La Cinémathèque québécoise : Soigner ses pellicules
Société

La Cinémathèque québécoise : Soigner ses pellicules

Alors que la moitié de sa collection est constituée d’œuvres d’artistes canadiens, la Cinémathèque québécoise ne bénéficie pourtant d’aucun soutien financier récurrent du gouvernement fédéral pour les diffuser et les conserver. Une situation qui tue peu à peu l’institution.

Pour le moment, seul le gouvernement du Québec fournit une aide financière annuelle et récurrente de 1,1 million de dollars à l’organisme du Quartier latin, dont la mission est de veiller à la conservation, la documentation et la diffusion du patrimoine cinématographique québécois, canadien et étranger. Le fédéral, de son côté, ne verse des deniers que pour des projets spéciaux, par l’intermédiaire du Conseil des Arts du Canada. La Cinémathèque a ainsi reçu 180 000 $ l’an dernier du gouvernement d’Ottawa pour la diffusion du cinéma canadien. L’institution doit donc se battre année après année pour avoir accès à l’argent fédéral.

"La situation est cruciale. On a aujourd’hui un problème de sous-financement chronique. C’est très difficile de se développer dans ce contexte. En ce moment, on ne fait que survivre. Nous avons dû diminuer nos services, nous fermons l’été et nous avons retiré une journée de projection, le mardi soir", confie la directrice générale Yolande Racine.

En avril, la Cinémathèque québécoise saisissait la perche tendue par le Comité permanent du patrimoine canadien qui invitait la population à se prononcer sur sa politique cinématographique lancée en 2000, Du scénario à l’écran, une nouvelle orientation politique en matière de longs métrages. Dans son mémoire acheminé au Ministère, la Cinémathèque québécoise déplorait le mode d’allocation des ressources mis en place depuis 2000. "La politique sous-estime le savoir-faire développé par les archives privées à but non lucratif canadiennes dans le domaine de la conservation du cinéma, et défavorise nettement la Cinémathèque québécoise."

UN RAYONNEMENT INTERNATIONAL

Fondée en 1963, la Cinémathèque québécoise jouit aujourd’hui d’une excellente réputation à l’échelle canadienne et même internationale. Forte de ses quelque 100 000 éléments (films, scénarios, affiches, maquettes, photos, magazines…), elle est surtout la seule cinémathèque au pays à faire la conservation de documents, parmi lesquels 10 823 films québécois et canadiens. Celles de Vancouver et Toronto se limitent à la diffusion, relate le cinéaste Denis Chouinard, également vice-président du conseil d’administration. "La moitié de nos collections sont canadiennes. On ne peut donc pas dire que nous sommes un organisme auquel le gouvernement fédéral n’est pas redevable. Si on ne faisait pas ce travail, eux seraient obligés de le faire…"

Si le cinéphile y trouvera aisément les films de cinéastes québécois francophones tels que Gilles Carle, Claude Jutra, Denys Arcand, Jean-Claude Labrecque ou André Forcier, il pourra également apprécier l’art de réalisateurs anglophones, parmi lesquels Mike Hoolboom, Ron Mann, Michael Snow, Francis Mankiewicz, Robin Spry ou Joyce Wieland. "Nous avons une copie de tout ce qui s’est fait en cinéma québécois à 99,9 %. Les gens des cinémathèques à travers le monde savent que nous sommes dépositaires de plusieurs des films canadiens, et quand ils veulent diffuser du cinéma canadien, ils s’adressent à la Cinémathèque québécoise", ajoute M. Chouinard.

La Cinémathèque, fréquentée l’an dernier par 80 000 personnes, possède une solide collection d’œuvres de fiction, de documentaires mais aussi de films d’animation, avec plus de 6000 titres. "Ce qui fait la spécificité de la Cinémathèque québécoise, c’est également le fait qu’elle a une des plus grandes collections de cinéma d’animation au monde", poursuit M. Chouinard.

