Zéro Toxique : La ballade de chimie
Depuis un demi-siècle, l’industrie chimique a lancé sur les marchés des milliers de nouvelles substances synthétiques qui polluent désormais tous les écosystèmes. Dans son livre Zéro Toxique, Marc Geet Éthier brosse le portrait de ce fléau et propose des solutions simples pour s’en protéger.
Pendant quatre ans et demi, Marc Geet Éthier, un auteur québécois diplômé en psychologie, a voulu savoir s’il y avait réellement raison de s’inquiéter de l’envahissement des produits chimiques dans notre environnement. Ce verbomoteur qui parle avec ses bras n’est pas un militant, ni même un spécialiste de la chose. C’est un citoyen inquiet. Au cours des 50 dernières années, l’industrie chimique a inventé quelque 75 000 nouvelles substances. Un grand nombre d’entre elles n’ont jamais fait l’objet d’études d’impact sérieuses. Dans son ouvrage Zéro Toxique, paru récemment aux Éditions du Trécarré, Marc Geet Éthier fait l’état des lieux. Et le constat qu’il dresse est clair: nos corps sont pollués et il existe un lien évident entre les troubles chroniques dont sont atteints nombre d’habitants des pays industrialisés et la soupe chimique dans laquelle nous baignons quotidiennement. Actuellement, sept décès sur dix sont causés par des troubles chroniques. Cancers associés aux pesticides, produits de nettoyage domestique toxiques, bouteilles de plastique nocives, téflon, mercure contenu dans les poissons… La liste des produits chimiques qui nous côtoient est longue.
Dans votre livre, vous soutenez que les populations sont des cobayes pour l’industrie des produits chimiques…
"C’est la stratégie actuelle: on commercialise un produit, on réalise plus tard qu’il a des effets nocifs sur la santé, alors on le retire de la circulation. Les gouvernements ramassent la facture, la population endure et la compagnie qui a lancé le produit disparaît dans la nature. Un très bel exemple du principe du cobaye, c’est le bois traité à l’ACC (arséniate de cuivre chromaté). Pendant 25 ans, toute une industrie a fait son pain et son beurre avec ce bois, qui était partout. Et là, tout d’un coup, on interdit sa fabrication à compter de 2004. Cela prend une motivation pour faire un tel geste. Quelle est cette motivation? Dans le public en général, on ne sait pas trop. On sait qu’il y a de l’arsenic dans ce bois, mais c’est très vague. On sait par contre qu’il y a un produit qui a été utilisé pendant des années et qui doit aujourd’hui être retiré. Mais nous restons pris avec ce produit sur notre balcon, sur notre table à pique-nique, sur nos clôtures. Un produit qui est même déconseillé par la Société canadienne du cancer…"
Comment expliquez-vous que l’industrie des produits chimiques soit si peu encline à respecter le principe de précaution?
"Évidemment, il y a des intérêts monétaires. Laissez-moi vous raconter une anecdote. Lorsque le chlordane (un pesticide toxique) a été interdit au début des années 70, un expert canadien qui travaillait à faire retirer le produit s’est retrouvé avec un avocat des producteurs du chlordane autour d’une bière et lui a demandé: "Pourquoi persistez-vous à vous battre contre nous? Votre produit sera interdit, vous le savez!" L’avocat lui aurait répondu quelque chose du genre: "Il est temps de vous réveiller. Cela nous coûte environ 2,5 millions de dollars par année en frais juridiques pour faire durer le combat. Nous réalisons 65 millions de dollars en revenus chaque année." Le problème, c’est qu’on ne connaît que des statistiques et des études épidémiologiques. On ne peut mettre le doigt sur une substance en particulier et dire: "On est malade à cause de la substance X." Dans les analyses de la soupe chimique chez les gens, on peut trouver environ 13 pesticides. Lequel a pu causer quoi? Cela prendra des fonds infinis pour finir par le découvrir. Alors nous sommes toujours dans la zone du possible et du probable et la loi permet à Santé Canada de ne réglementer que ce qui est certainement une cause de maladie."
C’est pour lutter contre cette confusion chimique que vous amenez l’idée de zone Zéro Toxique?
"Nous sommes en présence d’un éléphant qui gigue sur un vert de golf et on essaie d’arranger le terrain au lieu de dire que c’est l’éléphant qui n’est pas à sa place… Ce n’est pas une ou deux substances précises qu’il faut réglementer, mais bien l’ensemble de la gestion du risque pour toutes ces substances de synthèse qu’il faut remettre en question et qu’il faut radicalement transformer. C’est ce qu’a fait l’Union européenne en proposant le programme REACH. Ce programme, c’est la précaution chimique par rapport au principe du cobaye."
Un projet comme REACH pourrait-il être mis de l’avant au Canada?
"Il faut le faire. On veut un REACH canadien maintenant. Pas dans 100 ans. En se positionnant en tête de ce mouvement pro-REACH, on pourrait créer des produits que l’Europe demandera demain et s’ouvrir ce marché. On inscrirait ainsi notre économie dans ce qui se passe aujourd’hui. En plus de faire plaisir à toute une génération qui est beaucoup plus sensible à tous ces enjeux et qui sent qu’il y a des urgences."
En attendant, on peut commencer à diminuer la présence de produits chimiques à la maison grâce à des gestes simples. Lesquels, par exemple?
"C’est anodin, mais il existe une technique très puissante pour limiter la pollution de notre logis et celle qui finalement se retrouve dans nos corps: c’est de laisser nos chaussures à la porte. C’est dans la saleté accumulée sur nos souliers qu’une grande partie des pesticides entrent dans notre maison. De plus, certaines études prétendent qu’on élimine 200 heures d’entretien dans un logis quand on laisse nos souliers à l’entrée. Nous avons dans nos propres mains le pouvoir de faire énormément de choses. Pour les fruits et légumes, par exemple, il existe une liste des 12 fruits et légumes sur lesquels on a trouvé le plus de pesticides (dont les pommes, les fraises et les pommes de terre). On a aussi identifié les 12 fruits et légumes qui en ont le moins (dont les bananes, le maïs, les avocats et les oignons). En choisissant ceux qui sont le moins pollués, on élimine déjà 90 % de la part des pesticides provenant des fruits et des légumes. Et on ne parle même pas encore du bio!"
Quel genre d’impact espérez-vous avec votre livre?
"Qu’on en parle et qu’on réalise le pouvoir qu’on a individuellement. J’ai effectué du démarchage auprès d’entreprises en leur demandant: "Qu’est-ce que vous attendez? Il y a une demande de la population pour des produits plus sains et plus écologiques. Pourquoi n’en produisez-vous pas?" J’ai posé plus spécifiquement la question à un fabricant de papier hygiénique qui m’a répondu: "Vous savez, on a une liste de critères qui représentent des facteurs décisifs pour le consommateur. Ce qui est en haut de la liste, c’est la douceur. La notion de protection de l’environnement, lorsque le papier est fabriqué avec de la fibre recyclée, peut même devenir un irritant à cause de la mauvaise compréhension dans la population qui associe vaguement recyclé à papier hygiénique réutilisé." Les industries sont comme des petits chiens auxquels on donne une biscotte. Elles attendent un signal clair. Mon bouquin permet de se donner des repères et il y a des choses fichtrement puissantes que l’on peut faire aujourd’hui. L’industrie attend seulement qu’on sonne la fin de la récréation…"
Zéro Toxique: pourquoi et comment se protéger
De Marc Geet Éthier
Éditions du Trécarré, 2005
287 pages