Le crystal meth : Piège de crystal
Société

Le crystal meth : Piège de crystal

Il fait des ravages aux États-Unis et dans l’Ouest canadien. Le crystal meth, est une drogue qui coûte le sixième du prix de la cocaïne, mais dont l’effet est dix fois plus puissant. Si vous n’en avez pas encore entendu parler, ça ne saurait  tarder.

"Le crystal meth est à votre porte, prévient le coordonnateur national pour la GRC des opérations contre les drogues de synthèse, le sergent Doug Culver, établi à Ottawa. On a découvert des laboratoires en Ontario, on voit de plus en plus de cocaïnomanes changer pour le crystal. Nous surveillons étroitement la situation chez vous."

Rarement une drogue a-t-elle soulevé une telle inquiétude, tant chez les autorités policières que chez les scientifiques. C’est que beaucoup de consommateurs de crystal meth prétendent qu’une seule dose a été suffisante pour développer une dépendance ahurissante.

"Ce n’est définitivement pas une "drogue récréative"", juge le Dr Claude Rouillard, professeur et chercheur au département de médecine de l’Université Laval, et dont l’expertise a été mise à profit pour le Comité permanent de lutte à la toxicomanie et le ministère de la Santé du Québec. "Une seule consommation n’entraîne pas nécessairement une dépendance automatique, mais c’est vrai qu’une très faible minorité de gens réussissent à contrôler leur consommation une fois qu’ils ont essayé."

Lauren (qui préfère ne pas révéler son nom de famille) en sait quelque chose. Le crystal meth a fait déraper sa vie. Son histoire est l’exemple typique d’une victime de cette drogue.

C’était en 2002. Âgée de 14 ans, jolie et plutôt bonne élève, Lauren était aussi championne albertaine de natation. Elle s’est entraînée quotidiennement jusqu’à ce qu’une blessure à l’épaule mette fin abruptement à sa jeune carrière.

Sans sa discipline, Lauren cherche à combler ses temps libres… Un soir, on lui offre de fumer de la métamphétamine – du crystal meth. Elle a déjà commencé à consommer d’autres drogues, elle s’imagine que ça ne peut pas être pire. Erreur. "Dès que j’en ai fumé, c’était fini, raconte-t-elle aujourd’hui. J’ai développé une dépendance sur-le-champ. C’est vraiment puissant."

"C’est ça le problème avec le crystal meth, explique Maralyn Benay, une travailleuse sociale du McMann Youth Services à Edmonton, qui encadre des dizaines d’adolescents comme Lauren. Les jeunes, souvent de bonnes familles, l’essaient comme ils essaieraient du pot. Sauf que le crystal ne pardonne pas."

Ceux qui en ont consommé disent que le high que procure le crystal meth est incomparable: un peu comme la cocaïne, mais plus encore, il crée une impression de force physique accrue et de confiance en soi inébranlable. Le crystal, un psycho-stimulant, augmente aussi la libido – sur le coup, du moins. Mais alors que l’effet euphorique de la cocaïne dure environ une vingtaine de minutes, celui du crystal meth dure une douzaine d’heures, parfois plus.

Le consommateur de métamphétamine développe aussi une tolérance rapide au produit. Il augmente donc souvent la dose pour obtenir l’effet désiré. "Les grands consommateurs fument chaque fois que l’effet diminue, dit le Dr Rouillard. Ce n’est pas rare qu’ils restent éveillés jusqu’à 72 heures. Ils finissent par arrêter, soit parce qu’ils sont complètement désorganisés, épuisés, soit parce qu’ils n’ont plus d’argent."

Pourtant, le crystal meth se vend à un prix ridicule: de 5 à 10 $ la dose. C’est que la drogue est fabriquée à partir d’éphédrine ou de pseudo-éphédrine, qu’on trouve facilement dans les médicaments contre le rhume ou la grippe (le Sudafed, notamment), en vente libre dans les pharmacies. On y ajoute ensuite des produits trouvés en quincaillerie, comme de l’ammoniac ou du solvant, du Drano ou du lithium de batterie. Le crystal meth peut donc être fabriqué localement, la plupart du temps dans ce que la police appelle des "laboratoires clandestins", et rapidement – une journée peut suffire.

Le sergent Doug Culver a vu certains de ces "laboratoires". "C’est de la chimie mal exécutée. Les producteurs utilisent des plats de Pyrex et de vieux chaudrons plutôt que des fioles ou des béchers. Ils font ça dans leur salle de bain ou leur sous-sol, et refont leur "recette" sans nettoyer. À cause des produits qu’ils utilisent, l’air se trouve saturé d’acide volatil: si on respire ça, on peut mourir."

Il est pratiquement impossible qu’un produit toxique comme celui-là ne laisse aucune séquelle, selon le Dr Couillard. "Des tests chez les animaux (à qui on a fait prendre de la métamphétamine) ont démontré qu’à plus long terme, ils développaient des symptômes qui s’apparentent à la maladie de Parkinson et à la schizophrénie. La vraie question, c’est: est-ce qu’on consomme maintenant pour payer plus tard?"

Un cocktail explosif, donc. Ceux qui en consomment deviennent hyperactifs, ils développent des tics faciaux, des démangeaisons et perdent du poids. En grandes quantités, la métamphétamine peut provoquer de l’hypothermie, des convulsions, un accident cérébro-vasculaire ou même la mort.

