Vous allez rire. Beaucoup même, parce que c’est souvent très drôle. Cela s’appelle l’Horloge biologique, c’est le nouveau film de Ricardo Trogi qui sort la semaine prochaine, et malgré ce qu’en disent ses auteurs (Jean-Philippe Pearson, Patrice Robitaille et Trogi), il s’agit bel et bien de la suite de leur film précédent, que vous avez presque tous vu et qui s’intitule Québec-Montréal.
Une suite puisque ce film part des deux mêmes prémisses que l’autre. D’abord ce vieil adage qui veut que la tragédie des uns soit la comédie des autres, et ensuite cette même troublante constatation: la faillite du couple à l’ère de l’hyper-individualisation et de la marchandisation sentimentale qui veut que, l’objet du désir ne convenant plus, on le jette pour mieux le remplacer. Cela à la différence près que le couple se transforme ici en famille, élargissant le fossé qui sépare les préoccupations des mâles de celles des femelles.
Mais la trame de fond qui unit véritablement ces deux comédies, c’est la vérité. Pas comme dans l’"heure de vérité" ni comme dans "il pose les vraies questions". La vérité comme dans la banalité des petits moments de lâcheté, des trahisons, des mensonges que l’on se fait à soi-même, du cul qui étourdit ou qui intoxique, de l’impossibilité de communiquer. La vérité du désœuvrement d’une génération torturée entre l’appel de la famille et l’envie de poursuivre l’illusoire party que la société de loisirs dans laquelle nous vivons a élevé au rang d’idéal.
Cette vérité, elle se retrouve aussi dans la langue des films de Trogi. On y parle vrai, on y parle trash. C’est une langue vulgaire, dites-vous? Certainement. Vulgaire au sens premier du terme: banale, courante, "mise en usage par le commun des hommes (sans aucune valeur péjorative)", dixit Le Robert. Cette vulgarité, ce n’est pas de la frime, ce n’est pas pour choquer, mais pour faire vrai. C’est même un gage de sincérité. En comparaison, les intellectuels des Invasions barbares et du Déclin parlent peut-être un peu joual, mais il s’agit tout de même d’une autre langue, celle d’universitaires, alors que les personnages des films de Ricardo Trogi – des enfants de ces baby-boomers attachés à une certaine idée de la culture -, eux, ne frémissent certainement pas à l’idée de se faire parler des bouleversements de l’an 1000 alors qu’on leur administre la salvatrice branlette en fin de programme d’un massage avec extra.
Toute cette vérité a le don de faire rire, disais-je. On rit gras, bien débile, et souvent jaune. Parce que les répliques de ce film amusent autant par leur authenticité qu’elles nous affligent en nous renvoyant une image tout à fait juste, mais ô combien accablante de notre époque.
Une ère où faire des enfants serait l’acte le plus absurde que l’on puisse commettre? C’est l’idée qui me taraudait en sortant du cinéma l’autre soir. C’est aussi la question que semble poser ce film. Faut-il se retirer du monde pour survivre en couple, en famille, sans plier devant la tyrannie d’un monde de jouissance intempestive où l’image qu’on nous envoie du bonheur est celle d’une liberté absolue, tandis que l’image du père de famille ressemble, le plus souvent, à celle d’un imbécile heureux, prisonnier d’une mini-van, qui feint la béatitude en attendant le divorce pour enfin revivre?
Je n’ai pas de réponse. Le film de Trogi non plus, et c’est sa plus grande qualité. Celle de ne pas être un film moralisateur, mais qui dépose un bilan. Il n’analyse pas la détresse de ces jeunes hommes écartelés entre des idéaux irréconciliables, mais il la montre. Il la dit.
C’est déjà beaucoup.
ooo
Un souvenir récent.
Il fait chaud. Très chaud. Sur la terrasse bondée du bar, les corps s’effleurent, se heurtent. Chaque petit espace entre eux est comblé par le désir. Par l’envie. "Tu sais, la vie, ça peut aussi être un océan de possibilités", me soupire tristement un ami, marié, dont les pupilles vacillent au rythme des seins pratiquement dénudés qui suivent les contre-temps d’un rap générique.
C’est à lui que je pensais en quittant la salle de projection. À son "océan de possibilités" qui aurait très bien pu faire partie des dialogues de cette Horloge biologique que vous allez sans doute adorer, comme moi, mais dont vous ressortirez un peu déprimés quand même.
Surtout, ne vous inquiétez pas de cette saveur un peu âcre qui vous sera restée en bouche. C’est pas la faute au beurre synthétique qu’ils mettent dans le popcorn, c’est la vérité qui goûte un peu le crisse.