Les compagnies minières canadiennes : Heavy métal
Société

Les compagnies minières canadiennes : Heavy métal

Présentes partout dans le monde, les compagnies minières canadiennes mènent des opérations contestées dans de nombreux pays où elles sont accusées de bafouer les droits des populations locales et de détruire l’environnement.  Pathétique.

"Il y a des problèmes partout où vont les minières canadiennes. Nous avons besoin de métaux et nous ne sommes pas contre l’industrie minière comme telle. Mais parce qu’elles veulent mener leurs opérations au plus faible coût possible, les compagnies ont des pratiques qui sont très dommageables pour l’environnement et qui causent beaucoup de problèmes aux populations autochtones vivant sur ces territoires depuis longtemps", dit Joan Kuyek, coordonnatrice nationale chez Mining Watch, un organisme qui a pour objectif de veiller à ce que les pratiques minières soient respectueuses des communautés locales et de l’environnement.

Mining Watch envoie des observateurs un peu partout à travers le monde sur les sites litigieux, en plus de produire des documents d’information et un rapport annuel sur la situation et les pratiques de l’industrie minière canadienne dans le monde.

Alcan, Placer Dome, Barrick Gold, Noranda Falcon Bridge, Bonte Gold, Kinross… Constamment en quête de nouveaux sites à exploiter, les minières canadiennes en sont aujourd’hui rendues à mener leurs activités dans les coins les plus reculés des pays d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie. Le faible pouvoir politique dont disposent les communautés aborigènes vivant sur les territoires où se trouvent souvent les gisements prometteurs, et la corruption qui a toujours cours dans plusieurs pays font en sorte que les populations locales sont trop souvent les grandes perdantes lorsque les minières acquièrent des droits d’exploitation auprès des gouvernements étrangers, explique Mme Kuyek. "C’est un conflit au sujet de la façon dont le territoire doit être géré et le type d’économie que les gens désirent."

Catherine Coumans, coordonnatrice à la recherche et spécialiste de la région Asie-Pacifique chez Mining Watch, n’est pas tendre envers les minières canadiennes qui profitent parfois des largesses des dictateurs étrangers pour mettre en péril la santé des populations. "Les compagnies obtiennent dans certains pays des permis pour mener des activités très dommageables à l’environnement qu’elles n’auraient jamais pu faire ici."

Parmi les cas les plus sombres des dernières années figure celui de l’île de Marinduque, aux Philippines, relate Mme Coumans, où, durant 16 ans, lors des années noires de Ferdinando Marcos, la compagnie Placer Dome a exploité une mine de nickel. "La compagnie a détruit une baie entière en y déversant ses résidus miniers. Après 16 ans d’exploitation, 200 millions de tonnes de résidus miniers avaient été déversées. Aujourd’hui, il y a tellement de résidus au fond de la baie qu’à marée basse, on peut rouler en automobile comme sur une route asphaltée pendant sept kilomètres!"

Aujourd’hui, ce sont les 15 000 habitants des 12 villages de pêcheurs qui doivent vivre avec les risques pour leur santé. "D’autres résidus transportés par le vent retombent sur les villages. Les habitants appellent cela leur "neige du Canada". Des études ont montré que les enfants avaient un très haut niveau de plomb dans leur sang, ce qui représente une grande menace pour leur système nerveux et leur développement intellectuel." Placer Dome a toujours refusé de décontaminer la baie ou de reconnaître ses responsabilités, poursuit Mme Coumans. "Le gouvernement philippin a tenté à deux reprises de stopper le déversement des résidus miniers dans la baie, mais la compagnie a menacé de le poursuivre en invoquant qu’elle avait un droit acquis remontant au régime Marcos…"

En Nouvelle-Calédonie, une autre controverse implique la minière Inco qui projette la construction d’une mine de nickel sur le territoire des Kanaks, une communauté indigène de près de 2000 habitants. Des leaders de la communauté qui mènent une lutte contre le projet ont été récemment emprisonnés. Pour l’essentiel, les Kanaks veulent des garanties en matière d’environnement et de partage des revenus. "Cela fait 10 ans que les Kanaks tentent sans succès de dialoguer avec les gens d’Inco. La compagnie ne veut pas leur parler." En 1998, les Kanaks ont vu leur statut de peuple indigène reconnu, en plus de se voir attribuer leur Sénat coutumier, une institution pour faire valoir leurs intérêts. "Et dans l’accord de Nouméa, il est clairement stipulé que tout projet ayant un impact potentiel sur la culture traditionnelle ou l’héritage des Kanaks doit se dérouler en consultation avec eux. Le plus triste, c’est qu’Inco vient de terminer ici un long processus de négociation avec les Innus du Labrador au sujet également d’une mine de nickel. La compagnie a alors été forcée par la loi de négocier avec les communautés autochtones afin que soient entendues leurs inquiétudes. Quand on leur pose la question à savoir pourquoi ils traitent différemment les Kanaks, les dirigeants d’Inco répondent que la loi n’est pas la même en Nouvelle-Calédonie et qu’ils n’ont pas à y respecter les droits des indigènes… Mais un jugement a reconnu récemment le droit des Kanaks de protéger leurs terres. C’était la première fois qu’un tel droit était reconnu en Nouvelle-Calédonie."

