Mondovino : Le goût des autres
Dans Mondovino, brûlot du cinéaste Jonathan Nossiter, la planète vin est dépecée vive. Grands conglomérats, œnologues et critiques sont accusés d’avoir tué le vin. Portrait juste ou alarmiste? Trois experts en la matière se prononcent.
Depuis quelques semaines, le Cinéma Cartier présente Mondovino, un film documentaire de Jonathan Nossiter s’attaquant directement au monde du vin. Au cœur du débat, l’uniformisation du goût sous la pression des conglomérats de production, principalement américains, et de leur collusion supposée avec de tout-puissants critiques.
En se situant dans la droite ligne de l’action contre la malbouffe, Mondovino fait mouche. On y dépeint un univers où les traditions se font broyer au profit de l’empire de l’argent. Comme victimes collatérales, il y a nous, les consommateurs forcés de boire des vins de plus en plus semblables. Heureusement, contre l’empire, il y a de la résistance. Ce sont ces deux univers, s’affrontant sur le champ de bataille de la vigne, que présente Nossiter dans son film.
PARFUM D’UNIFORMISATION
Le film est indiscutablement à voir. Il frappe fort et semble frapper juste. Mais il n’en demeure pas moins que Mondovino, sous des apparences de documentaire, est un pamphlet parfois manichéen. Question de voir un peu plus clair dans cet univers à la robe opaque, Voir a fait regarder le film à trois experts du monde du vin en vue de recueillir leurs commentaires. Pour l’occasion, Martin Gosselin (grand ambassadeur du vin, copropriétaire et sommelier de l’excellent restaurant La Fenouillière de Sainte-Foy), Champlain Charest (aussi grand ambassadeur du vin et propriétaire du Bistro à Champlain, qui détient une des caves à vins les plus complètes au Canada), et, finalement, François Chartier (critique de vin et sommelier, qui vient tout juste de publier l’incontournable Sélection Chartier 2006) ont tous trois accepté avec beaucoup de générosité de livrer leurs commentaires sur le film et sur la situation du monde du vin.
Pour illustrer sa thèse de l’uniformisation du goût, Nossiter présente des personnages. D’un côté, Michel Rolland, flying winemaker omnipotent, dépeint comme un personnage fat et suffisant. On le voit à l’intérieur de sa Mercedes avec chauffeur, téléphone portable à la main, dicter à des producteurs de 16 pays la recette pour obtenir un bon vin. Peu importe le vignoble, les solutions sont les mêmes. De l’autre côté, on rencontre de petits producteurs comme Aymé Guibert, qui décrète, la larme à l’œil et les pieds ancrés dans la terre de son vignoble, que le "vin est mort", assassiné par des types comme Rolland. Businessman contre poète, la lutte paraît bien inégale.
GRANDES RÉSERVES
D’entrée de jeu, les trois experts interrogés ont émis de grandes réserves quant à ces portraits dépeints par Nossiter. "Il faut faire attention avec ce film, prévient Martin Gosselin. Il comporte de grandes qualités, mais il dresse un portrait alarmiste. C’est vrai qu’on assiste à une uniformisation des techniques de production des grands vins, mais c’est bien souvent pour le mieux." Même son de cloche de Champlain Charest: "Il ne faut pas oublier qu’on fait des vins pour rendre les gens heureux quand ils le boivent. J’ai débuté dans le vin en 1964. Je vais vous dire, en général, on boit de bien meilleurs vins aujourd’hui que dans les années 50!"
Il faut dire que l’œnologie moderne permet maintenant beaucoup. Michel Rolland propose une recette: vendanges plus tardives, fûts de bois neufs et micro-oxygénation du vin. Ces manipulations produisent des vins plus ronds en bouche qui plaisent aux consommateurs. Avec le temps, ces techniques se sont propagées. Un dialogue d’experts s’est engagé entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Et, effectivement, au cours du processus, le goût du vin s’est unifié. "Ce n’est pourtant pas d’hier que ce processus est enclenché, précise Champlain Charest. Déjà, à la fin des années 50, Émile Penaud avait entrepris ce type de manipulation. C’est injuste d’accuser Michel Rolland de la sorte. Il a fait énormément pour la qualité des vins."
