Société

Ennemi public #1 : Narcisse PQ

Pourquoi André Boisclair aujourd’hui et pas les autres hier? Pourquoi la vie privée d’un politicien prend-elle de nos jours une aussi nauséabonde ampleur, alors qu’autrefois, on s’en fichait éperdument?

Pour une fois, cela n’a rien à voir avec la morale, avec cette recherche de pureté qui marque notre époque. Cela n’a rien non plus à voir avec l’homosexualité du candidat.

C’est plutôt un symptôme. Un mélanome confirmant la présence d’un cancer qui afflige la politique, comme d’ailleurs toutes les sphères du monde public. Et ce cancer, c’est la dictature de l’image, dont le règne se fait invariablement au détriment des idées.

Ou peut-être est-ce l’inverse?

Peut-être est-ce le vacuum laissé par l’absence d’idées qui offre tout l’espace nécessaire au cancer afin qu’il puisse se développer?

Pour vérifier cette hypothèse, la course à la chefferie du Parti québécois pourrait d’ailleurs tenir lieu de parfait exemple. Car de quoi est-il vraiment question dans ce combat d’assoiffés de pouvoir?

De rien.

Le programme est déjà établi, les idées ayant eu leur "saison"; tout est béton, donc aucune véritable discussion ne se tient, de peur de nuire à la cohésion idéologique du Parti. On nage donc dans une obscure guerre de coulisses où tout le monde se fait des jambettes en gardant le sourire, et où la seule question tourne autour d’une date pour tenir un éventuel référendum.

(À ce propos, permettez que je répète une excellente joke, citée par quelqu’un à Radio-Canne l’autre matin… Désolé, j’en ai complètement oublié la source exacte, mais ça va comme suit: Comment fait-on pour partir une chicane à coup sûr au sein du PQ? Facile. Vous n’avez qu’à tous les enfermer dans la même salle avec un calendrier… S’cusez-la.)

Mais où j’en étais déjà?

Au fait qu’il n’y aura aucun débat d’idées dans cette course à la tête du Parti.

Dès lors, tout ce qu’il reste à choisir au PQ, c’est une image, un poster, une gueule.

J’ai peut-être tort, mais si c’est le cas, expliquez-moi une chose: pourquoi se soucie-t-on aussi peu de ce qu’un type comme Louis Bernard a à dire, sinon en raison de son physique extraordinairement ingrat? Pourquoi, lorsqu’il parle, nous pensons au hideux poisson-narrateur de Maelström, le film de Denis Villeneuve, et que, lorsque l’idée d’avoir un jour cet homme à la tête du Québec nous effleure l’esprit, nous frissonnons d’horreur?

Dans le même sens, comment est-il possible que Pauline Marois, qui détient le plus imposant bagage politique de tous les candidats en lice, qui a occupé le premier siège de certains des plus prestigieux ministères lorsque le PQ était au pouvoir, pourquoi cette Pauline Marois-là est-elle reléguée au second rang dans les sondages, sinon pour cause d’âgisme, ou si vous préférez, parce qu’elle représente la vieille garde, ou plus prosaïquement, qu’elle est "passée date"?

Tous ces gens, à part peut-être quelques obscurs purs et durs dans la ribambelle des candidats, partagent les mêmes idées. Ils défendent, à quelques virgules près, le même plan. Sachant cela, qu’est-ce qui peut avoir permis à Boisclair de tenir si tôt le haut du pavé dans cette course, sinon son âge, son sourire chromé, son teint de pêche, ses reluisants complets, ses cravates éclatantes, sa proverbiale assurance et cette aisance à discuter de tout et de rien sur les plateaux de télé?

Certains diront que son brutal succès éclaire surtout la médiocrité de ses adversaires, leur absence de charisme et le peu de confiance qu’ils inspirent. C’est loin d’être con.

Mais reste LA question.

Pourquoi Boisclair aujourd’hui et pas Lévesque, ou Parizeau, ou un autre hier? Parce que Boisclair a su brillamment miser sur l’image, son principal atout, mais que lorsqu’il n’y a QUE l’image, elle doit être infaillible. Sinon, quand celle-ci se fissure, se fend, se brise, c’est tout le reste qui fout le camp avec, formant un splendide spectacle de démolition, semblable à celui qu’offrent ces casinos que l’on dynamite à Las Vegas. Et vous savez comme les médias aiment quand ça explose, quand ça crépite, quand il y a des flammèches et de la boucane.

Pourquoi Boisclair aujourd’hui et pas les autres hier? Parce que Boisclair a passé tellement de temps à admirer son reflet dans le miroir que, hypnotisé par sa propre beauté, il n’a pas su voir les quelques flocons de coke qui traînaient çà et là, en périphérie de son sublime visage.

Un peu comme l’imprudent Narcisse qui, s’extasiant devant son agréable physique dans l’eau de l’étang, y est tombé pour s’y noyer.