Ville la sale : Promenade !
Monsieur le maire a beau se laisser barbouiller le portrait pour dénoncer la "campagne de salissage" dont serait victime sa métropole, il reste que Montréal est une ville où ordures, rebuts et saletés défigurent encore solidement le paysage urbain…
Il devait être 11 h lorsque Lyne Séguin a reçu un appel sur son walkie-talkie. "Rue Aird, près d’Ontario. On a trouvé un paquet de cochonneries éparpillées sur le trottoir." Nous sommes à quelques minutes en voiture de là. Arrivés sur les lieux du "crime", la scène est désolante. Sur ce trottoir de la rue Aird (dans le quartier Maisonneuve) gisait la vie de quelqu’un… Dans un fatras complet: vêtements, photos de famille, disques, documents personnels, petits meubles. Une tristesse urbaine. En étudiant le tas, Lyne émet une hypothèse: il s’agit probablement de l’œuvre d’un propriétaire qui a décidé d’en finir avec un locataire récalcitrant en l’évinçant sans autre forme de procès. Une enquête plus approfondie permettrait certainement d’en apprendre davantage sur l’identité du coupable. Mais pour l’instant, il faut débarrasser la voie piétonnière de ces indésirables. Une équipe de nettoyage de la Ville passera le soir même et le dossier sera classé. Et pour Lyne Séguin, ce sera la conclusion d’une autre journée dans la vie trépidante d’une inspectrice du domaine public de l’arrondissement Mercier/Hochelaga-Maisonneuve…
Vieux divans, matelas et autres dépôts sauvages laissés à l’abandon dans les ruelles. Sacs à ordures éventrés sur le trottoir et poubelles municipales vomissant leur trop-plein. Contenu de bacs verts semé aux quatre vents. Commerces tapissés de graffitis. Résidences en décrépitude, gazon trop long et débris de construction laissés sur la voie publique. Plusieurs coins de la ville nous rappellent que malgré les efforts consentis par les autorités municipales pour sensibiliser la population à l’importance de la propreté, il reste encore du chemin à faire.
TRAQUER LES REBUTS
Depuis près de trois ans, Lyne Séguin fait partie de l’équipe de quatre inspecteurs du domaine public qui patrouille dans l’arrondissement Mercier/Hochelaga-Maisonneuve. Le pire, selon certains, concernant la propreté. Dès 6 h 30 le matin, Lyne est déjà derrière le volant de sa voiture et fait sa ronde, à la recherche d’infractions aux règlements municipaux sur la salubrité. Les 248 kilomètres de rues et de ruelles et les 40 parcs et espaces verts de son secteur, Lyne les connaît tous par leur petit nom. Depuis qu’elle fait ce boulot, la jeune femme a d’autre part développé un véritable instinct pour flairer les coins "à problèmes". Elle peut connaître le contenu d’un sac à ordures en le tâtant simplement du bout du pied. Et lorsqu’elle effectue des fouilles à la recherche d’indices qui lui permettraient d’identifier le propriétaire d’un sac-poubelle illégal, elle ne connaît pas de répit. Il lui est déjà arrivé de recoller les morceaux d’une adresse qu’une résidante avait minutieusement pris soin de déchiqueter, justement pour éviter de se faire pincer… Gare à ceux qui voudront jeter leurs poubelles n’importe où: Lyne Séguin et ses collègues veillent au grain.
