Tournée des cimetières : Soirée de la mort
Société

Tournée des cimetières : Soirée de la mort

Au diable les veillées costumées aux thématiques nébuleuses. La fête des morts, ça se célèbre avec les morts. Voici donc quelques choix de sorties pour aller festoyer comme il se doit auprès des disparus, en cette glorieuse nuit de  l’Halloween.

Les portiers offrent généralement bien peu de résistance. La musique n’y est jamais trop forte. L’endroit est très rarement bondé et l’ambiance y est toujours décontractée, particulièrement les soirs de fête. Et pour la fête des morts, les esprits de quelque 80 milliards d’êtres humains ayant naguère vécu ici-bas reviennent se remémorer les bons souvenirs de la vie sur terre. 80 milliards. Cela doit occasionner toute une bamboula! Voyons voir de quel bois se chauffent les locataires de quelques-uns des plus beaux cimetières de la ville.

CIMETIÈRE MOUNT HERMON (1801, CHEMIN SAINT-LOUIS)

Selon le règlement affiché à l’entrée, daté de mai 1851, il est notamment interdit de monter à cheval et de fumer en ce féerique lieu de sépulture aménagé en 1848. Amendes salées et emprisonnement sont d’ailleurs à craindre pour ceux et celles ne pouvant contenir leurs pulsions équestres ou pulmonaires! Mais le risque en vaut pleinement la chandelle puisqu’il s’agit sans doute du plus beau cimetière de la région. Tout en relief et offrant un point de vue splendide sur le fleuve et la rive sud, le lieu abrite une flore variée, y compris de très vieux spécimens d’arbres se mariant parfaitement aux aménagements funèbres éclectiques et d’un grand cachet. On y trouve entre autres les restes de nombreux politiciens du XIXe siècle, en plus des dépouilles de victimes du naufrage de l’Empress of Ireland, qui sombrait au large de Sainte-Luce en mai 1914. Probablement le lieu de repos éternel le plus romantique, Mount Hermon est idéal pour faire de galantes rencontres ou se balader en amoureux, au milieu de quelques cyclistes profitant du délectable dénivelé.

CIMETIÈRE SAINT-MATTHEW (755, RUE SAINT-JEAN)

Le plus urbain des cimetières est également un des plus vieux au Québec. Situé aux abords de la très animée rue Saint-Jean, ce cimetière protestant fut en service de 1771 à 1860. Y reposent plusieurs victimes de l’épidémie de choléra ayant frappé la ville en 1847, quelques hauts gradés de l’armée d’alors, de même que le frangin d’un auteur britannique inconnu. Au-delà de sa position géographique de choix, l’avantage principal de l’endroit réside en la présence de nombreux bancs, particulièrement appréciés lorsque l’on constate la quantité phénoménale de chiens de compagnie que l’on y emmène pour qu’ils s’y soulagent. En plus de posséder un excellent potentiel d’animation à toute heure du jour et de la nuit, le lieu compte aussi un éventail sans bornes de clientèles, alors que punks, gothiques, hippies, touristes et autres noctambules de tout acabit s’y mêlent dans un bel esprit d’ouverture et de tolérance.

CIMETIÈRE SAINT-MICHEL-DE-SILLERY (2041, BOUL. RENÉ-LÉVESQUE OUEST)

À proximité de la ligne Métrobus et des laboratoires Anapharm, le cimetière Saint-Michel-de-Sillery surprend d’abord par sa disposition en cercle, rappelant les étranges motifs laissés au sol par des soi-disant extraterrestres dans la région de Nazca, sur la côte sud du Pérou. Mais au lieu des contacts avec d’autres galaxies, l’endroit inspire plutôt la causerie avec de grands penseurs disparus, servant de dernier repos à nul autre que René Lévesque, ancien premier ministre du Québec décédé le 1er novembre 1987. Il n’est donc pas rare d’y croiser de mystérieux intellectuels, la pipe au bec ou le foulard au vent, philosophant en petits groupes, arpentant pensivement l’allée circulaire ou déposant en offrande sur la tombe de l’homme d’État un succulent Player’s filtre. Seuls désagréments possibles: l’errance occasionnelle de quelques cobayes embrumés fraîchement libérés des voûtes d’Anapharm, ou les épisodiques prises de bec avec de sympathiques néo-skinheads à la recherche du cimetière Beth Israël, situé juste en face.

CIMETIÈRE BELMONT (2176, AVENUE CHAPDELAINE)

Enfin, le dernier et non le moindre, le grandiose et dédaléen cimetière Belmont. Visité le jour par plusieurs adeptes de jogging, de vélo ou de simple promenade en nature, l’endroit abrite aussi une impressionnante et peu farouche colonie d’écureuils, de même qu’un spécimen de corbeau étonnamment loquace. Mais c’est au cœur de la nuit, idéalement en solitaire, que la balade s’y avère la plus mémorable. C’est lorsque la brise se lève doucement, quand les nuées de feuilles mourantes frémissent et que la lune débordante s’étire doucement entre deux nuages, que parviennent aux oreilles certains susurrements inhabituels. Idéal pour les blind dates.