Société

Ennemi public #1 : La vie n’est pas qu’une salope

Une aire d’attente au CHUL. Dans la salle de jeux adjacente, deux p’tits culs garrochent des jouets par terre en riant. Une vidéo joue à la télé. Caillou, genre.

Assise à côté de leurs parents, une femme à l’air dépité accompagne sa fille, trisomique. Toutes deux font la même moue. La même exaspération se lit sur leurs visages, semblable à un couple qui se serait engueulé dans l’auto avant d’entrer au restaurant. Elles ne se parlent pas, n’échangent pas un regard. Quand le médecin appelle la petite, elle se lève, y va, la mère ne bronche pas. On voudrait fondre dans le plancher.

Puis, une famille arrive en bande. Un petit troupeau. C’est mercredi après-midi et presque tout le monde est là: la mère et ses trois enfants. Il y a un p’tit rappeur grassouillet, l’air drôle et un peu nono. Il y a une ado assez mignonne, mais fringuée en guidoune, comme la plupart des filles de son âge. Et il y a leur sœur, dans un fauteuil roulant, fort probablement atteinte de paralysie cérébrale. Paralysie du genre sévère, hardcore. Quel âge a-t-elle? Difficile à dire. Ses traits sont un peu déformés, comme tirés sur les os saillants de son visage. Elle pourrait avoir 16 ou 17 ans, peut-être un peu moins ou un peu plus. Elle baragouine des sons, des petits cris d’impatience par moments, tannée qu’elle est d’attendre.

Autour d’elle, sa famille parle, discute, sourit. Tout le monde s’arme de patience.

C’est la vie. Leur vie. C’est le courage au quotidien de gens ordinaires. Mais, aux yeux de ceux qui, quelques secondes plus tôt, se faisaient une fin du monde d’un rapport d’impôts, d’une rage de dents ou d’un changement de pneus, cela prend d’étourdissantes proportions.

Comment font-ils? Sais pas, mais ils font. Sont-ils épuisés, pleurent-ils parfois de désespoir le soir, ou même le matin? Sans doute que si. Trouvent-ils leurs enfants beaux malgré leur difformité? Ben oui, Chose, et c’est un peu là leur drame. Jamais personne d’autre qu’eux ne percevra cette beauté-là.

Ils sont environ 20 000 au Québec, atteints de paralysie cérébrale à divers degrés. Rappelons que ce n’est pas une maladie comme telle, mais une infirmité causée par une lésion au cerveau. Cela n’est pas dégénératif, et dans plusieurs cas, grâce à la physiothérapie ou encore aux traitements en chambre hyperbare (même si le Collège des médecins n’a pas encore statué sur l’efficacité de la chose), des progrès peuvent être faits en ce qui a trait à la motricité.

D’ailleurs, parlons-en de la fameuse chambre hyperbare. Pas encore sur la liste des traitements couverts par l’assurance maladie. Des parents hypothèquent parfois la maison pour l’offrir à leurs enfants, à raison d’environ 5000 $ ou plus par an pour deux traitements. Des soins qui, au dire de plusieurs, font faire des bonds de géant à leurs enfants qui en ont bien besoin. Pendant ce temps, le gouvernement, s’il vient tout juste d’accorder des déductions fiscales à ces familles, tarde pourtant à faire le grand saut vers la gratuité. Money talks, dites-vous? L’argent parle, certes, et Dieu sait s’il tient parfois des propos obscènes.

Mais ceci n’est pas un téléthon. Il n’y aura pas de chanteuse plate ou de magicien amateur venu connaître son unique moment de gloire en carrière avant de retourner à son abrutissante job de préposé à l’entretien d’un stationnement souterrain. Il n’y aura pas de mini-documentaire larmoyant, interminable suite de plans au ralenti exacerbant le pathétisme de chaque histoire vécue, pas de larme qui tombe au sol avec le fracas d’une bombe.

Ici, il n’y a que la vie d’une famille anonyme aux prises avec un accident de la nature. Du monde ordinaire, je vous ai dit.

Il y a une mère, sûrement un père, un frère et deux sœurs dont une qui, en apparence, pourrait incarner la parfaite représentante de cette génération g-string que journaux et télés nous écrasent à la gueule, sans relâche. Jeans à taille basse, t-shirt explicite, chromée. Une fille que vous verriez dans la rue, au centre commercial ou dans l’autobus en vous disant à vous-même: p’tite pute.

Et pourtant… Elle est belle. Elle tient la main de sa sœur, la réconforte, lui dit de prendre son mal en patience, lui balance des jokes un peu chiennes, mais qui désamorcent une situation autrement intolérable. Ma p’tite vieille, qu’elle l’appelle en faisant gigoter sa main molle, ce qui n’indigne personne, tellement cela transpire la tendresse.

Elle qui devrait être, à en croire les médias, un monstre d’égoïsme adolescent, prend la menotte atrophiée de sa sœur et la rassure. Elle l’aime. Elle lui montre.

Après ça, vous viendrez me dire que la vie n’est qu’une salope.