaissons. Je ne crois pas qu’il soit possible de ralentir ce genre de progrès", explique Concha.
Concha rappelle que le pape a permis aux femmes de servir devant l’autel. En laissant plus de place aux femmes dans l’Église, Jean-Paul II aurait tracé le chemin de son successeur, lequel devrait permettre l’ordination de femmes à la prêtrise.
Elle recommande un passage d’une lettre écrite aux femmes en 1995: "Sur le sujet des libertés et droits personnels, il est urgent d’atteindre l’égalité dans tous les domaines: salaires équitables, sécurité pour les mères qui travaillent, justice dans l’avancement des carrières, égalité des conjoints en ce qui a trait aux droits des familles et la reconnaissance de tout ce qui fait partie des droits et des devoirs des citoyens dans un État démocratique. C’est une question de justice, mais aussi de nécessité."
Mais tandis qu’une multitude de femmes au Chili se remémorent Jean-Paul II avec reconnaissance pour sa défense dévouée des droits des femmes, d’autres n’acceptent pas son opposition au divorce, à l’ordination des femmes à la prêtrise, à l’avortement et à la contraception.
"Dans toutes les conférences où il est question des femmes, le Vatican a été uniformément opposé à nous sur le divorce, la contraception, l’homosexualité et l’avortement", explique Loreto Ossandon, chercheure au Foundation Institute for Women, un groupe de réflexion situé à Santiago.
Alors, que fait le Vatican exactement pour la défense des droits de la femme?
"Puisque Jean-Paul II a choisi la majorité des cardinaux qui votent, il est fort probable que son successeur va poursuivre les mêmes idées", croit Ossandon.
D’autres disent que l’ordination de femmes à la prêtrise ne voudrait pas nécessairement dire qu’il y aurait des changements sur des questions comme les droits concernant la reproduction.
"Ce serait probablement une femme qui porterait le même pantalon et qui professerait les mêmes idées que les hommes qui dominent l’Église présentement", explique Veronica Diaz, coordonnatrice de Catholic Women for the Right to Choose, une organisation basée à Valparaiso. "C’est seulement une femme prêtre féministe qui ferait une différence."
Étant donné la rareté d’organisations féministes catholiques au Chili, Diaz écarte la question avec un haussement d’épaules.
Au Chili – un des pays les plus conservateurs dans la région la plus catholique du monde -, les femmes sont partagées en ce qui concerne l’héritage que Jean-Paul II laisse derrière lui sur la question des droits des femmes.
Le divorce est légal depuis un an seulement. L’avortement, sous toutes ses formes, est illégal et traduit en justice. Dans certaines écoles catholiques, les enfants de parents séparés sont interdits. On est convaincu que l’influence de l’Église a joué un rôle important le mois passé lorsqu’un ministre de la Santé a été congédié car il était favorable à la distribution de la pilule du lendemain.
Pour toutes ces raisons, le Chili, malgré son gouvernement gauchisant, est reconnu comme le pays le plus socialement conservateur de l’Amérique latine, une région que le pape a visitée 39 fois pendant ses 26 années de règne.
Au Chili, le pape Jean-Paul II est follement adoré. Non seulement reconnaît-on sa contribution à l’évitement d’une guerre avec l’Argentine à propos des îles Beagle grâce à sa méditation en 1978, mais il est aussi apprécié pour avoir recommandé à Augusto Pinochet d’accepter les résultats d’un référendum concernant la fin de la dictature militaire au pays, en 1990.
Malgré l’envergure du pape ici, le conservatisme social grandissant de l’Église chilienne, depuis le retour du pays à la démocratie en 1990, agace furieusement les jeunes disciples. Le pourcentage de catholiques s’élève à 75 %, selon un sondage mené par l’Université catholique, tandis que le pourcentage des 18-24 ans qui se sont identifiés comme catholiques est de 63 %.
"L’Église doit se montrer plus tolérante aujourd’hui envers certaines questions comme le divorce, l’avortement et tout ça", explique Fernanda Farcuh, une étudiante de 20 ans à l’Université catholique du Chili à Santiago. "L’Église ici est très conservatrice et contrôle fortement la politique. Elle peut bloquer les choses dont les gens ont besoin. Je crois que nous avons besoin d’une Église plus ouverte."
Farcuh croit qu’on pourrait éviter que les jeunes quittent l’Église si les dirigeants apportaient des changements à leurs politiques, comme celle concernant la contraception, par exemple.
Diaz, de l’organisation Catholic Women for the Right to Choose, dit que les jeunes sont aliénés par une Église qui se retire de la réalité de tous les jours.
"Demander aux femmes qu’elles se marient vierges, leur dire qu’elles ne peuvent pas se faire avorter et qu’elles ne peuvent pas divorcer sont autant d’exemples, dit-elle. Et je ne pense pas que les candidats à la papauté vont changer quoi que ce soit à ces questions fondamentales."
Diaz n’affectionne aucun candidat en particulier. Elle sait que plusieurs Chiliens soupçonnaient que le cardinal allemand Joseph Ratzinger serait élu car il est considéré comme très conservateur.
Heil Ratzinger?
Concha espérait que le prochain pape soit latino-américain. "Je dis ça strictement d’un point de vue représentatif, puisque notre région est le foyer de la moitié des catholiques du monde entier. Mais il n’en a pas été ainsi car on veut éviter toute révolution majeure", ajoute-t-elle.
À lire ces citations tirées de propos tenus par Ratzinger ces dernières années et des réflexions de son biographe, on n’en doute pas une seconde:
"Un catholique sera formellement considéré comme collaborateur du mal, et donc inapte à la sainte communion, s’il a l’intention délibérée de voter pour un candidat dont les positions sont permissives en ce qui a trait à l’avortement et/ou l’euthanasie. Voter pour ce candidat pour d’autres raisons sera considéré comme de la collaboration avec le mal."
– Ratzinger dans un mémo confidentiel adressé aux évêques américains durant la dernière campagne présidentielle, mémo qui a déclenché un tollé.
"C’est comme si on délaissait toute l’expérience morale de l’humanité derrière nous."
– Ratzinger à propos du mariage gai.
"L’Europe est devenue une coquille vide dépendant de transplantations."
– Ratzinger référant au faible taux de natalité et à l’immigration ouvrière en Europe.
"Ayant vu les méfaits du fascisme, Ratzinger croit que le meilleur antidote au totalitarisme politique est le totalitarisme ecclésiastique, en d’autres mots, il croit que l’Église catholique sert la cause de la liberté humaine en restreignant la liberté des individus au sein de l’Église."
"Le premier mandat de Ratzinger en tant que Grand Inquisiteur fut de se débarrasser des derniers vestiges de la théorie de la libération. Une pensée montante au sein du catholicisme du tiers monde et de l’Amérique du Sud née dans les années 60, qui encourageait les initiatives populaires et l’organisation pour libérer les individus de la pauvreté. Son association indirecte avec des doctrines marxistes fut fortement réfutée par le pape et Ratzinger."
– John Allen, journaliste de la BBC et biographe de Ratzinger.
Ratzinger fut membre des Jeunesses hitlériennes durant la Deuxième Guerre mondiale. Bien qu’il prétende avoir été recruté contre son gré et avoir déserté, en 1945 il fut interné dans un camp de prisonniers de guerre par les Alliés. Nombre de ses détracteurs s’entendent pour dire qu’en cette période trouble, il ne fut pas forcé de s’enrôler, ne fut pas objecteur de conscience ou membre de l’opposition comme le furent dans son village de Bavière bon nombre de témoins de Jéhovah (sic) de son âge…