Coops d'habitation : Retour vers le futur
Société

Coops d’habitation : Retour vers le futur

Au-delà des manifs, les membres de la Coop Généreux ont trouvé une façon originale d’appliquer le slogan phare des altermondialistes: penser globalement, agir localement. Retour remarquable d’un mode de vie qui a marqué les années 70.

"Les dirigeants d’entreprises savent que l’impact d’une manifestation ne peut pas durer, explique Spencer Mann, un jeune homme de 22 ans à l’origine du projet de la coop d’habitation sur Généreux. J’étais tanné d’aller à des rassemblements puis de m’apercevoir en revenant chez moi que ça n’irait pas plus loin." C’est pour ancrer cet esprit militant dans le quotidien que Spencer et trois autres activistes ont décidé de fonder, au printemps 2003, un espace de vie commune géré selon les idéaux altermondialistes scandés dans la rue, de Seattle à Québec.

L’expérience a été si concluante que les membres doivent maintenant refuser de nouvelles demandes et qu’une nouvelle coop, Griffintown, s’est constituée pour accueillir un nouveau groupe. Les 15 colocataires ont le profil type du militant: majoritairement dans la vingtaine, progressistes et avec un bagage universitaire.

La Coop Généreux est désormais connue des milieux militants pour les nombreuses activités qui s’y sont déroulées. Les membres ont soutenu les efforts pour sauvegarder l’île Levasseur, orchestré une campagne contre le gaspillage alimentaire, en plus d’avoir mené des levées de fonds pour diverses causes. Ils organisent également des soirées plus sociales; que ce soit des tournois de poésie ou des concerts.

RÉINVENTER LA COMMUNAUTÉ

"Les coops ont une utilité sociale très importante, croit Steve Kelly, directeur de l’éducation et de la formation à la North American Student Cooperative Organisation (NASCO). Le sens de la communauté s’est érodé en Occident, et les coops, surtout chez les jeunes, sont une façon de réapprendre à vivre ensemble." Cet Américain établi à Philadelphie a visité de nombreuses organisations du genre au fil des ans. "Les coops permettent le type d’interactions qui se produisaient dans la vie de village, poursuit-il. Ça permet les discussions de nature politique, mais aussi de découvrir des modes de vie différents du nôtre."

C’est également le constat que fait Spencer Mann au terme de ces deux premières années. "Vivre en groupe permet de partager les capacités et les talents de chacun", affirme-t-il. Pendant qu’un nouveau résidant enseigne les secrets de la construction des murs de torchis, par exemple, un autre peut partager ses talents en théâtre.

Disposer d’une masse importante d’individus permet également une gestion plus écologique des tâches ménagères. Les membres recyclent les eaux usées et pratiquent le compostage. "C’est véritablement du développement durable appliqué", s’exclame Yann Louvel, un étudiant en sciences de l’environnement qui a rejoint la coop dès octobre 2003. La nourriture végétalienne, de mise à la coop, est quant à elle fournie en grande partie par les expéditions dans les bennes à ordures (ou "dumpster diving") auxquelles s’adonnent les membres de la coop. Ils peuvent ainsi réduire à néant leurs coûts en produits alimentaires -environ 20 $ chacun par mois – et diminuer l’impact du gaspillage des grandes compagnies. La qualité et la fraîcheur des aliments ainsi recueillis sont d’ailleurs surprenantes.


Les lieux comptent aussi une pièce à vélos et une grande salle commune dédiée aux réunions et différents ateliers.

15 1/2 À LOUER?

L’appartement, avec ses planchers de bois franc et ses nombreuses fenêtres, est des plus conventionnels. Seuls les murs de torchis – un mélange de paille, d’argile et de boue – servant à créer des chambres supplémentaires et les nombreux divans révèlent l’aspect communal de l’endroit. Les résidants sont répartis sur les deux étages d’un loft de 3600 pieds carrés, en plus d’un cinq et demi adjacent annexé récemment pour agrandir la coop. Les lieux comptent aussi une pièce à vélos et une grande salle commune dédiée aux réunions et différents ateliers.

Les réunions hebdomadaires et les tâches communes occupent d’ailleurs une part importante de l’emploi du temps des colocataires. Chaque dimanche, ils se regroupent dans la salle commune pour décider des orientations et de la division des tâches. Toutes les décisions se font par consensus et chacun a l’occasion d’exprimer son point de vue. "Le principe de consensus est la valeur primordiale de notre groupe, affirme Spencer Mann. Ça signifie que l’on respecte l’opinion de chacun." En plus des réunions, il faut consacrer de quatre à cinq heures, un soir par semaine, à la préparation de nourriture pour tout le groupe. Avec les tâches ménagères, c’est de dix à douze heures que chaque résidant sacrifie de façon hebdomadaire au bien commun.

Malgré les apparences, les membres refusent l’étiquette de "commune". Tout d’abord, en raison des préjugés liés à l’expérience des années 60, mais aussi parce que leur coop n’implique pas le partage des ressources monétaires. "Beaucoup de communes avaient un but utopique, ajoute Spencer Mann. Nous ne sommes pas idéalistes à ce point."

Trouver un endroit abordable et décent pour loger 15 personnes ne fut pas une tâche facile. L’idée est née en marge du projet McGill Urban Community Sustainment (MUCS), une initiative visant à créer des logements abordables pour 200 personnes. Spencer Mann était impatient de mettre en pratique les concepts étudiés dans le cadre de MUCS. Après deux mois de recherches frustrantes, les quatre fondateurs de ce qui allait être la Coop Généreux approchèrent le comédien Gilles Latulippe et son fils, Olivier, au sujet de l’espace de rangement du théâtre La Tulipe récemment converti en lofts. "On a eu une chance pas possible", s’exclame Spencer en pensant à ces vastes pièces auxquelles les propriétaires venaient d’ajouter les installations ménagères.

Pour les propriétaires, l’aventure était à la fois un beau risque et une bonne décision d’affaires: les membres acceptaient de signer un bail de cinq ans et de se conformer à la lettre au code du bâtiment dans leur construction artisanale de chambres supplémentaires. Olivier Latulippe dit toutefois avoir été d’abord séduit par le sérieux du groupe. "Les gens que j’ai rencontrés m’ont beaucoup inspiré confiance", se souvient-il. Il constate d’ailleurs que les membres de la coop se sont révélés "extrêmement fiables".

LA VIE SANS TÉLÉ

La présence constante de colocataires revient souvent parmi les bénéfices évoqués de la vie en groupe. "En rentrant chez toi, tu n’as pas à allumer la télé, illustre Myriam Broué. Il y a toujours quelqu’un avec qui discuter." Celle qui habite les lieux depuis janvier ajoute qu’elle peut toujours se recueillir dans sa chambre pour être seule. Mais la cohabitation amène aussi son lot de petits désagréments. Il faut se consacrer aux tâches communes et supporter les modes de vie de chacun. "Ce n’est pas toujours aussi propre que je le souhaiterais", admet Myriam.

L’ampleur du mouvement des coops d’habitation peut difficilement être mesurée en raison de la courte durée de vie de certaines d’entre elles, estime Steve Kelly. Il remarque toutefois que les nouvelles organisations sont généralement plus petites qu’auparavant – certaines regroupaient 300 personnes – et que le concept se transpose de plus en plus dans les milieux de travail. Les efforts à une échelle globale qui ont caractérisé les débuts du mouvement altermondialiste sont en train de trouver des échos au plan local, explique le représentant de NASCO. "Je crois qu’on commence seulement à voir les effets de Seattle".