UNE DETTE QUI S’ACCUMULE

Mis à part les dépenses courantes de fonctionnement, il en coûte annuellement à la Cinémathèque 430 000 $ simplement pour assurer la conservation des pellicules et autres documents du cinéma canadien dans des entrepôts spécialisés. "Les films doivent être conservés dans des conditions optimales en termes d’humidité et de température. Les pays du Sud ont d’ailleurs beaucoup de difficulté à conserver leur patrimoine cinématographique à cause de la chaleur", dit de son côté Mme Racine. Avec une dette accumulée de près de 357 000 $ à la fin de l’année, la Cinémathèque aura un besoin pressant d’argent neuf, insiste-t-elle. "On reçoit déjà une contribution importante du provincial. Notre mandat n’est pas seulement de conserver le cinéma québécois, mais le cinéma canadien et étranger tout autant. Le fédéral devrait ainsi contribuer à la même hauteur que le provincial. Cela nous permettrait d’effacer notre déficit. À l’heure actuelle, nous n’avons pas les ressources pour accomplir pleinement notre mission."

Depuis septembre, une loi oblige tout producteur qui reçoit des deniers gouvernementaux pour faire un film à en déposer une copie pour consultation à la Cinémathèque, se réjouit M. Chouinard. En moyenne, 60 longs métrages sont tournés par an au Québec. Au cours des dernières années, le cinéma québécois a brillé comme jamais sur les écrans du monde. "On est obligé de prévoir de nouveaux espaces parce que la production cinématographique a décuplé au cours des dernières années. On le voit très bien lors des Rendez-vous du cinéma québécois et de par le nombre de films qui nous sont envoyés. Et ça prend du monde pour gérer tout ça, visionner les films et les trier. Il faut tout conserver car des films qui peuvent nous sembler mineurs aujourd’hui seront peut-être considérés comme des chefs-d’œuvre dans 20 ou 30 ans", enchaîne M. Chouinard.

PRÉSERVER LA MÉMOIRE

Michel Brault: «On est très vulnérable parce que notre histoire est mal enseignée. Heureusement que le cinéma est là.»
Photo:Marc Lajoie / Collection Cinémathèque québécoise

Aux yeux du cinéaste chevronné Michel Brault, qui a, entres autres, légué le troublant Les Ordres, portant sur les dénis de droit et les emprisonnements arbitraires durant la Crise d’octobre 1970, l’arrivée du cinéma au 20e siècle a joué un rôle capital dans la préservation de la mémoire collective. "À partir du moment où une cinématographie s’exprime, il faut avoir un organisme dont le premier but est de conserver cette matière pour les générations futures. Pour pouvoir se débattre dans l’avenir, les jeunes générations devront connaître leur passé. Or, on est très vulnérable parce que notre histoire est mal enseignée. Heureusement que le cinéma est là. Prenez, par exemple, Les Ordres: les jeunes générations sont toujours étonnées de voir ce qui s’est passé."

Le cinéma permet de montrer le monde sous toutes ses facettes, corrobore Denis Chouinard. "J’ai découvert le cinéma avec la Cinémathèque qui m’a permis de visionner le cinéma québécois des années 40, 50 et 60 et de comprendre d’où on vient et où on va. Il n’y a pas que la manière américaine ou française de faire des films. La Cinémathèque est une institution capitale. Un véritable trésor caché. Les gouvernements ne doivent pas hésiter à investir dans cette institution. L’aide fédérale nous permettrait de vraiment prendre notre envol, de mieux rayonner sur la place publique, et de se rendre faire des projections dans les écoles, par exemple."

La Cinémathèque présente trois ou quatre films différents tous les jours. Le prix d’entrée est fixé à 6 $. "On recueille aussi les suggestions du public. Les gens intéressés à voir un film en particulier peuvent nous le faire savoir", conclut Mme Racine. Cinémathèque québécoise: (514) 842-9768, www.cinematheque.qc.ca