VINS DE MARQUES
Force est d’admettre, quand on se rend en succursale de la SAQ, que les vins ronds, boisés et au taux d’alcool élevé (qui confère un goût sucré) sont légion. Huit cépages – dont le merlot, le cabernet-sauvignon, le chardonnay et le grenache – sur les milliers existants composent maintenant plus de 80 % des vins offerts. Pas étonnant, dès lors, que Nossiter parle d’uniformisation du goût.
Pour François Chartier, Mondovino, en ne traitant que des grands vins, n’atteint pas le fond du problème. Le nœud se situerait plutôt dans la gamme des vins vendus pour moins de 20 $. C’est dans ce registre moins cher que l’on voit apparaître des vins auxquels, par exemple, on a ajouté des copeaux de chêne pour reproduire le goût vanillé du bois neuf.
À écouter les experts en la matière, qui rejoignent ainsi Nossiter dans sa critique, le vin est devenu parfois plus une affaire de marketing que de vignerons. Certains groupes vont jusqu’à créer une marque de commerce – bouteille, étiquette, campagne publicitaire et public cible – pour ensuite demander au producteur de leur fournir un vin qui répond à cette image. Goût sucré, rond en bouche, facile à boire sont les caractéristiques recherchées pour plaire à un public jeune qui a grandi dans l’amour du sucre. Le Little Penguin, récemment arrivé en succursale, en est l’exemple typique. "Mondovino est le film parfait pour envoyer un message, souligne Chartier. Il faut surtout faire attention à la banalisation du goût. On retrouve maintenant des vins de marque qui veulent calquer les grands vins et, ce faisant, ajoutent de la poudre de perlimpinpin pour maquiller leur goût original. C’est là qu’il faut dire non!"
ÉTAT DE NOTRE MARCHÉ
C’est bien connu, les Québécois sont parmi les plus curieux au monde en matière de vin. "La SAQ fait un excellent travail pour offrir les vins de nombreux pays, souligne Martin Gosselin. C’est extraordinaire d’avoir accès à autant de vins provenant d’autant de régions différentes. Nous sommes choyés. Vous tenterez de trouver un vin argentin dans la région de Bordeaux, je vous souhaite bonne chance!"
Au-delà de la qualité de sa sélection, les administrations successives ont grandement modifié les pratiques commerciales de la société d’État. On tient maintenant moins de stocks. Les achats sont centralisés. On prévoit au siège social quel vin doit être vendu dans chaque succursale. Et, surtout, on fait de plus en plus de place aux maisons qui promettent de payer pour faire la promotion de leur vin. "Je trouve dommage que la SAQ ouvre indirectement les valves à des vins de marque, se désole François Chartier. Avec ces nouvelles politiques, les distributeurs qui ont beaucoup d’argent à mettre en promotion seront privilégiés sur le marché. On risque ainsi d’écarter de petits producteurs très intéressants qui ne pourront pas concurrencer les machines de marketing des grands groupes. Au bout du compte, c’est le consommateur qui est perdant. Il achète des vins dont trois ou quatre dollars du coût de la bouteille vont au budget de promotion plutôt qu’à la qualité du vin."
Heureusement, il semble que le consommateur québécois soit beaucoup plus lucide que l’on veut bien le croire. Malgré les fortunes dépensées en promotion, le Little Penguin ne semble pas atteindre ses objectifs de vente, et on parle de le retirer de certaines succursales. Reste à parier que ceux qui iront voir Mondovino seront encore plus critiques par rapport à ce qu’ils boiront…
À l’affiche au Cinéma Cartier
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