Scènes de la vie théâtrale
En avril dernier, après quelques mois de conflit, Théâtres associés inc. et l’Union des artistes concluaient une entente concernant principalement le paiement des heures de répétition. Bilan d’une crise qui a mis en lumière certaines des plus criantes nécessités de la pratique théâtrale québécoise.
Au cours de la dernière année, le milieu théâtral québécois a été fortement ébranlé. Qu’il s’agisse de la crise financière du Rideau Vert, de la dégradation du Quat’sous, de l’"itinérance" des étudiants du Conservatoire d’art dramatique et, plus récemment, du boycottage des activités culturelles par les enseignants, les sujets d’inquiétude sont nombreux.
En janvier, les acteurs membres de l’Union des artistes (UdA) – sans entente collective depuis 2003 – déclenchaient une grève de signature pour tous les contrats les liant, pour la saison 2005-2006, aux compagnies regroupées au sein de Théâtres associés inc. (TAI). Mentionnons que TAI réunit les plus grandes institutions théâtrales au Québec. En avril, après d’éprouvantes négociations et d’inquiétantes rumeurs d’annulation de saison, les deux parties ont finalement signé une entente qui sera valide jusqu’en 2008. Grâce à elle, les cachets minimaux versés pour chaque représentation seront augmentés, l’échelle de paiement établie en fonction de l’importance des rôles sera revue à la hausse et, surtout, les heures de répétition effectuées en préparation d’une production seront payées séparément. Rappelons que jusqu’ici, le paiement de 110 heures de répétition était compris dans le cachet de représentation. À partir de maintenant, les comédiens seront payés autour de 13 $ l’heure pour chaque heure de préparation. On prévoit 120 heures pour un premier rôle, 90 heures pour un second rôle et 50 heures pour un troisième. Les heures supplémentaires seront payées à 150 %.
Au bout du compte, on peut dire que le conflit s’est réglé sur une note relativement positive. Selon Lorraine Pintal, metteure en scène et directrice générale et artistique du Théâtre du Nouveau Monde, l’entente est convenable: "Je ne crois pas trahir la pensée des autres membres de TAI en disant que nous avions tous une conscience très aiguisée de la précarité de la situation financière de l’artiste au théâtre. Bien que je déplore que les négociations se soient faites de manière conflictuelle, je crois, si j’oublie mon chapeau de producteur, que cette entente est une victoire pour les artistes. On a rétabli une situation. La méthode pour y arriver était douteuse, mais le résultat est un gain." Selon le Conseil québécois du théâtre, une association qui a pour mandat de défendre les intérêts supérieurs du théâtre québécois, la conquête est majeure. "C’est un gain immense, affirme Martin Faucher, metteur en scène et président du CQT depuis juin dernier. C’est important qu’il y ait une valeur accordée à la répétition, que la seule volonté ne soit pas d’aller rapidement au résultat qu’est la représentation. Même si, dans les faits, cela ne changeait rien à la somme totale attribuée par contrat, la philosophie est un premier jalon, une base sur laquelle on peut commencer à bâtir une rémunération juste." Selon Pierre Curzi, président de l’UdA, "on a redonné au travail de répétition une valeur réelle. Le temps de répétitions, c’est majeur, ajoute-t-il, c’est là que le théâtre se crée!"
DES RÉAJUSTEMENTS
Pierre Curzi: "Nous avons créé la première marche d’un escalier de questions. Qu’est-ce qu’une société comme la nôtre peut s’offrir comme théâtre?" |
Évidemment, l’application de cette entente ne se fera pas sans un certain nombre de réaménagements budgétaires au sein des théâtres. M. Faucher ne voudrait pas que cette nouvelle répartition de l’argent empêche les créateurs de rêver. "Il ne faudrait pas que l’argent soit l’unique argument du moteur théâtral", déclare-t-il. De l’avis de Mme Pintal, la tâche pour y arriver ne sera pas négligeable: "Il faudra réorganiser le budget de l’année prochaine de manière à ne pas démarrer la saison avec un déficit. Ça m’apparaît périlleux, mais nous allons tout faire pour que la situation financière puisse reposer sur des bases aussi solides qu’avant. Cela demandera plus de temps et d’imagination, mais je ne veux pas faire porter aux artistes l’odieux de ce déficit." Selon M. Curzi, les théâtres devront "couper quelque part ou augmenter leur budget de fonctionnement en s’adressant aux gouvernements". Malheureusement, les pressions faites par les théâtres auprès des différentes instances gouvernementales n’ont pas, jusqu’ici, porté fruit. "Ç’aurait été formidable qu’une telle crise agite suffisamment les représentants des gouvernements pour qu’il y ait des reconnaissances, lance Mme Pintal. Je regrette de le dire, mais ça ne marche pas. C’est le statu quo. Il n’y a eu aucune augmentation des subventions."
Confrontés à l’inaction des gouvernements, les théâtres devront forcément restreindre leurs frais. Comment s’y prendront-ils? Les institutions réduiront-elles les distributions ou encore le nombre de spectacles? Augmenteront-elles le prix déjà élevé des billets? "Jusqu’ici, explique M. Curzi, des théâtres ont appliqué l’entente telle que l’esprit de la négociation le prescrivait. Cependant, d’autres, un peu hargneux, ont fait exactement le contraire, c’est-à-dire qu’ils ont soustrait du salaire le total des répétitions." À la barre du TNM depuis 13 ans, Lorraine Pintal s’inquiète de ce qui pourrait se produire dans les années à venir. "C’est peut-être le ressac d’une décision qui nous ébranle un peu, mais nous freinons en ce moment la tenue de répétitions supplémentaires, ces heures d’atelier et d’expérimentation sur lesquelles nous n’avions jamais lésiné. Je ne voudrais pas que la convention nous enlève une certaine liberté. Le danger qui nous guette, c’est l’obligation de réduire les distributions ou le nombre de productions. Tout ça pour des questions de santé financière."
À SUIVRE
Tout en remédiant à une situation qui en irritait plus d’un, la crise a révélé de nombreux problèmes, des questions importantes qui, selon plusieurs, ont été trop longtemps balayées sous le tapis. Plusieurs sont d’avis que, tôt ou tard, la communauté théâtrale et les citoyens en général seront contraints de se pencher sur la place des artistes dans la société. "Nous sommes passés à côté d’une réflexion profonde sur la manière dont on fait du théâtre dans les grandes institutions, estime Mme Pintal. Si la chose ne s’était pas déroulée sur la place publique, dans un état d’urgence et de conflit, je crois que nous aurions été beaucoup plus loin dans la réflexion, que ça aurait été beaucoup plus enrichissant." Pierre Curzi considère également qu’il y a une vaste réflexion à mener: "Des états généraux sur le théâtre au Québec, c’est un incontournable! Nous avons créé la première marche d’un escalier de questions. Qu’est-ce qu’une société comme la nôtre peut s’offrir comme théâtre? Nous aimerions que nos actions entraînent ce genre de débat." Optimiste, Martin Faucher pose un regard très constructif sur les récents événements: "Ce conflit a obligé les artistes à se demander de quelle manière ils veulent pratiquer le théâtre. Je pense qu’il est très sain de se poser de telles questions, même si ça fait bouger les choses, que ça entraîne des changements et bouscule des habitudes." Chose certaine, au cours des prochaines années, artistes, producteurs et dirigeants devront revoir leurs façons d’envisager la pratique théâtrale. S’ils décidaient d’œuvrer de concert, en marchant dans les traces des récentes ententes concernant les acteurs et les metteurs en scène, qui sait quelles merveilleuses réformes pourraient en résulter?