Ce jour-là, Lyne me fait visiter son secteur. "Les gens pensent que c’est épouvantable à Hochelaga-Maisonneuve, mais je peux dire que la situation s’est beaucoup améliorée depuis deux ans", dit-elle. Néanmoins, au cours de notre tournée, les infractions se notent pratiquement à chaque coin de rue. Dans plusieurs cas, il s’agit de sacs à ordures sortis le mauvais jour, ou à la mauvaise heure. Dans d’autres cas, ce sont des dépôts sauvages abandonnés dans les ruelles. Lorsque Lyne remarque un comportement récurrent dans une zone donnée, elle émet des avis. "La plupart du temps, un avis permet de régler le problème. En général, ce n’est pas de la mauvaise volonté de la part des gens, c’est qu’ils ne connaissent pas les règlements et font cela par habitude", explique Lyne. "Mon but n’est pas de faire de la répression, poursuit-elle, mais de la sensibilisation." Environ 400 avis sont donnés chaque année. Il reste que les récidivistes existent et dans ces cas, Lyne peut émettre un constat d’infraction: une amende pouvant aller de 141 $ pour avoir sorti ses vidanges à la mauvaise heure, à 1 000 $ pour les cas plus extrêmes.
Rue Sainte-Catherine, un coquet petit salon devant un PFK abandonné. |
Ces cas extrêmes, nous en croisons quelques-uns. Sur un terrain appartenant au CN près de la rue Saint-Clément, on aperçoit des montagnes de détritus de construction. Impossible de trouver le responsable. Plus loin, un restaurant PFK abandonné semble avoir été investi par des squatters qui ont aménagé à l’extérieur un coquet petit salon avec des meubles vraisemblablement trouvés dans les détritus. Ces immeubles abandonnés qui enlaidissent la ville sont nombreux. "Si le propriétaire rasait l’immeuble, il paierait une surtaxe pour terrain vague", explique Lyne. Poursuivant notre route, nous apercevons un individu ouvrant des sacs à ordures à la recherche de quelques bouteilles à échanger. Lyne intervient pour éloigner le glaneur. La routine habituelle.
Mais au-delà des horreurs, l’inspectrice me montre aussi certains sites où son travail a permis de changer les choses. Comme ce terrain vague, rue Sainte-Catherine, jadis le dépotoir improvisé des résidents, aujourd’hui devenu un terrain gazonné immaculé. "Ç’a été beaucoup de travail", confie Lyne non sans quelque fierté.
CHANGER LES HABITUDES
Mais pourquoi diable plusieurs Montréalais ont-ils des comportements déviants lorsque vient le temps de sortir leurs poubelles? Il faut dire que la gestion des déchets domestiques est un sport national dont les subtilités ne sont pas encore maîtrisées par tous. Ainsi, pour nous conformer aux règlements de la Ville, il faudrait sortir nos ordures une heure avant la collecte et les déposer devant notre demeure. Nos déchets devraient aussi être mis dans des sacs résistants (les petits sacs blancs d’épicerie n’étant pas réglementaires). Les objets dépassant un mètre de long (les meubles, les branches, les électroménagers) sont considérés comme des "encombrants" et devraient être déposés à la déchetterie municipale, à l’éco-centre, ou alors le résident devrait téléphoner à son bureau Accès Montréal pour que la Ville vienne les chercher. Ils ne devraient en aucun cas se retrouver dans la ruelle. Les matières recyclables, quant à elles, doivent aussi être sorties le bon jour et à la bonne heure. Elles doivent en outre être triées dans le petit bac vert et déposées de sorte qu’elles ne partent pas au vent. Et on ne parle pas de la multitude de dates à se rappeler pour la collecte des résidus domestiques dangereux, des feuilles mortes et des arbres de Noël. Est-il étonnant que certains citoyens décrochent?
QUAND "RUELLE" RIME AVEC "POUBELLE"
Une cour arrière un tantinet encombrée. |
"Si on réglait seulement le cas des ruelles, on réglerait à peu près 60 % des problèmes de propreté dans l’arrondissement", soutient Jacques-Alain Lavallée, chargé des communications dans l’arrondissement Mercier/Hochelaga-Maisonneuve. C’est une vieille habitude: dans le passé, les déchets étaient ramassés dans les ruelles. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. "Le règlement est très clair: on ne met rien dans les ruelles, sauf les ruelles commerciales qui sont à l’usage exclusif des commerçants", poursuit M. Lavallée.
