Qui veut quoi?
Société

Qui veut quoi?

Manifs monstres, étudiants déterminés, gouvernement et autorités aux aguets…L’ampleur de la grève étudiante de l’hiver dernier en a surpris plusieurs, tout comme a étonné sa fin soudaine dans une divergence de points de vue qui ne s’apaise pas. Que nous réserve cette nouvelle rentrée sur les campus du Québec?

L’annonce du transfert en prêts de 103 millions de dollars autrefois dépensés en bourses par le gouvernement provincial a créé une mobilisation sans précédent dans le mouvement étudiant l’hiver dernier: 7 semaines de grève, 200 000 participants à son apogée et une manifestation monstre dans les rues de Montréal. Mais une fois la poussière retombée, les lobbies étudiants n’ont rien perdu de leurs divergences passées. Cette année, la lutte se fera sur plusieurs fronts.

Encore une fois, le financement de l’éducation sera cet automne le principal cheval de bataille des fédérations étudiantes et de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ). Les stratégies varient toutefois entre les deux groupes. La Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) estiment que la hausse des transferts fédéraux en éducation constitue la meilleure source de financement pour le réseau d’études postsecondaires. Le premier ministre Jean Charest soulignait récemment que les provinces ne reçoivent plus que 8,4 milliards par année du gouvernement fédéral à cet effet, comparativement à 10,6 milliards en 1994-1995.

Lors du Conseil de la fédération tenu à Banff en août dernier, Jean Charest a réussi à rallier les premiers ministres des autres provinces pour réclamer le réinvestissement des 2,2 milliards manquants. S’ajouterait à cela une hausse de 10 % de la contribution fédérale pour un total de 4 milliards. Le quart de cette somme irait au Québec, dont 375 millions aux universités et 200 millions aux cégeps. La FEUQ et la FECQ ont décidé de mettre leur poids politique derrière cette stratégie. "Le premier ministre provincial est la personne la mieux placée pour négocier dans ce dossier", estime le président de la FEUQ, François Vincent. Il reconnaît toutefois l’aspect paradoxal de cette alliance, une situation qui, selon lui, est causée par le déséquilibre fiscal. La FEUQ prévoit maintenir la pression sur le gouvernement libéral dans le cadre des élections prévues cet hiver en sollicitant l’engagement des partis de l’opposition sur le financement de l’éducation. La fédération veut aussi s’assurer que l’argent recueilli pour l’éducation ne sera pas dévier par le gouvernement Charest comme ce fut le cas après l’entente sur la santé. La FEUQ s’oppose également à un investissement direct du fédéral dans les universités québécoises, ce qui "brimerait la liberté des institutions", estime François Vincent.

Si tout réinvestissement est le bienvenu, le secrétaire aux relations externes de l’ASSÉ croit que la stratégie des fédérations s’attaque au mauvais problème. "Le déséquilibre fiscal, c’est un peu un mythe", affirme Philippe Gauvin. "Le gouvernement provincial a coupé deux milliards de dollars en éducation depuis 15 ans", ajoute-t-il. Son association blâme plutôt l’évasion fiscale et le faible taux d’imposition des entreprises. Un autre élément laisse le militant perplexe: "On trouve ça étrange que six mois après la lutte de cet hiver, les fédérations collaborent déjà avec Charest." L’ASSÉ s’attaquera cette année aux frais afférents qui continuent d’augmenter malgré le gel officiel des frais de scolarité. À titre d’exemple, ces frais administratifs de toutes sortes ont augmenté de 180 $ en 2002-2003 à l’Université Laval et de nouveau de 59 $ cette année. La stratégie de l’ASSÉ consistera en des luttes locales par institution. Une approche prisée également par la FECQ. "On craint qu’une loi-cadre dans ce dossier ait des effets pervers", telle une hausse uniformisée, explique son président, Étienne Hudon-Gagnon.

Les trois lobbies étudiants sont également à l’affût des déclarations du gouvernement sur un possible dégel des frais de scolarité lors d’un prochain mandat. En août dernier, Jean Charest a laissé planer le doute à la sortie de la rencontre des jeunes libéraux: "On verra. On fera le débat", a-t-il répondu aux journalistes. L’aile jeunesse du Parti libéral, elle, a clairement fait du dégel des frais de scolarité une de ses dix priorités adoptées en congrès. Ce "dégel responsable" s’accompagnerait non seulement d’une hausse du financement provincial et fédéral, mais aussi d’un plus grand financement privé. "On se dit qu’on est prêts à avoir le logo d’une compagnie à l’entrée d’une classe si ça signifie un meilleur financement", confie Simon Bégin, président de la Commission jeunesse. À la sortie du congrès, il s’est dit fier "d’être un des premiers groupes jeunesse, sinon le premier, à aborder cette question avec lucidité". Une prise de position inquiétante, selon le président de la FEUQ. "Les commissions jeunesse servent souvent à tester le terrain pour le parti", affirme François Vincent. La FEUQ évalue que 51 % des étudiants ne reçoivent aucun soutien financier de leurs parents. Un dégel affecterait donc forcément l’accessibilité aux études, raisonne François Vincent. Au Canada, 25 % des étudiants dans les institutions postsecondaires abandonnent leurs études pour des raisons financières. Tandis qu’au Québec, où les frais sont moins élevés, ce taux se situe à 12 %, selon le ministère de l’Éducation. Ce même taux grimpe à 50 % aux États-Unis. Les trois regroupements étudiants promettent une mobilisation extraordinaire dans le cas de l’annonce d’un dégel. L’ASSÉ et la FECQ prônent d’ailleurs toujours la gratuité scolaire. "On est pour un dégel à la baisse", lance Philippe Gauvin.

