La messe country : Jésus Guitare
Société

La messe country : Jésus Guitare

Rangez les orgues, les mitres et les génuflexions… La messe country, c’est un peu partout et ça s’en vient près de chez vous ! Hi-hahhh!

Arborant un chapeau de feutre à larges rebords sur sa soutane blanche, le père Julien de la Fontaine accueille les paroissiens à l’entrée, ravi de les voir arriver en si grand nombre. En ce dimanche matin d’avril, ils sont plus de deux cents à être venus communier sur des airs country.

L’église de St-Mathias-sur-Richelieu est donc plus remplie qu’à l’habitude et l’ambiance, normalement propice au recueillement, est un brin fébrile. Dans le bruit des bottes et le frottement des vestes de cuir, les premières notes de la chanson Je te suivrai montent jusqu’à la voûte ornée de fleurdelisés. Guitare folk à la main, coiffé d’un chapeau de cow-boy, Bernard Paquette, accompagné de son épouse Ginette Marchesso, chante avec conviction.

Le couple se tient devant l’autel avec son amplificateur et ses deux micros sur pied. Un peu en retrait, Ghislain, leur acolyte, portant lui aussi le traditionnel couvre-chef western, veille à diffuser les accompagnements pré-enregistrés. Tandis que le refrain "Jésus, je te suivrai" résonne dans l’enceinte de l’église centenaire, les corps se balancent sur leur banc.

Succédant aux applaudissements et non moins enchanté par la performance, le bedeau invite l’assistance à ne battre des mains qu’à la toute fin, rappelant qu’il s’agit bien d’une messe. À voir les paroissiens concentrés sur l’homélie du père de la Fontaine (venu remplacer in extremis), la cérémonie ponctuée de ballades entraînantes n’a rien perdu de son caractère religieux. Il ne faut pas s’y tromper, les visiteurs sont venus pour prier. Ce qu’ils s’empressent de faire en fredonnant le Notre père mis en musique par le duo country.

L’assistance est composée de croyants de toutes les générations. Sur un banc du centre, une grand-maman a traîné sa petite-fille, une belle rouquine de cinq ans qui a l’air d’apprécier. Dans la deuxième rangée, un adolescent venu avec sa famille regarde la scène d’un air amusé. L’église compte bien sûr plusieurs paroissiens locaux, mais aussi beaucoup de fidèles des villages voisins. Ils sont en effet quelques-uns à faire le circuit des messes country. "Les gens du coin se déplacent pour assister à nos messes. Ce matin, il y avait cinq, six autos qui nous suivaient", explique Ginette Marchesso, tout sourire. Le couple qu’elle forme avec Bernard Paquette réside à Ange-Gardien en Montérégie, une région agricole où les messes country ont la cote.

"C’est sûr que ça amène plus de gens que d’habitude. J’ai l’impression que l’assistance a doublé. Il y avait des gens jusque dans le jubé", constate Micheline St-Amant, collaboratrice à la paroisse de St-Mathias. Son église accueillait pour une seconde fois le duo country, dont les visites annuelles sont très attendues. "Je suis venu parce que ce sont des messes particulièrement agréables", reconnaît Lucien Bouthillette. L’homme de 82 ans fréquente normalement la paroisse de Beloeil.

Si un tel événement arrive à faire doubler le nombre de paroissiens le temps d’un dimanche, les messes animées par Bernard dans les festivals d’été réunissent, quant à elles, jusqu’à 3 000 croyants fans de musique country. Ces messes sous le chapiteau font partie des moments forts du couple, qui présente son répertoire depuis bientôt neuf ans. "Je préfère les messes aux spectacles", avoue Bernard, devenu Mr. B pour la scène. "C’est très valorisant. Je sens les gens vraiment attentifs. Il y avait même une dame, ce matin, qui pleurait dans la première rangée", raconte l’homme de 62 ans, qui a fait des messes country sa marque de commerce. "Dans tous les festivals, les gens savent que je suis celui qui fait des messes. Ça m’a permis d’obtenir beaucoup d’engagements", admet-il.

Ses messes sont si populaires que les organisateurs de festivals doivent parfois se doter d’un hélicoptère pour jouir de sa présence. "On propose à l’un de devancer un peu sa messe et à l’autre de la retarder. En se déplaçant en hélicoptère, on arrive à faire les deux", résume Mr. B non sans fierté. Un investissement rentable compte tenu du fait que leur prestation est tout à fait bénévole. "On ne veut pas être payés pour ça. On le fait pour le petit Jésus", précise Ginette.

Bien qu’il offre ses spectacles à titre gracieux, quelques églises refusent encore d’ouvrir leurs portes au duo country. "Certains curés estiment que nous chantons des niaiseries", laisse tomber Ginette sans détours. "D’autres sont indisposés par le chapeau", ajoute Bernard en désignant son couvre-chef. Ces églises demeurent néanmoins des exceptions. La plupart d’entre elles sont plutôt ravies d’offrir ainsi de la diversité à leurs paroissiens.

"Ça apporte du nouveau à l’église et les gens aiment ça", explique Francine Loiselle, membre du comité pastoral et organisatrice de l’événement. "La demande vient des gens", résume-t-elle. S’il s’agit pour les néophytes d’une occasion de communier différemment, ces messes sont aussi des rendez-vous pour les adeptes de la culture country. "On est comme une grande famille", lance Ginette Marchesso.

C’est donc toute une parenté que Mr. B se prépare à accueillir en juillet à son festival du porc à Ange-Gardien. L’événement, dont il est l’organisateur, en est à sa huitième édition et reçoit chaque année près de 7 000 visiteurs. Aux personnes venues le saluer après la messe, Bernard Paquette s’empresse de rappeler l’invitation et ajoute invariablement, en leur serrant la main: "Que Dieu te protège cette semaine parce que moi j’aurai pas le temps!".