Merde alors!
Société

Merde alors!

Montréal est entouré d’eau, mais se payer une saucette dans le fleuve ne fait pas partie de nos mœurs pour des raisons bien connues. Trouvera-t-on enfin un jour une solution? Avec peu de volonté politique, rien n’est moins certain.

Depuis 20 ans, environ 3 000 personnes occupant 720 logements situés près de la rue Sherbrooke et de l’avenue de la Rousselière (dans Pointe-aux-Trembles), évacuent quotidiennement leurs petits besoins directement dans le fleuve Saint-Laurent. Sans escale à l’usine d’épuration des eaux. La ville de Montréal, consciente du problème, avait jusqu’ici jugé les coûts pour corriger la situation trop élevés; du moins jusqu’à récemment. C’est qu’un projet de 134 logements sociaux à être construits dans le secteur a failli tomber à l’eau, stoppé qu’il était faute de pouvoir se raccorder au réseau d’égouts. La pression populaire jumelée à l’attention médiatique auront finalement convaincu l’administration Tremblay, en mars dernier, de débloquer 6,8 millions de dollars pour faire entrer cette portion de la ville dans l’ère de la modernité. Et détourner du fleuve une bonne quantité d’eaux usées.

MONTRÉAL, COUPÉE DES EAUX

L’histoire de l’avenue de la Rousselière est peut-être anecdotique, mais elle s’additionne à d’autres anecdotes du genre qui ruissellent vers le fleuve Saint-Laurent pour en miner la pureté. Malgré des investissements de 1,4 milliard de dollars pour intercepter et traiter toutes les eaux usées de l’île, ce fleuve baptisé par Jacques Cartier en l’honneur du saint patron des pauvres reçoit toujours une portion de nos cochonneries. En certains endroits, la qualité de l’eau du fleuve représente même un risque pour la santé.

En février dernier, le Conseil régional de l’environnement de Montréal organisait un forum sur les eaux usées montréalaises et la récupération des usages récréatifs en rive. Un constat: les Montréalais ont sous le nez un des plus beaux fleuves du monde, mais ils ne peuvent en profiter. Que faire pour redonner à la population un accès sécuritaire aux rives et à l’eau du fleuve?

Le Réseau de suivi du milieu aquatique (RSMA) (www.rsma.qc.ca) surveille la qualité de l’eau en rive depuis 1998 grâce au programme QUALO. En 2003, 70 des 113 stations d’évaluation présentaient une qualité d’eau autorisant la baignade. Celles ne pouvant recevoir le sceau QUALO, surtout localisées dans l’est de l’île, dépassaient donc la norme établie à 200 coliformes fécaux par 100 ml. "La situation dans l’Est est un peu normale, indique le responsable du RSMA, Guy Deschamps. Cela s’explique en partie parce que le système de captation des eaux usées va d’est en ouest. Forcément, plus on avance dans l’est, plus la quantité d’eaux usées augmente. Il y a donc plus de débordements des réseaux dans le fleuve." À deux stations QUALO, la qualité de l’eau a même été jugée insalubre. "Dans ces cas, même un contact indirect avec l’eau (canotage, pêche) est problématique, explique M. Deschamps. C’est très local par contre. On parle de petits tuyaux de 12 pouces de diamètre qui déversent des eaux usées."

Si les problèmes de raccordements croisés (comme ceux du secteur De la Rousselière) inquiètent, il ne faut pas passer sous silence la pollution causée par les eaux de débordement. "En temps de pluie, les tuyaux débordent et les eaux usées sont mêlées aux eaux de pluie, qui sont toutes déversées dans le fleuve plutôt que d’être dirigées vers l’usine d’épuration", explique Chantal Rouleau, directrice du Comité ZIP (Zones d’intervention prioritaire) Jacques-Cartier. Ces eaux de débordement, on le devine, transportent vers le fleuve les huiles et les graisses déposées sur la chaussée, tout comme nos pipis et nos cacas…

Pour améliorer la situation, il faudrait que le nombre de débordements soit réduit, soutient Mme Rouleau. Et pour ce faire, il importe qu’une moins grande quantité d’eau de pluie aboutisse dans les égouts pluviaux. "Nous avons besoin de bassins de rétention, poursuit Chantal Rouleau. Il faut aussi moins de surfaces asphaltées et plus d’arbres, les racines retiendront l’eau dans le sol." Développer le concept des toitures vertes sur les immeubles de la ville permettrait d’autre part une certaine rétention des eaux de pluie. De la verdure, on y revient toujours…

REPRENDRE POSSESSION DU FLEUVE

Le Comité ZIP Jacques-Cartier, qui a milité pour que la ville règle le problème d’égouts dans le secteur De la Rousselière, constate qu’un projet rassembleur, lié à une problématique environnementale, permet de faire bouger les choses du côté des autorités municipales. "Quand on parle de tuyaux, ce n’est pas tellement glamour. Il n’y a pas de ruban à couper, dit Chantale Rouleau. Il faut jumeler un beau projet social à la qualité de l’eau en rive. Il faut arrêter de voir le fleuve comme un égout. On pourrait avoir une plage dans l’Est, pourquoi pas? Il y en a déjà eu…" Le Comité ZIP Jacques-Cartier prône désormais l’ouverture de points d’accès à l’eau, afin de développer chez les Montréalais le réflexe de se jeter dans leur fleuve, d’en jouir et d’être sensible à sa protection… "Nous voulons plus de points d’accès au fleuve, assurer une qualité d’eau adéquate et offrir aux citoyens des plages de quartier où ils pourront aller se baigner gratuitement, en toute sécurité et sans danger pour la santé."

Or, il n’est pas simple de créer une plage à Montréal. À Verdun, un projet est présentement sur la table et, selon les responsables de l’arrondissement, il faudra attendre encore au moins deux ans avant que le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs donne son aval. En attendant, d’autres initiatives sont mises en oeuvre pour permettre aux Montréalais de profiter de leur fleuve cet été. Les Comités ZIP de l’île organiseront quelques journées de baignade lors desquelles les Montréalais seront invités à se tremper le gros orteil dans le fleuve. Pour être tenu au courant par courriel de ces journées, visitez le site Internet (www.montrealbaignade.org).