Société

Ennemi public #1 : Les meilleures intentions

Mon opinion sur l’affaire Simard-Cloutier? Vous voulez savoir? Vraiment? Puisque vous me la réclamez – dans la rue, accoudés à un bar ou par courriel -, la voici: je n’en ai pas.

Ou plutôt si, mais c’est la même que plusieurs d’entre vous: je compatis, je trouve ça triste à mort, révoltant, mais Dieu que le show médiatique qu’on en tire m’accable. Alors autant dire que je n’ai pas vraiment d’avis sur la question, à moins que cela ne concerne, justement, ce traitement abusif de la nouvelle. Là, certes, il y a des kilomètres de trucs à raconter sur cette folie furieuse qui s’est emparée du Québec.

"Onde de choc", surtitraient La Presse et Le Journal de Québec en fin de semaine dernière. La sortie publique de Nathalie Simard est donc un tremblement de terre, un tsunami. Et comme pour les catastrophes naturelles, la multiplication des interventions journalistiques signifie aussi la multiplication des conneries proférées comme autant de vérités indiscutables.

C’est un peu, si vous vous souvenez de votre enseignement religieux, comme les noces de Cana. Une sorte de miracle qui permet de rassasier les trop nombreux convives à ce mariage d’une sordide histoire de cul avec la joyeuse famille du showbiz.

Convié à la noce, et toujours à la hauteur de son statut de roi des imbéciles, c’est Gilles Proulx, le mononc’ badtrip, qui remporte encore une fois la palme de la stupidité patentée. À l’écouter, Nathalie Simard serait plus une victime de la mode que de son gérant, suivant la tendance lancée par l’affaire Michael Jackson. Toujours selon Proulx, puisqu’il y a un vieux cochon qui pelote des petites filles à tous les coins de rue, il n’y a pas de quoi en faire un plat.

Le con. Comme si la banalité de la chose la rendait excusable.

À l’inverse, l’exploitation au ton empathique du malheur de Nathalie commence à sentir l’opportunisme fétide. Une occasion de faire son examen d’hygiène morale collective, et ce, jusqu’à la psychose nationale.

Le Québec, paradis des pédophiles, prétendait un autre moron, le maire de Huntingdon. Pourquoi le Québec plus que la France, le Mexique ou le Burkina Faso? Qu’importe, il est de bon ton d’alarmer le téléspectateur. Cela le terrifie, et tétanisé par la peur, il est parfaitement incapable de changer de poste. Il pense au coach de natation de sa fille, au prof de gym à l’air louche, au nouveau mari de son ex, et pendant ce temps, l’audimat explose.

Les journaux, même en dehors de l’empire Quebecor, ne sont évidemment pas en reste au rayon du sensationnalisme: "Comment reconnaître un pédophile", titrait en page couverture Le Soleil de samedi dernier. Grosse enseigne au néon qui clignote pour un article sobre, honnête, qui n’a absolument rien du tonitruant de son titre. Car surprise, le pédophile ne répond pas toujours aux bons vieux stéréotypes. Il n’est pas nécessairement moustachu, ne porte pas de pantalons en Fortrel brun, sa phrase favorite n’est pas "Viens shaker le change à mononc’" et s’il ralentit dans les zones scolaires, c’est surtout parce que la limite de vitesse y est à 30 km/h. Vous voilà instruits, mais un peu déçus quand même. Vous auriez préféré pouvoir les identifier facilement, les montrer du doigt dans la rue, les reconduire aux limites de la ville en leur "pitchant" des roches, non?

On me rétorquera que ces articles et entrevues sont d’actualité, que ce témoignage de Nathalie Simard agit comme une thérapie à grande échelle, que tout ce battage encourage les victimes à dénoncer leurs agresseurs, qu’il faut briser le silence. Bien. Comment voulez-vous être contre la vertu?

Mais se pourrait-il, par ailleurs, que l’on puisse à la fois saluer le courage de cette fille et dénoncer l’exploitation éhontée que l’on fait de son drame? Se pourrait-il que dans cette cacophonie de commentaires indignés, il n’y ait finalement qu’assez peu d’empathie, mais plutôt un vampirisme crasse, souvent parfaitement inepte, qui a très peu à voir avec le désir de faire sortir les loups de leur tanière, mais surtout avec le besoin de faire sortir de la copie?

Cela se résume finalement à une seule question: peut-on se draper dans les meilleures intentions pour s’excuser des pires conneries?