La balado des gens heureux
Société

La balado des gens heureux

Un portable, un micro, quelques logiciels et un amour contagieux de la musique, c’est tout ce dont a besoin Marie-Chantale Turgeon pour rejoindre chaque semaine des milliers de fidèles. Ne cherchez pas son émission sur les fréquences radio, car elle est baladodiffusée!

Depuis les blogues, le podcasting est assurément la trouvaille la plus prometteuse qu’Internet nous ait donnée. Preuve que le phénomène a quitté les demi-sous-sols glauques des geeks de ce monde, même l’Office québécois de la langue française lui a dégoté un équivalent français: la baladodiffusion. Qu’est-ce que ça mange en hiver? Comparativement à une émission de radio, une émission baladodiffusée est téléchargée en ligne et écoutée à l’aide d’un logiciel de lecture tel qu’iTunes ou d’un lecteur de musique portatif (iPod). L’intérêt du truc? Sa portabilité, mais aussi le fait que le commun des mortels puisse désormais enregistrer ses états d’âme et les diffuser dans les oreilles de l’humanité branchée. C’est que pour entrer dans la famille grandissante des baladodiffuseurs, il ne suffit que d’un microphone, d’un ordinateur et d’un espace sur le Web pour héberger ses créations…

Si les blogues devaient sonner le glas du journalisme, les plus optimistes soutiennent aujourd’hui que la baladodiffusion s’avère une véritable menace pour la radio traditionnelle… Depuis qu’Apple donne accès, grâce à son service iTunes Store, à tout un répertoire d’émissions baladodiffusées, la chose jusqu’ici connue que par un noyau de convertis génère un engouement monstre. Deux jours après l’ajout de la baladodiffusion à iTunes Store, Apple enregistrait un million d’abonnements. Et ça se poursuit. Pas étonnant que de grandes chaînes radio y trempent désormais le gros orteil. La BBC a ses émissions baladodiffusées, ABC Radio et New York Public Radio aussi. La semaine dernière, Espace musique a lancé une version de 60 minutes de son émission de musiques émergentes Bandeapart.fm, entièrement conçue pour la baladodiffusion. "C’est certainement le début de plusieurs aventures", nous confiait, non sans enthousiasme, la directrice générale d’Espace musique, Christiane Leblanc.

QUAND JE PARLE, ON M’ÉCOUTE…

C’est de son appartement, rue des Érables, que Marie-Chantale Turgeon se baladodiffuse. Chaque mois, l’émission de la jeune directrice artistique Web de 30 ans est téléchargée près de 40 000 fois! Ce n’est pas rien, considérant son budget de promotion qui oscille autour de 0 $.

"Quand j’ai commencé à entendre parler du podcasting, raconte-t-elle, je ne comprenais pas trop de quoi il s’agissait. Je pensais que ça prenait un iPod pour en faire!" Après des recherches plus approfondies, Marie-Chantale décidait finalement de tâter du podcast. La première de son émission, intitulée Vu d’ici (www.mcturgeon.com/blog/), était enregistrée le 24 décembre au matin. "C’était fait sur le coin de la table, avec le micro interne de l’ordinateur. En background, on entendait le frigidaire!" dit-elle. Néanmoins, elle a attrapé la piqûre. Au cours des prochaines semaines, Marie-Chantale enregistrera sa cinquantième émission, composée de ses choix musicaux entrecoupés de ses commentaires.

Celle qui se baladodiffuse pendant environ 20 minutes presque chaque semaine, plus souvent dans la langue de Shakespeare que dans sa langue maternelle, profite évidemment de l’engouement actuel créé par iTunes Store. D’autant plus qu’elle est à la barre d’une des rares émissions québécoises baladodiffusées à l’heure actuelle. Elle a donc droit à la gloire des pionnières: son émission a été mentionnée dans le magazine Spin et la jeune femme est régulièrement sollicitée par les médias afin de commenter la baladodiffusion de chez nous…

Évidemment, une telle renommée donne à Marie-Chantale des ambitions mercantiles… "Je suis à la recherche de gens qui seraient prêts à payer pour avoir de la publicité dans mon show, mais en même temps, je ne suis pas prête à vendre n’importe quoi", confie-t-elle.

BALADODIFFUSER POUR L’ARGENT

Cela nous ramène à l’inévitable question: y a-t-il un marché pour la baladodiffusion? Le président du portail Internet Branchez-vous!, Patrick Pierra, avoue l’ignorer. Sauf qu’il s’est suffisamment penché sur la question pour décider de ne pas engager son entreprise dans la production d’émissions baladodiffusées. Et pour plusieurs raisons. "D’abord, avec les podcasts, il est difficile de savoir qui a réellement téléchargé et écouté l’émission", explique-t-il en soutenant l’importance pour les annonceurs de connaître leur "cible". "Aussi, l’instantanéité de la diffusion est un facteur important en publicité radio. Par exemple, les remotes (ces annonces dans lesquelles un animateur nous incite à nous rendre dans tel magasin pour ne pas rater telle promotion) sont conçus pour pousser à l’action immédiate. Or, avec le podcasting, on ignore à quel moment les gens vont écouter, alors on perd ce facteur d’instantanéité", poursuit-il. D’autres ne partagent pas cet avis. Le père de la baladodiffusion, l’Américain Adam Curry, a d’ailleurs mis sur pied Podshow, un réseau qui veut, entre autres, permettre aux baladodiffuseurs de tirer des sous de leur travail…

APRÈS LE SON, L’IMAGE…

La radio traditionnelle doit-elle craindre la baladodiffusion? "Je ne pense pas, soutient Marie-Chantale Turgeon. Je crois même que la radio pourrait en bénéficier. Qu’on le veuille ou non, on invente, on expérimente et on joue avec des choses dont la radio professionnelle pourrait s’inspirer." Celle qui se voit animer son podcast pendant longtemps encore a hâte de voir ce que l’avenir lui réserve… "D’après moi, mon émission va virer en autre chose… Depuis décembre, il y a déjà eu une grande évolution. Chacun de mes shows est meilleur que le précédent. J’essaie de nouvelles affaires, j’expérimente beaucoup." Prochaine étape, le vidéoblogue? "Ça, ça va devenir gigantesque", prévoit Marie-Chantale. Restez à l’écoute…