Cette année, l’arrondissement axera d’ailleurs sa campagne de propreté précisément sur les ruelles, et ce, en installant des pancartes dans les prochaines semaines qui rappelleront aux résidents que les "encombrants" et les ordures ménagères n’ont pas leur place dans les ruelles. On distribuera aussi des cartons d’information aux résidents pour les aider à démystifier cette science complexe qu’est la gestion des déchets domestiques…
L’initiative est louable, mais une responsable de l’Éco-quartier Hochelaga-Maisonneuve (qui préfère garder l’anonymat) me raconte une anecdote qui illustre à merveille combien la route sera jonchée d’obstacles: "Nous avons déjà distribué des cartons d’information dans un quartier et quelqu’un nous a téléphoné pour nous engueuler et nous dire que jamais personne ne l’empêcherait de mettre ses poubelles dans la ruelle…"
HARO SUR LES GRAFFITIS
Outre les déchets illégaux, les graffitis qui dévisagent les murs sont aussi un problème qui mine la propreté de la ville. Dans Hochelaga-Maisonneuve, on a pris le dossier à bras-le-corps en lançant, au coût de 927 263 $, le projet-pilote Y’a quelqu’un l’aut’ bord du mur. Ce projet d’insertion sociale permet aux commerçants de la Promenade Ontario de faire nettoyer les graffitis à un prix de 30 $ par surface murale (au lieu de quelques centaines de dollars). Depuis la mi-avril, on a déjà retiré une vingtaine de graffitis. "L’idée, c’est aussi de proposer d’autres solutions, ajoute Jacques-Alain Lavallée. Les études ont démontré que si on enlève un graffiti sans proposer autre chose, celui-ci reviendra." Parmi ces autres solutions: des murs dédiés aux graffiteurs où ceux-ci pourront s’exprimer en participant à une murale. La réalité de ces joyeuses initiatives n’est cependant pas toujours aussi simple. "Parfois, les jeunes graffiteurs ont beaucoup de talent, sauf que leur forme d’art [souvent des mots en 3D impossibles à lire] ne plaît pas à tout le monde", raconte Jean-Charles Phaneuf, coordonnateur du projet Y’a quelqu’un l’aut’ bord du mur. "Nous ne faisons pas de murales, mais nous avons quand même déjà eu un contrat en ce sens (un projet pour un organisme du quartier). La demande qu’on a eue était de peindre des personnages sur un mur. Sauf que les gens qui ont fait la murale ont dessiné deux personnages… mais avec une GROSSE signature!"
EN FINIR AVEC LA MALPROPRETÉ
La lutte contre la malpropreté ne sera probablement jamais totalement gagnée. Pour l’instant, la Ville mise encore sur la sensibilisation citoyenne pour aider à améliorer la situation. "L’éducation, c’est par là que ça passe", croit aussi Lyne Séguin qui n’hésite jamais à informer les gens dans la rue. Sauf que toutes ces mesures pour nettoyer la ville risquent de n’être que des solutions temporaires si l’on ne fait rien pour améliorer le problème de fond: la réduction de nos déchets à la source…
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– 83,5 millions de dollars pour la collecte des matières résiduelles.
– 1 million de dollars pour nettoyer les graffitis et réduire l’affichage sauvage.
– 10 048 poubelles publiques vidées trois fois par jour dans les sites touristiques et commerciaux. Dans les autres rues, elles sont vidées deux fois par semaine.
– 4765 km de rues, dont quelques-unes dans le centre-ville et le Vieux-Montréal sont balayées chaque jour et d’autres, les ruelles et rues résidentielles, le sont une fois par semaine.
– 800 employés déployés à la grandeur de la ville pour le nettoyage printanier.
– 300 000 $ pour la campagne de sensibilisation sur la propreté.
Source: Ville de Montréal.