Société

Ennemi public #1 : Précoce, le bilan

Inutile d’attendre plus longtemps. Mon bilan, je le rends tout de suite. Et pourtant, au moment de mettre sous presse, je n’aurai pas encore assisté aux spectacles des Bénabar, Dinosaur Jr, Le Nombre, Les Secrétaires Volantes, Keren Ann, Les Trois Accords ou Calexico. Pas non plus à la grande fête des Cowboys Fringants.

Inutile d’attendre plus longtemps, puisque ce bilan, j’aurais presque pu le déposer avant même que la première note ait été pincée sur les cordes de la Gibson de Daniel Lanois, avant même de voir la place D’Youville s’enflammer au son de la world fusion d’Ojos de Brujo, avant même d’avoir raté l’excellente (paraît-il) résidence de Jérôme Minière, et même avant que ZZ Top ramène son rock de primates et fasse sourdre l’huile à moteur du sol des Plaines.

Comment aurais-je pu faire cela? En consultant la programmation, tiens. Et cette année, non seulement vais-je applaudir qu’elle soit enfin parvenue à concilier les grands rassemblements populaires (de bien meilleure qualité, dans l’ensemble) et les obscurs objets du désir des mélomanes, mais je suis prêt à la défendre. Presque en entier. Sauf peut-être les Baby Spice – alias Les Filles – et la famille Dion, parce que bon, faut pas exagérer non plus…

Aussi, cela donnera peut-être la chance aux gens du Festival d’été de Québec de souffler un peu, de faire redescendre la pression, de desserrer le poing. C’est que je les sens exceptionnellement fébriles cette année. Impression partagée par certains collègues qui ont constaté, comme moi, que l’organisation est sur les dents, bataillant fort pour préserver une image qui a durement souffert par les années passées.

Des années où le Festival semblait pris dans les portes tournantes d’un virage incertain, tablant parfois sur les grands événements au détriment du reste. Des années où, en tentant de faire plaisir à tout le monde, il passait très près de ne plus plaire à personne. Mais le voilà revenu en force, faisant taire les esprits les plus chagrins. Y compris le mien.

Et ZZ Top, dites-vous? Du rock ringard, entends-je? Oubliez la performance sur le pilote automatique de ces australopithèques du blues-rock, oubliez leur jeu relâché. On nous avait promis de grands rassemblements, de gros événements sur les Plaines. La première fin de semaine du Festival nous en proposait deux en deux soirs: Simple Plan provoquant d’abord la plus importante surprise en fédérant des dizaines de milliers de jeunes bravant une température exécrable; les Texans battant des records de foule le lendemain. Encore mieux que Béru et Wyclef l’an dernier.

On avait déjà compris la logique de la chose, soit que l’idée plutôt élitiste d’éduquer le public avec des shows plus obscurs sur de grandes scènes ne tient tout simplement pas la route. Des spectacles de "découvertes" qui attireraient 50 000 personnes ou plus tiennent du fantasme. Vous pouvez cependant rameuter tout ce beau monde pour assister à un spectacle divertissant (dans le pire des cas, ZZ Top, au moins, c’est drôle, contrairement à Star Académie), faire exploser la caisse enregistreuse, et profiter de cette manne pour redonner aux amateurs moins nombreux de musiques en marge. Eux iront voir les Fred Fortin, Lhasa, Charlélie Couture, Albin de la Simone, Calexico ou Tinariwen, "financés" par les grosses pointures. Tout est question d’équilibre, de ne pas laisser les machines à imprimer du fric avaler les musiques émergentes, ce que le Festival est parvenu à accomplir cette année, mais qui semblait beaucoup moins évident l’an dernier.

Autrement, parlant de solutions de rechange, le concubinage forcé du FEQ avec le Festival OFF est à la limite de la perfection symbiotique. Le premier propose un événement s’adressant à un plus large public. Le second, en réaction, prend d’énormes risques avec un budget famélique pour amener des curiosités chez nous au même moment. L’éventail n’en est que plus vaste, la coexistence, admirable, les choix, multipliés, les quelques faiblesses de l’un compensées par l’audace de l’autre.

Vous permettez une prédiction en terminant? Records de ventes du macaron malgré l’augmentation du prix. Critiques très élogieuses dans l’ensemble, à moins d’une hécatombe. Sans être parfaite, une édition moins pépère, moins "valeur sûre", plus baveuse et vivifiante, en équilibre, comptant sur autre chose que deux ou trois gros noms et un hommage (invariablement pénible) pour faire briller l’ensemble, dira-t-on.

Mais bon, trêve de louanges, soient-elles divinatoires ou non. Je ne sais pas pour vous, mais moi, trop de gentillesse, ça me tombe sur les nerfs.