La semaine dernière, j’ai acheté une voiture. Rien d’extravagant. Une familiale "usagée", bas de gamme, mais je freakais quand même un peu, jamais rien acheté d’aussi cher.
Mon père m’accompagnait pour l’essai routier, chez le marchand, un garagiste en Beauce qui, pour arrondir ses fins de mois, revend des voitures qu’il achète à l’encan.
– C’est une ‘tite madame qui avait ça, nous a-t-il affirmé en montrant les traces laissées par un siège de bébé sur la banquette arrière, comme pour me dire: c’est comme neuf, c’est jamais allé en haut de 110 km à l’heure, c’t’affaire-là.
Mon père a souri.
– Un curé, tant qu’à y être?
On a ri, le garagiste aussi, avant d’ajouter: "Non, non, et de toute façon, si c’était un curé, je le dirais pas, les gens, de nos jours, on leur parle de curé, et ils pensent à mal…" On a ri encore et j’ai songé qu’il serait sans doute moins difficile de vendre une voiture ayant appartenu à un Hell’s Angels qu’à un homme d’Église.
Tout ça pour vous dire que je commence à vraiment comprendre – et par là, je veux dire, pas théoriquement, mais pratiquement – pourquoi nous achetons autant. Surtout depuis que j’ai commis mon premier prêt pour acheter cette auto.
La madame de la Caisse était super aimable, jolie en plus, et pas condescendante une seconde. On a fait l’analyse de mon crédit. Deux cartes en plastique, je dois pas grand-chose, je suis réglo dans mes paiements, bref, le crédit est mon ami. Le problème, c’est qu’en sortant de là, avec du fric plein les poches, j’avais l’impression d’être différent.
C’est drôle pareil. Je n’ai jamais autant pensé à la mort, la mienne, que lorsque ma fille est née. Son début, c’était la fin de ce sentiment d’invincibilité qui ne m’avait pas tout à fait quitté depuis l’adolescence. Aussi, comme pour me prouver qu’une chose attire souvent son contraire, je n’ai jamais tant songé à l’humanité et à la perte de sens de nos vies qu’en encaissant tout ce cash. Du vide. Des chiffres sur mon relevé bancaire.
Ce qui nous ramène à la question: pourquoi achetons-nous autant, aussi compulsivement? C’est parce qu’autrement, nous nous sentons parfaitement inutiles.
Autre parenthèse. Je n’ai jamais adhéré à toutes ces conneries de simplicité volontaire, elles sont trop souvent le fruit de petits bourges frustrés qui choisissent de faire de leur sentiment de culpabilité un mode de vie, voire une religion. On parlait de curés tout à l’heure, il y a justement quelque chose de très judéo-chrétien dans ce guilt trip. Fin de la parenthèse.
Non, je ne condamnerai pas tous ceux qui achètent pour acheter parce que je les comprends. Même quand ils vont jusqu’à s’endetter, jusqu’à s’étrangler financièrement. Et cela n’est pas uniquement question de publicité. Ou plutôt si, mais pas comme vous l’entendez. On parle ici d’une publicité culturelle au sens large du terme, des valeurs d’une société telles que vues à la télé.
Car dans un monde qui ne vénère que le succès, la célébrité, la richesse, la jouissance et le divertissement, quelle utilité l’homme moyen trouve-t-il à sa propre existence, sinon celle de contribuer à faire tourner ce monde d’images qui lui écrase pourtant sa médiocrité et son "ordinaireté" à la gueule?
Il n’est pas question de faire le procès du capitalisme ici. Je n’aurais jamais cette prétention, et encore moins cette naïveté. Il est seulement question de regarder par-dessus la bête, voir si, de l’autre bord, il reste encore quelque chose.
C’est comme dans cette chanson du nouveau Souchon qui est un peu la suite logique de Foule sentimentale. Les couplets de cette nouvelle pièce ne sont qu’une étourdissante liste de compagnies d’objets et de vêtements luxueux. Paul Smith, Chanel, Yamamoto, Gucci, Dolce & Gabbana, je cite de mémoire. Et le refrain: "Putain, ça penche! On voit le vide entre les planches."
Ce vide, n’est-ce pas celui que l’on contemple afin d’oublier cette absence de sens qui nous terrorise, M. Souchon?
ooo
C’est la semaine des questions existentielles.
Alors, il paraît qu’on ne peut pas dire qu’une émission regardée par des millions de gens est pourrie, justement parce qu’elle est regardée par des millions de gens? Tiens donc. Et les gouvernements alors? Ils sont pourtant élus par des millions de gens.
Est-ce à dire que le peuple est lumineux quand il regarde la télé, mais qu’il se transforme en sombre conglomérat de tapons quand vient le temps de voter?
En question complémentaire, Monsieur le Président: si les cotes d’écoute des diffusions télévisées de la période de questions à l’Assemblée nationale atteignaient les mêmes sommets que Star Académie, cela nous interdirait-il alors de critiquer le travail des politiciens?
Z’êtes pas obligés de répondre. Je demande juste comme ça.