LA BATAILLE DES CÉGEPS

Un autre enjeu majeur occupera les groupes étudiants cet automne: l’avenir des cégeps. La rumeur court dans le milieu étudiant d’une importante réforme de ces institutions. "Ce ne sont que des rumeurs", tranche l’attaché de presse du ministre de l’Éducation, Stéphane Gosselin. Il admet toutefois que le ministre continue de rencontrer les directions des cégeps pour évaluer les modifications à apporter au réseau. Les propositions de diplomation à mi-parcours et d’arrimage des cégeps sur les besoins régionaux sont "toujours sur la table". Ces avenues laissent le représentant de l’ASSÉ sceptique. Il craint une formation axée sur les économies régionales qui laisserait le diplômé dépendant des aléas du marché. Du côté de la FECQ, le constat est moins catégorique. "Les cégeps en région se vident", observe Étienne Hudon-Gagnon. Au Collège de la Gaspésie-les-Îes, 17 des 28 programmes fonctionnent sous le seuil de viabilité. À St-Félicien, l’achalandage est passé de 1460 à 1100 élèves en quelques années. La FECQ suggère donc de réorganiser la carte des programmes pour concentrer les effectifs et les ressources dans une même région. Déjà, les programmes spécialisés attirent des étudiants dans ces régions éloignées et amortissent ainsi l’impact de l’exode rural. Au Cégep de Rimouski, qui offre un programme maritime, 60 % des étudiants proviennent de l’extérieur.

Les militants de la FECQ et l’ASSÉ prévoient également soutenir la Dawson student union (DSU) dans son conflit avec l’administration. En juillet dernier, la Cour supérieure ordonnait à la direction du Collège Dawson de reconnaître l’accréditation et l’autonomie de l’association étudiante. DSU accuse d’ailleurs l’administration de s’être emparée des 285 000 $ de cotisations récoltées lors de l’inscription. Selon la présidente de la DSU, Mélanie Hotchkiss, les deux parties en sont présentement à un dialogue de sourds par lettres ouvertes et tracts interposés sur l’utilisation de cette somme. La confrontation pourrait finir en cour si l’impasse demeure. "C’est une des pires administrations que j’ai vues de ma vie", s’indigne Étienne Hudon-Gagnon. La FECQ et l’ASSÉ offriront une aide logistique à l’association naissante. Leurs associations locales envisagent également un soutien financier.

VICTOIRE DOUCE-AMÈRE

En revenant sur la grève de l’hiver dernier, les trois représentants rencontrés soulignent l’incroyable mobilisation étudiante. Mais la belle unanimité s’arrête là. La FEUQ a soutenu l’entente survenue avec le ministre, la FECQ s’est déclarée neutre et l’ASSÉ l’a rejetée. "C’est 110 000 étudiants qui ont voté contre", sur environ 170 000 grévistes, rappelle Philippe Gauvin. L’ASSÉ a tout de même profité de l’immense publicité entourant le litige. Les associations de trois cégeps ont joint ses rangs, faisant passer l’adhésion de 20 000 à 31 000 membres. Le jeune regroupement étudiant, qui fêtera ses cinq ans en février, a également réussi à faire connaître son message de gratuité scolaire.

Dans les cégeps, l’arrêt des cours a causé une hausse du décrochage l’an dernier, affirme le président de la FECQ. "C’est sûr que ceux qui étaient déjà moins motivés ont été affectés", concède-t-il. Les étudiants connaîtront également une session sans semaine d’étude pour compenser une rentrée tardive. De son côté, la FEUQ estime avoir gagné en crédibilité et en poids politique. François Vincent voit un lien direct entre la mobilisation étudiante et la volonté du gouvernement de rapatrier les transferts en éducation d’Ottawa. "Maintenant, on a un rapport de force. Jean Charest dit que c’est son dossier prioritaire, affirme-t-il. Quand les étudiants parlent aujourd’hui, le gouvernement les écoute".