Les Jeux gais : Un… deux… trois…
Qu’y a-t-il de gai dans les Jeux gais? 80 à 85 % des participants. Et de la nage synchronisée masculine, du patinage artistique avec couples du même sexe. Des compétitions de danse en ligne et de cheerleading. Festif! Distinctif. Pour qui? Pourquoi?
À un peu plus d’un an du lancement des premiers Outgames mondiaux, les membres du comité organisateur peuvent se féliciter d’avoir d’ores et déjà presque entièrement atteint les objectifs fixés. Avec plus de 4900 inscriptions à ce jour, l’événement surpasse de 24 % les chiffres obtenus par les Jeux gais de Sydney tenus en 2002. Côté budget, on cumule déjà 14 millions de dollars d’investissements sur un total de 16,9 millions prévus pour la viabilité du projet, dont près de 4 millions proviennent du public. Les couleurs de Labatt Bleue, Air Canada et Bell Canada, entre autres, s’affichent sur les dépliants promotionnels.
À la Ville de Montréal, on se frotte les mains à l’idée des quelque 250 000 visiteurs annoncés pour l’occasion. Une manne touristique et économique qui laisse envisager des retombées de l’ordre de 100 millions $. De quoi gonfler l’enthousiasme du maire Gérald Tremblay, qui laisse tomber "les Outgames représentent un sommet sportif et récréatif", avant de louer le climat que favorise l’événement dans les rangs de son administration, au même titre que la charte montréalaise des droits et des responsabilités. La Ville offre son soutien en termes d’infrastructures, ce qui permettra aux jeux de s’étendre sur 47 sites, dans 11 arrondissements.
Consensuels, les Outgames semblent désormais faire l’unanimité et l’opération séduction bat son plein, avec près de 200 activités promotionnelles prévues en cours d’année. Pourtant, les jeux reviennent de loin. Le 11 mai 2004, l’événement était sauvé in extremis par l’arrivée tambour battant de la GLISA, l’Association sportive internationale gaie et lesbienne. Fondée quelques mois plus tôt, la nouvelle partenaire amenait avec elle 70 organismes gais provenant principalement d’Europe et des États-Unis. Elle venait surtout renflouer les caisses et le moral de l’équipe organisatrice, évincée du circuit officiel des Jeux gais qui lui a préféré la ville de Chicago.
On comprend donc pourquoi Louise Roy, directrice générale de Montréal 2006, qualifie la GLISA de garantie de réussite pour ces jeux. L’arrivée récente de gros commanditaires aura fini de rassurer les organisateurs qui n’en menaient pas large en début d’année, alors qu’on s’inquiétait de "la frilosité du milieu des affaires montréalais" et que Louise Roy invitait le privé à "activer la cadence". Les premières inquiétudes balayées, on ose aujourd’hui parler paillettes. Maître d’œuvre officiel des cérémonies d’ouverture et de fermeture, Guy Latraverse annonce la participation du Cirque du Soleil et le retour de Diane Dufresne au Stade olympique, ainsi que la venue de stars américaines. Dans les rangs des supporters, on se laisse aller à rêver d’une cérémonie d’ouverture en présence d’Elton John ou encore de l’apparition d’Amélie Mauresmo.
Les Outgames sont en principe ouverts à tous. On estime toutefois qu’environ 80 à 85 % des participants seront gais. Quant à savoir si la population hétérosexuelle se joindra en masse aux spectateurs, la question n’a pas l’air de préoccuper outre mesure Louise Roy, qui préfère parler de l’impact des jeux sur les droits des gais dans le sport. Pourtant, si la question mérite d’être posée, c’est que, malgré le soin apporté à leur promotion, la nature des jeux peut échapper à une large part de la population canadienne. Robert Pilon, président du GRI, Groupe de recherche et d’interventions sociales gaies et qui a lui-même participé à deux reprises aux Jeux gais, admet que "le fun est surtout pour ceux qui participent" mais il ajoute, avec humour et pour casser d’emblée les idées reçues: "Lorsque j’ai fait ma première entrée dans une équipe gaie de volley-ball, je me posais la même question que les hétéros: qu’est-ce qui se passe dans les vestiaires? Réponse: rien, juste des personnes qui souhaitent faire du sport sans subir d’agressivité. Plus personne ne pouvait nous traiter de tapettes, on l’était tous!"
