Société

Ennemi public #1 : 400 miles à l’heure

Redbull, Guru, Base, Hype, X Energy…Notre époque a finalement trouvé et, surtout, massivement adopté une boisson qui lui convient parfaitement: le breuvage énergétique, la boisson accélérante. De l’eau, beaucoup de sucre, des herbes, de nombreux ingrédients exotiques qui lui donnent un goût de god damn, genre sirop pour la toux, et surtout, de la caféine provenant le plus souvent d’un ingrédient miracle: le guarana. Comme si, sous cette forme dite naturelle, elle était tout à coup moins nocive que celle qu’on ingère en buvant 12 cafés.

C’est ce même stimulant qui se retrouve dans les bières Kick et Shok, dont les publicités passent en boucle ces jours-ci. Pourquoi cette étrange fusion, dites-vous? La réponse est dans les bars. N’avez qu’à écouter ce que commandent les clients: une vodka-Guru-canneberge par ici, un Redbull par là, un gin-Base tant qu’à faire. La bière perdrait du terrain au profit de ces cocktails; elle s’est donc approprié ses ingrédients qui font boire bien au delà de plus soif, bien au delà du bout de la nuit.

Speed, amphètes, pilou, pinotte, méthamphétamines…

Notre époque a aussi sa drogue. Celle-là est beaucoup plus puissante que les drinks énergétiques; elle est illégale, mais participe du même esprit d’accélération qui caractérise notre ère. Longtemps disparu du radar, devenu marginal, puis ramené à la culture des clubs par le vieillissement de la faune des raves, le speed tendrait à remplacer la coke, qui a longtemps été le "wake-up" de prédilection des nuitards, mais aussi des gens d’affaires et des créatifs. The executive’s drug, disait-on de la poudre.

Propre, minuscule, l’amphétamine se prend en vitesse, sans flafla. Inutile de se cacher dans les chiottes, de tracer sa ligne et de la sniffer. Son ingestion se fait sans aucun rituel, avec une rapidité exemplaire: on gobe une pilule et hop! nous voilà remontés pour des heures, en mesure de danser sans répit, de boire encore et encore, sans jamais trop ressentir l’effet de l’alcool que l’on peut surconsommer sans même un haut-le-cœur.

Pourquoi ce besoin d’accélération? Les vieux diront: la mort arrive si rapidement, inutile de se précipiter dans ses bras froids. Mais les vieux sont parfois un peu nonos. Ils n’auront pas compris que c’est exactement le contraire. Qu’à l’inverse, cette envie de vitesse ne propulse vers nulle part, mais nous fixe dans le présent.

Cette recherche de vélocité, ce n’est pas une course qui commence à un endroit et finit à un autre. C’est un tapis roulant qui tourne à plein régime. Ce que d’autres ont exprimé bien mieux que moi, à commencer par Saez, auteur-compositeur-interprète français, dans sa désespérante chanson Jeune et con: "Encore une soirée où la jeunesse France/Encore elle va bien s’amuser, puisque ici rien n’a de sens/Alors elle va danser, faire semblant d’être heureux/Pour aller gentiment se coucher, car demain rien ira mieux".

Dans la même ligne, ou plutôt lignée, Kundera, un extrait de La Lenteur: "L’homme penché sur sa motocyclette ne peut se concentrer que sur la seconde présente de son vol; il s’accroche à un fragment de temps coupé du passé et de l’avenir; il est arraché à la continuité du temps; il est en dehors du temps; autrement dit, il est dans un état d’extase; dans cet état, il ne sait rien de son âge, rien de sa femme, rien de ses enfants, rien de ses soucis, et, partant, il n’a pas peur, car la source de la peur est dans l’avenir, et qui est libéré de l’avenir n’a rien à craindre."

Alors, pourquoi donc souhaiter que le party ne finisse jamais? Pourquoi se gaver de drinks énergétiques ou de dope qui nous garde éveillés pendant deux jours? Vous avez compris: pour ne pas avoir à envisager un avenir détestable. Et l’avenir, comme le dit Saez, ça commence demain.

Généralement le matin, avec ou sans gueule de bois.

ooo

J’en entends déjà regretter les bonnes vieilles drogues cool, de la marijuana à l’acide, ces dernières étant supposément plus vertueuses, puisque des drogues de l’imagination, qui ouvrent l’esprit, nettoient les portes de la perception, pour reprendre le psychédélique vers de Blake, ensuite adopté par Aldous Huxley, puis Jim Morrison.

Cela est affaire de goût. Et d’époque, comme je le disais. Mais sachez, bande de hippies, que vos drogues favorites ont toujours la cote. Surtout chez les publicitaires.

Vous pensez que je vous niaise? Alors expliquez-moi, si ce n’est grâce au LSD, comment une équipe de créatifs est-elle parvenue à choisir Francine Grimaldi comme porte-parole pour faire la promotion du citron et à trouver ça brillant?