Mais arrêter n’est pas simple. La dysphorie – le down – est terrible: paranoïa, irritabilité, agressivité, dépression extrême, tendances suicidaires… Sans sa dose, l’utilisateur sombre dans ce que Lauren décrit comme une léthargie. "Je ne faisais qu’une chose: penser à ma prochaine dose. Je pouvais rester une semaine sans bouger dans mon lit." Elle a abandonné l’école et cessé de rentrer à la maison. Elle était devenue, selon ses propres termes, un monstre ambulant qui ne se préoccupait plus de rien, sauf de sa drogue.

Sa mère, Lynn, était effrayée. "Elle était agressive et me volait de l’argent pour acheter sa drogue. Je ne la reconnaissais plus." Quand Lauren, couteau en main, a menacé de se suicider, Lynn a réalisé l’ampleur de ce qui se passait. Ç’aura été le début d’une longue bataille pour Lauren… et son cas est loin d’être isolé.

Aux États-Unis, la consommation de métamphétamine a pris des proportions alarmantes. Sa popularité a d’abord commencé à Hawaï et sur la Côte-Ouest. Par la suite, le crystal meth s’est transporté vers le Midwest et, plus récemment, les policiers en ont trouvé dans les métropoles, à Chicago et New York entre autres, où il est notamment prisé dans la communauté gaie.

En 2000, un rapport de l’American College of Neuropsychopharmacology indiquait déjà que "le nombre de morts associées à la consommation de métamphétamine a doublé, parfois triplé là où la drogue était toujours disponible grâce aux laboratoires (à San Francisco, Los Angeles, San Diego et Phoenix)".

Les autorités policières perquisitionnent de plus en plus de ces laboratoires en Amérique du Nord. Selon la US Drug Enforcement Administration, le nombre de laboratoires débusqués a plus que doublé de 1999 à 2004, passant de 7438 à 15 994. De ce côté-ci de la frontière, la GRC en a perquisitionné 8 en 1999 et 60 en 2004. La majorité servait à produire du crystal meth.

Au Canada d’ailleurs, une douzaine de députés conservateurs fédéraux tentent de faire classer le crystal meth parmi les drogues dangereuses: ils veulent que les trafiquants soient punis plus sévèrement. En attendant, les quatre provinces de l’Ouest ont établi dans la dernière année leur propre stratégie de lutte et de prévention contre cette drogue. Centres d’appels, campagnes d’information, augmentation du nombre de places dans les centres de traitement et unités mobiles qui se rendent en milieu rural: les gouvernements provinciaux ne lésinent plus sur les moyens.

En Alberta, la métamphétamine serait devenue la troisième substance de dépendance la plus commune, après l’alcool et le cannabis, mais devant la cocaïne. Là-bas, pour la première fois au Canada, certaines chaînes de pharmacies ont volontairement retiré des tablettes les médicaments qui contiennent de l’éphédrine et de la pseudo-éphédrine, question de pouvoir surveiller les clients. Certains d’entre eux achetaient des boîtes de médicaments à coups de 30.

La GRC vient d’ailleurs d’obtenir 17 millions de dollars du fédéral, strictement pour enquêter sur les groupes organisés (motards et gangs asiatiques) qui font le commerce des drogues de synthèse. Cet argent a servi à créer 26 postes à temps plein – dont une équipe de cinq à Montréal – et à former 250 agents à travers le pays qui travailleront notamment à démanteler les laboratoires de production de crystal meth. La Gendarmerie veut agir vite et prévenir, parce que quand le crystal meth frappe, il frappe fort: "Vous avez la chance de vous préparer, profitez-en, lance Maralyn Benay. Moi, j’ai vu plusieurs jeunes détruire leur vie en quelques mois. C’est une drogue terrible."

Il aura fallu deux cures de désintoxication à Lauren pour qu’elle arrête complètement de consommer de la métamphétamine. Seize mois de fugues et de rechutes, à se faire traiter dans plusieurs centres. Encore aujourd’hui, l’adolescente a des envies de crystal. Au moins, elle s’en est sortie. Son ancien petit ami, celui avec qui elle est tombée, est encore en rechute.

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CE QUE C’EST
Le crystal meth, c’est un psycho-stimulant (donc, qui simule le plaisir intense) dérivé de l’amphétamine dont on a modifié la formule chimique pour rendre le tout plus puissant.
L’amphétamine, un vasoconstricteur, un broncho-dilatateur et un coupe-faim, était utilisée au début du siècle dernier pour les traitements de la dépression, de l’asthme et de l’obésité.
Synthétisée pour la première fois vers 1910, la métamphétamine, elle, a beaucoup circulé au cours des années 50 et 60, selon le Dr Claude Rouillard, professeur et chercheur au département de médecine de l’Université Laval. Des groupes criminalisés du Québec avaient même développé une "expertise" pour la produire, et l’exportaient en Floride, notamment. Elle est ensuite presque disparue dans les décennies qui ont suivi, dépassée en popularité par d’autres drogues: la marijuana vers 1970, la cocaïne dans les années 80-90, puis les drogues chimiques au tournant du 21e siècle. C’est là qu’elle est réapparue, d’abord combinée avec des drogues comme l’ecstasy.
Sous sa forme cristallisée, elle ressemble à de minuscules morceaux de vitre ou à des cristaux (d’où le nom), ou encore à des grains de sel. La plupart du temps, le crystal meth est déposé dans une pipe de verre ou dans un morceau de verre brisé (une ampoule, par exemple) sous lesquels on place une flamme. Le consommateur respire ensuite la fumée. Et c’est justement parce que la métamphétamine est fumée que l’effet est puissant et immédiat.