Des tonnes de copies
Nouvel assaut contre les pirates professionnels. Le 2 août, l’ADISQ obtenait une première ordonnance de la Cour supérieure l’autorisant, pour une durée de dix jours, à saisir des CD contrefaits sur l’ensemble du territoire du Québec.
L’opération fut si concluante que la Cour concéda une deuxième ordonnance, d’un an cette fois, à l’Association pour lui permettre de mener des actions visant à dissuader les faussaires et à démanteler les réseaux de distribution. "L’ordonnance nous donne le droit d’intervenir n’importe où, n’importe quand là où il y a des disques contrefaits. À la limite, on pourrait aller jusque dans les cours d’école, mais bien sûr on ne le fera pas…", explique le président de l’ADISQ Yves-François Blanchet.
Pour l’instant, l’Association concentre ses efforts sur les marchés aux puces, au nombre de 350 au Québec, et qui se veulent les lieux de prédilection des revendeurs. La première intervention au début août visait le Marché aux puces de Saint-Eustache, car de nombreuses plaintes du public au sujet de disques contrefaits à cet endroit avaient été adressées à l’ADISQ, continue M. Blanchet, qui assure toutefois que l’Association a dans sa mire de nombreux autres endroits du même type. "On y a saisi plusieurs centaines de disques d’artistes québécois. Mais on sait bien que les pirates vont nous essayer à nouveau. Ils vont se dire: "Ils ont fait leur move" et ne croiront pas qu’on va continuer. Notre but, c’est qu’il ne se fasse plus de bonnes affaires dans ces endroits."
Tout marché aux puces du Québec peut donc s’attendre, en principe, à voir débarquer au cours des prochains mois huissiers et avocats munis d’une ordonnance de la Cour leur donnant tous les droits d’inspecter la marchandise afin d’y dénicher du matériel contrefait, très facile à reconnaître. La personne qui se fera pincer à vendre des CD pirates se les fera saisir, bien sûr, mais elle pourrait bien perdre aussi son ordinateur et sa voiture, ajoute M. Blanchet. "Ça va peut-être en inciter certains à réfléchir. Si une personne qui se fait prendre est assignée à comparaître puis se fait prendre de nouveau, ce sera un outrage au tribunal, poursuit M. Blanchet. À Saint-Eustache, les revendeurs ont admis d’emblée qu’ils avaient des copies pirates. Si les gens qui se font prendre disent: "Fuck you, l’ADISQ", je serai alors pour des peines extraordinairement sévères. On n’a rien contre ces individus mais contre l’activité qu’ils mènent."
L’ADISQ a lancé par le passé des campagnes de sensibilisation visant à contrer le téléchargement de musique sur Internet. Des artistes comme Mélanie Renaud ou Corneille incitaient alors la population à réfléchir aux conséquences de ce geste. "On a par la suite constaté une augmentation significative des ventes de disques physiques." M. Blanchet se montre beaucoup moins indulgent envers les faussaires de CD, qui ne peuvent pas plaider l’ignorance comme certains jeunes qui téléchargent des MP3. "On ne me fera pas croire que celui qui fait des copies de CD en série et qui les vend ne sait pas ce qu’il fait…"
Il est pratiquement impossible de quantifier les pertes encourues à cause du piratage, selon M. Blanchet, bien qu’on puisse faire un effort d’imagination. En moyenne, un CD se vend 5 $ ou 5 pour 20 $ dans un marché aux puces. "Pour chaque CD contrefait vendu, les pirates font 2 $ de profit. C’est donc dire qu’ils doivent en vendre une centaine pour que ça vaille la peine. Dans un marché aux puces, une table n’est pas rentable sans une centaine de disques vendus par jour. À Saint-Eustache, il y en avait trois. En une journée, cela représente plusieurs centaines de copies vendues. Imaginez sur 50 semaines, à l’échelle de 300 marchés aux puces… On peut arriver à des chiffres assez extraordinaires. Tout cet argent est retiré de la chaîne industrielle qui fait vivre non seulement le compositeur, l’auteur, l’interprète et le producteur, mais aussi le technicien, le détaillant ou le journaliste spécialisé en musique…"
Selon un rapport de l’International Federation of Phonographic Industry (IFPI), un organisme qui représente l’industrie du disque, le tiers des CD de musique vendus dans le monde seraient illégaux. En 2002, le piratage aurait engendré des pertes de 4,6 milliards $ US pour l’industrie du disque. Ce qui représentait à l’époque une augmentation de 14 % de CD piratés par rapport à l’année 2001. L’industrie québécoise peut se consoler quand on sait qu’en Chine, selon l’IFPI, 90 % des CD vendus sont contrefaits. Les actes de piraterie seraient encore plus nombreux au Brésil et au Mexique.
POURSUIVIS… PAR LEUR CONSCIENCE
Le piratage des disques est né avec le numérique; à l’ère du vinyle, ce sont plutôt les cassettes qui se multipliaient comme des petits pains, explique M. Blanchet qui regrette qu’un seul agent de la GRC soit affecté à la contrefaçon sous toutes ses formes pour l’Est du Canada. "Manifestement, ce n’est pas une priorité du gouvernement. Aujourd’hui, on s’adresse aux pirates et on leur dit: "On va s’arranger pour que le piratage devienne une mauvaise affaire." Et on demande au gouvernement fédéral de donner à la GRC les ressources nécessaires pour faire son travail."
Mais le message le plus important que M. Blanchet veut livrer s’adresse à la population, en particulier aux mélomanes, qui doivent comprendre le bien-fondé des actions posées visant à contrer le piratage. Sur son dernier album, Kanasuta, Richard Desjardins écrivait poétiquement: "Vous pourrez copier cet enregistrement quand je pourrai cloner ma bière." "Et en 1993, le groupe French B rappelait sur son album Légitime Démence que "les pirates seront poursuivis par leur conscience". De toute manière, les gens ne font pas une bonne affaire en se procurant un disque pirate: non seulement ils nuisent aux artistes québécois, mais la copie n’est pas de bonne qualité. Mais la raison première de ne pas se procurer ce matériel devrait être de ne pas nuire à des artistes qu’on prétend aimer. La meilleure arme que nous ayons, c’est que le public comprenne et ne se prête pas à cet exercice. Un disque, ça vaut quatre bières. Quand on y pense, ce n’est pas cher pour un produit culturel qui a nécessité beaucoup de travail et qui nous transporte dans un autre monde pendant 50 minutes…", conclut M. Blanchet.