Si vous le permettez, cette chronique prendra des airs de revue de presse.
Une revue de presse qui débute cependant par une confession: ce sont les interminables jambes d’Ann Coulter qui ont d’abord attiré mon regard sur l’édition canadienne du magazine Time. De grandes pattes qui vont jusqu’à demain, gainées d’un collant blanc, se terminant sur de chics escarpins noirs et pointus. Dans un écrin de cheveux blonds, un visage lisse, dur, anguleux, serti d’yeux bleus et froids comme un glacier. La dame est absolument SU-PER-BE.
Le problème, c’est qu’Ann Coulter est ce qu’on appelle un loose cannon, un tireur fou. Poster-girl et auteure à succès de la droite états-unienne, elle aligne les déclarations-chocs, se soucie assez peu des faits, vilipendant les démocrates avec une incroyable mesquinerie, et ce, sur les ondes de toutes les télés qui veulent bien l’accueillir (surtout Fox News et CNN). C’est à elle que l’on doit, entre autres, cette citation concernant la position canadienne sur la guerre en Irak: "[Les Canadiens] devraient prier pour que les États-Unis ne les écrasent pas en se retournant la nuit. Ils sont chanceux que nous les laissions exister sur le même continent que nous."
Donc, la dame est tout à fait superbe, mais dès qu’elle ouvre la bouche, je débande.
Alors pourquoi en parler? Parce que cet article du Time est absolument fascinant. Un petit bijou de journalisme qui expose tous les paradoxes de cette mongole à batteries et pose la question: Coulter est-elle sérieuse ou déconne-t-elle?
Est-elle une grande ironiste de la droite ou doit-on la prendre au premier degré? A-t-on affaire à un clown ou à un monstre?
Cela ne vous rappelle rien? Pensez à certains agitateurs médiatiques d’ici ou d’ailleurs. Eux aussi excellent dans ce flou artistique. Est-ce un spectacle ou un propos éditorial? Est-ce du racisme ou de l’ironie? Est-ce une attaque personnelle ou de l’humour?
J’ai ma petite idée là-dessus, qui a plus à voir avec la psychanalyse qu’avec l’éthique, mais chose certaine, quand Coulter suggère que l’on devrait fouiller exclusivement les Arabes et les passagers au teint basané dans les aéroports, histoire de laisser les "honnêtes gens" en paix, cela ne me fait pas rire.
Et si c’était de l’humour, un truc à prendre au second degré, dites-vous?
C’est Sean Penn, quelques pages plus loin, dans le même magazine, qui répond à ma place. Lorsque le journaliste lui demande pourquoi il a tenu, lors de la soirée des Oscars, à défendre son collègue Jude Law – victime d’une mauvaise blague de l’animateur Chris Rock -, quitte à donner raison à ceux qui prétendent qu’il n’a aucun sens de l’humour, Penn résume le fond de ma pensée, expliquant aussi pourquoi la majorité des humoristes et entertainers qui vous font hurler m’ennuient à mort.
Quand je ne ris pas, dit-il, ce n’est pas nécessairement parce que je n’ai pas le sens de l’humour.
Quand je ne ris pas, c’est parce que c’est pas drôle.
ooo
Tiens, encore l’humour. Celui qui s’ignore cette fois. Toujours dans la presse.
Se portant bien maladroitement à la défense de l’Agora du Vieux-Port, le conseiller municipal Guy Rochon signait, il y a de cela trois semaines, dans Impact Campus, un papier proprement hilarant.
C’est titré L’Intouchable, et c’est à n’y rien comprendre. Une enfilade d’idées décousues dans un style ampoulé que j’aurais voulu reproduire en entier, pour vous faire sourire, mais dont je me contenterai de citer un court extrait, assez représentatif de l’ensemble, histoire de vous faire comprendre de quoi il s’agit au juste.
On a investi un demi-million pour rénover ce site et certains ont convenu qu’il faut le démolir. Devant cette outrecuidance, je jette l’anathème sur le comble de l’inconscience. À mes yeux, l’Agora est plus qu’un symbole architectural: elle représente l’essence même de notre chaleur humaine, de notre inspiration et de nos convictions musicales.
Passons sur l’inutile préciosité du vocabulaire et le sens incertain de la seconde phrase, ce sont "nos convictions musicales" qui me font mourir de rire. Quelles sont-elles au juste? De quoi parle-t-il? D’"un espace culturel inclusif, un lieu polysémique" qui "constitue un véritable pont entre les générations", précise-t-il au paragraphe suivant. N’importe quoi… C’est une scène. C’est dehors. On y donne des spectacles. Point.
Remarquez, je suis aussi pour la survie de l’Agora. La différence, c’est que je ne suis pas prêt à dire n’importe quelle sottise pour la défendre.
Preuve de ma bonne volonté, j’ai quand même une suggestion de slogan, histoire de résumer ces fameuses convictions musicales qui nous uniraient tous et de me joindre ainsi au "combat" que mène le conseiller.
Que diriez-vous de "Québec c’est ma ville, Def Leppard c’est mon style"?
Quoi, vous ne riez pas? Ah pis fuck! Z’avez aucun sens de l’humour