Mauvaise mine?
Société

Mauvaise mine?

Sur un mur de Sainte-Catherine, plusieurs affiches dénonçant un projet de mine radioactive à Kanesatake. Une mine radioactive? À 40 kilomètres de Montréal? Oui, malgré 10 ans d’opposition active. Particulièrement de la part des Mohawks. Crise en vue?

La mine en question est une mine souterraine de niobium envisagée par Niocan, une firme québécoise, sur le territoire de la MRC des Deux-Montagnes. D’après un rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement – le BAPE – de 2002, la mine n’aurait qu’un faible impact sur la radioactivité naturelle déjà élevée des environs. Néanmoins, depuis une dizaine d’années, le projet a levé une armée d’opposition parmi les agriculteurs, les environnementalistes et les autochtones.

Le niobium est un métal rare, un additif dans la fabrication de l’acier utilisé dans l’aéronautique, l’industrie automobile, pour la construction de pipelines et de plates-formes de forage en mer ou encore comme superalliage dans les accélérateurs de particules. Depuis sa fondation en 1995, Niocan a investi plus de neuf millions de dollars dans ce qui pourrait bientôt devenir la seconde mine de niobium en exploitation au Québec. Mais à la différence de la mine Niobec à Chicoutimi, "ce n’est pas le Grand Nord ici, la mine serait à quelques kilomètres d’une école secondaire et d’un CPE, sans parler de la réserve de Kanesatake", souligne Martine Bédard, présidente du Comité des citoyens des Deux-Montagnes. Dans une région agrotouristique réputée pour ses paysages tranquilles, les six cheminées de l’usine de transformation adjointe à la mine feraient tache, redoute-t-elle. Au bord du lac, le parc de conservation d’Oka est le premier parc visité au Québec, avec plus de 580 000 visiteurs par an. Traversé par le ruisseau Rousse, dans lequel seraient rejetées les eaux de la mine, le parc serait directement affecté, selon Martine Bédard. "C’est une région agrotouristique, pas un grand labo. Je ne suis pas certaine que les Montréalais seraient ravis d’apprendre que leurs légumes et fruits achetés au Marché Jean-Talon sont cultivés à côté d’une mine et arrosés à l’eau contaminée." Redoutant pour leurs puits l’abattement en eau causé par la mine, les agriculteurs, au sein de l’Union des producteurs agricoles, s’opposent au projet. Les fermes biologiques s’inquiètent, elles, pour leurs accréditations.

Le second rapport du BAPE, rendu en mars 2005 et portant sur l’impact de la mine sur les eaux, conclut en effet à un rabattement de la nappe profonde potentiellement problématique pour les usages agricoles et domestiques de l’eau et à une légère contamination des eaux souterraines du fait de l’entreposage des résidus miniers. L’impact sur le ruisseau Rousse qui traverse le parc d’Oka pour se jeter dans une zone naturelle de haute préservation est incertain. Selon Richard Faucher, président de Niocan, l’eau du ruisseau Rousse, fortement polluée par les cultures, est de toute façon inutilisable pour l’irrigation. En y rejetant des eaux d’exhaure – qui sortent de la mine – passées dans des bassins de décantation et propres, Niocan diluerait les impuretés agricoles et améliorerait, au bout du compte, la qualité des eaux du ruisseau. Autre point fort mis de l’avant, la firme s’est engagée à restaurer le site de l’ancienne mine de niobium, St. Lawrence Columbium. Niocan prévoit enfouir les scories radioactives restées à l’air libre après l’arrêt de l’exploitation de la mine, en 1976, dans les galeries souterraines de sa nouvelle mine, sous scellé de béton. Une opération qui, autrement, coûterait plusieurs millions à la municipalité. Quant à l’école secondaire et au CPE, la mine pourrait s’installer à côté que Richard Faucher n’en serait pas autrement gêné: "Aucun impact! La mine est un projet écologique fantastique. Les organismes compétents, le Tribunal administratif et la Commission de protection du territoire agricole, n’ont trouvé aucune incompatibilité avec l’activité agricole et touristique. On nous a causé des retards volontaires du fait de procédures administratives d’une durée abusive et d’un jeu politique mené par une trentaine de personnes travaillant contre nous."

L’extraction du niobium, un projet des plus écologiques, alors? Pas aux yeux de Martine Bédard pour qui toute mine est une catastrophe écologique. Le long de la route entre Deux-Montagnes et Oka, se succèdent fermettes, vergers et projets immobiliers provoquant déboisement et recul des milieux humides. "La Rive-Nord, c’est là où l’urbanisation est la plus rapide, là où il y a le plus de pression sur l’environnement", explique Martine Bédard. Les pères trappistes en tout cas ont décidé de se faire la malle, avec leur fameux fromage d’Oka, vers Lanaudière, lieu plus propice à la méditation et à la fabrication du fromage. La MRC est-elle destinée à devenir partie intégrante de la conurbation de Montréal ou à conserver son caractère naturel en se tournant vers le tourisme? Consultés en avril 2000, les citoyens de la paroisse d’Oka ont rejeté à 62 % le projet de mine. Un référendum sans valeur, selon Richard Faucher, puisqu’il excluait les habitants du village d’Oka, une entité politique différente à l’époque, qui, par la suite, a fusionné avec la paroisse d’Oka pour former la commune d’Oka. Autres exclus notoires de la consultation: les Mohawks de Kanesatake. "Nous ne sommes jamais informés de rien, explique Sonia Gagné. Nous n’avons pas eu le droit de participer au référendum alors que nous sommes aussi concernés que les habitants d’Oka." La mine, située à six ou sept kilomètres de Kanesatake, est juste au milieu des territoires revendiqués par les autochtones. Après l’envoi d’un abondant courrier au gouvernement fédéral, chargé de prendre soin des revendications territoriales, la situation semble au point mort. Niocan ne veut rien entendre sur le sujet, le dossier relevant du gouvernement fédéral qui, de son côté, renvoie la balle au gouvernement québécois. Steven Bonspille, nouvellement élu grand chef à la place de James Gabriel, a suivi de près le dossier et a fait équipe avec le Comité des citoyens d’Oka pour porter le cas devant le Tribunal administratif, qui a conclu en faveur de Niocan en 2003. "On va travailler pour arrêter le projet avec les citoyens et les agriculteurs qui ne veulent pas perdre leurs moyens de subsistance", conclut Sonia Gagné. En février, lors d’une séance publique du BAPE sur l’eau, préliminaire au rapport de mars 2005, les Mohawks se sont fait rembarrer, le thème étant l’eau et non la question des territoires. Un cloisonnement qui agace Martine Bédard: "Il y a une obstination à porter des regards très hermétiques. D’abord sur la radioactivité puis sur l’eau, à la demande des citoyens. Et après? C’est pratiquement au citoyen de faire tout le boulot, d’avoir le fardeau de la preuve."

En mai, changement de direction à la tête du conseil d’administration de Niocan. La firme se tourne vers une nouvelle étape: le financement de la mise en exploitation de sa mine, prévue pour bientôt. René Dufour, cofondateur de Niocan, fait place à Hubert Marleau, dont les contacts et connaissances dans le milieu de la finance se révéleront plus utiles lors de cette nouvelle phase. C’est dire combien la firme est confiante d’obtenir d’ici peu le certificat d’autorisation de la part du ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec, Thomas J. Mulcair. En attendant, elle développe un autre projet minier de niobium près de la Baie James. La Baie James, le village autochtone cri, le parc provincial Tidewater… Ça vous rappelle quelque chose?