À la frontière entre le Chili et l’Argentine, c’est une autre compagnie canadienne, Barrick Gold, qui est sous le feu de la controverse depuis qu’elle a entrepris la construction d’une mine d’or à ciel ouvert qui nécessitera la relocalisation d’un glacier millénaire dans la région de Pascua-Lama. Des scientifiques craignent que la perte de cette importante source d’eau pure affecte de façon importante le mode de vie des communautés indigènes Diaguita, le climat et même les écosystèmes. "Ce glacier alpin est en fait la source d’eau de nombreuses rivières majeures", précise Mme Kuyek.

ALCAN, LA SUITE…

Un autre dossier chaud concerne les visées de la compagnie québécoise Alcan qui, conjointement avec l’indienne Indal, entend construire une mine de bauxite dans la région du Kashipur, en Inde. Selon Patrick Cadorette, du mouvement Alcan’t in India, les élus des 24 communautés de la région s’opposent fermement au projet qui entraînerait des déplacements de population et la destruction de modes de vie traditionnels. Mais leur voix n’est pas prise en compte et le processus de consultation a souffert d’importantes entorses qui ont donné lieu à des affrontements violents entre opposants et policiers, enchaîne M. Cadorette. "Depuis le milieu des années 90, il y a eu une mobilisation générale des membres des communautés locales contre le projet. Depuis, les promoteurs se sont mis à soudoyer davantage les politiciens locaux et cela a dégénéré en affrontement ouvert. Ce sur quoi on met l’accent, c’est que dès le départ, le processus de consultation a été biaisé. Les gens n’ont pas été consultés à l’origine. Mais on a acheté certains membres de la communauté et depuis décembre 2004, la région est sous occupation policière. On vient même de bâtir un poste de police dans un village alors que les gens s’en passaient depuis toujours", explique M. Cadorette qui prendra part à une manifestation, le 28 avril à Montréal, devant l’édifice où se tiendra l’assemblée annuelle des actionnaires d’Alcan.

Les autochtones du Québec et du Canada ont dû lutter ferme pour la reconnaissance de leurs droits. Nombreux sont ceux qui diront que beaucoup reste encore à faire en ce sens. Il reste que la situation sociale, culturelle et politique prévalant dans de nombreux pays étrangers ouvre la voie à des abus dont se rendent parfois coupables les entreprises canadiennes, croit Mme Kuyek. "Dans plusieurs pays, il existe toujours un système de classes qui fait que certains individus bénéficient énormément des opérations minières alors que d’autres en subissent toutes les conséquences. Les gouvernements locaux se laissent guider par leur besoin de capitaux étrangers. Les compagnies, elles, tirent avantage de la situation en contribuant même à la formulation des lois sur les mines dans certains pays."

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Alcan’t in India, un projet de solidarité basé à Montréal qui a pour but de soutenir les habitants de la région indienne du Kashipur dans leur lutte pour le contrôle de leurs ressources et de leur territoire, tiendra le 28 avril, de 9 h à 13 h, une manifestation contre le projet de mine de bauxite de la compagnie Alcan en Inde. Le rassemblement aura lieu devant l’édifice de l’Organisation de l’aviation civile internationale, où se réuniront les actionnaires à l’occasion de leur assemblée annuelle.

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Au Québec aussi…

Les activités des compagnies minières auraient causé d’importants dommages à la santé humaine et à l’environnement au Québec également. C’est du moins la position adoptée par les cinéastes Jean-Pierre Maher et Neil Diamond dans leur documentaire Heavy Metal, qui fut présenté pour la première fois en février dernier dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois. L’ouvre relate les impacts environnementaux et sanitaires de l’activité minière sur la communauté crie de Oujé Bougoumou, du Nord du Québec. Poissons sans yeux capturés, décès prématurés…, autant de signes qui attirèrent l’attention de Joseph Shecapio-Blacksmith, un habitant de la communauté qui ne tarda pas à s’adjoindre les services du scientifique américain Cris Covel, spécialiste en contamination des sols. Ce dernier rendit un rapport accablant sur la situation, qui fut accrédité par l’Environnemental Protection Agency aux Etats-Unis, mais accueilli avec scepticisme par le gouvernement du Québec. Le documentaire sera présenté de nouveau à Montréal dans le cadre du festival autochtone TERRE EN VUE du 13 au 22 juin.