Les Outgames, au même titre que n’importe quel autre événement de ce type, sont d’abord voués à la promotion du sport et de l’esprit sportif. C’est en tout cas ce que défend Philip Hedrei, entraîneur en chef et cofondateur de l’équipe d’aviron Odawagan, dont plusieurs membres sont d’ores et déjà inscrits aux compétitions de 2006: "L’aviron est beaucoup moins visible au Québec que dans les provinces anglophones. Pour moi, les jeux sont d’abord une occasion de faire connaître la discipline, pas seulement dans la communauté gaie, mais de manière plus large." Trois matins par semaine, l’équipe se retrouve au bassin olympique pour s’entraîner d’arrache-pied. Des conditions optimales que Philip se réjouit à l’avance de retrouver le jour de la compétition: "Peu de gens savent que notre bassin olympique est quasiment unique au monde. Il n’en existe que deux en Amérique du Nord qui permettent de pratiquer l’aviron dans de telles conditions. Pour le sportif, mais aussi pour les spectateurs, c’est l’idéal!"
Avec plus de 30 disciplines sportives représentées, les Outgames offrent assez de choix pour que les spectateurs y trouvent leur compte et même une part d’insolite. La nage synchronisée, traditionnellement réservée aux femmes dans les grandes compétitions, est ici ouverte aux hommes, qui participent massivement. John Fay, responsable de l’association française Paris Aquatique et lui-même nageur, explique que la discipline, pratiquée par les hommes, est "moins gracieuse mais plus puissante" et qu’elle nécessite une approche différente pour parvenir aux mêmes mouvements. Dans le même ordre d’idées, le patinage artistique n’est plus tout à fait le même lorsqu’on a affaire à des couples gais. Robert Pilon, qui a assisté à des compétitions de patinage artistique gai, lui trouve même des vertus spécifiques: "Deux gars ensemble ont des possibilités plus grandes en termes de portés. Ils peuvent aisément échanger les rôles." Autre différence majeure avec les compétitions traditionnelles, l’âge des participants n’est pas limité, tout comme leur niveau sportif, puisque différents groupes de niveau sont prévus dans chaque discipline.
Si l’événement se permet de prendre quelques largesses quant au règlement, c’est qu’il se veut aussi festif. "Toutes sortes de gens se retrouvent là, avec des corpulences, des âges différents", note Robert Pilon, qui se souvient bien d’un joueur de volley "très gros, en jupe, qui jouait super bien" et d’une équipe asiatique "hyper efféminée et dont les chorégraphies étaient comiques. Tout un show!". L’équipe organisatrice a d’ailleurs inséré quatre disciplines culturelles à son programme de réjouissances. On pourra donc assister à des compétitions de danse carrée, de danse country-western, de chorales et même de fanfares et de cheerleading. Et pour bien marquer la différence, les Outgames ont prévu des soirées pour les couche-tard, organisées en collaboration avec la fondation du Bad Boy Club Montréal, instigateur notamment du festival Black & Blue.
Les Outgames ne sont pas pour autant une autre gay pride. Dans le staff, on prend très au sérieux le rôle pédagogique de l’événement auprès de la population en général. Le médaillé d’or Mark Tewksbury, coprésident des jeux, a déjà témoigné à plusieurs reprises des difficultés occasionnées par son homosexualité dans le milieu sportif et plaidé pour des jeux ouverts à tous, hétérosexuels ou homosexuels, arguant que "même si vous avez la plus vibrante des compétitions, s’il n’y a que des lesbiennes et des gais et que personne ne sait rien de cela, vous ne pourrez jamais avoir de véritable impact, ni obtenir de changement à long terme". Raison pour laquelle les jeux organisent, en marge des compétitions, une conférence sur le droit à la différence qui réunira 2000 participants dont 60 % viendront de l’étranger.