David Suzuki : L'homme qui en sait beaucoup
Société

David Suzuki : L’homme qui en sait beaucoup

Pour le peuple autochtone Kwagiulth, David Suzuki est "l’homme qui en sait beaucoup". Pour le reste du monde, il est un des environnementalistes les plus célèbres. Et pour nous, il était de passage à Montréal la semaine dernière…

En 1976, le Parti Québécois prend le pouvoir pour la première fois, faisant résonner le discours souverainiste d’un océan à l’autre. De sa Colombie-Britannique natale, un prof de zoologie s’inquiète. "Je me suis demandé comment faire pour prouver aux Québécois que nous [les autres Canadiens] tenions à eux, raconte David Suzuki. La moindre des choses, me suis-je dit, c’était d’apprendre le français." C’est ainsi que la famille Suzuki atterrit à Chicoutimi pour un stage d’immersion dans la langue de Molière. "C’était toute une expérience, se remémore l’illustre écolo. Tout le monde, que ce soit nos professeurs ou les gens dans la rue, était séparatiste et nous traitait comme de la bullshit!"

On connaît la suite. Le camp du "Non" l’emporte au référendum de 1980 pendant que David Suzuki oublie ses notions de français. Ce qui ne l’a pas empêché de revenir faire son tour dans la Belle Province à de multiples occasions.

Justement, le Dr Suzuki était à Montréal, il y a quelques jours, pour présenter la version française de son dernier ouvrage et prononcer une grande conférence sur les changements climatiques, en duo avec Hubert Reeves. Suzuki, généticien spécialiste de l’infiniment petit, et Reeves, astrophysicien expert de l’infiniment grand. Quelque part entre ces extrêmes, les deux sages partagent une même préoccupation: l’avenir de notre planète.

DAVID SUZUKI, UNE VIE

Enfant durant la Deuxième Guerre mondiale, David Suzuki traverse l’âge des culottes courtes dans un camp, en Colombie-Britannique, où sont internés les Canadiens d’origine japonaise tels que lui. C’est à cette époque qu’il cultive son intérêt pour la nature.

Devenu plus tard docteur en zoologie, il décroche en 1962 son premier emploi en tant que professeur de génétique à l’Université de l’Alberta. "J’envisageais une carrière dans le domaine de la génétique, mais en 1962, une femme nommée Rachel Carson a publié un livre, Silent Spring, qui traite des conséquences désastreuses du DDT (un puissant pesticide). Ce livre a lancé le mouvement environnemental. Personnellement, il m’a fait réaliser que si les scientifiques pouvaient être suffisamment brillants pour inventer le DDT, les labos étaient loin du monde réel. Lorsqu’on répand du DDT dans le monde réel pour tuer les insectes nuisibles, on affecte aussi les poissons, les oiseaux et les êtres humains. Car dans le monde réel, tout est interrelié."

David Suzuki consacrera les années suivantes à la cause écologiste, faisant de l’éducation populaire son principal cheval de bataille. À la barre depuis 1979 de l’émission de télévision The Nature of Things (CBC), qui vulgarise les sciences de la vie, sa crédibilité et sa notoriété ont fini par faire de lui l’un des plus influents ambassadeurs de la Terre.

Également professeur à l’Université de Colombie-Britannique jusqu’en 2001, David Suzuki s’est vu décerner, au cours de sa carrière, suffisamment de doctorats honorifiques, de médailles et de prix pour tapisser un mur entier. Fondateur de la David Suzuki Foundation, un organisme comptant plus de 40 000 membres et dont l’objectif est d’arriver à vivre dans un Canada "durable" d’ici une génération, l’homme de 69 ans songe aujourd’hui à ralentir ses activités. De son parcours de scientifique/activiste, il dresse un bilan mi-figue, mi-raisin. "La planète dont hériteront mes petits-enfants n’est pas en très grande forme, admet-il. Mais j’ai la satisfaction d’avoir fait du mieux que j’ai pu. C’est ce que chaque être humain devrait faire."

L’ARBRE, UNE VIE

Dans L’Arbre, une vie (Boréal), le plus récent livre de David Suzuki, l’environnementaliste raconte rien de moins que la biographie d’un arbre. "Je suis un spécialiste des animaux, explique-t-il. Je n’ai jamais vraiment pensé aux plantes. J’ai lutté pour que cessent les coupes à blanc dans les forêts, mais c’était surtout pour protéger les écosystèmes dans leur ensemble. Jamais je n’ai réellement pensé aux arbres en tant qu’individus. Or, j’observais un jour un sapin de Douglas qui pousse sur ma propriété et je me rappelle avoir été étonné par sa forme étrange. En observant cet arbre de plus près, on se rend compte que pour pouvoir pleinement le comprendre et l’apprécier, il faut retourner au début des temps. Au Big Bang, puis au commencement de la vie sur Terre. Il faut comprendre comment les algues ont quitté les océans pour envahir la surface terrestre. Il faut découvrir comment elles se sont élevées au-dessus du sol. Bientôt, on réalise que ce simple arbre est lié à toute chose. Cet arbre est un miracle qui nous relie tous."

Ce principe voulant que la nature soit une multitude d’éléments interreliés, David Suzuki s’en est fait un des meilleurs porte-parole. Il y a d’ailleurs déjà consacré un livre, L’Équilibre sacré (Fides). "Nous, les humains, avons l’impression d’être coupés de la nature, dit-il. Nous pensons que nous vivons à l’extérieur du monde. La chose la plus importante pour nous est l’économie et nous la croyons essentielle à nos vies. C’est ridicule. Nous vivons dans une biosphère qui dépend d’eau et d’air purs, de sols propres et des autres espèces vivantes. C’est ce qui rend la vie sur Terre possible."

SUR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Le 26 octobre dernier au Palais des Congrès de Montréal, devant plus de 3000 personnes, David Suzuki et Hubert Reeves ont parlé de changements climatiques. Une sorte de préambule informel à la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques qui se tiendra à Montréal à la fin novembre. Suzuki, le premier Canadien à avoir possédé une voiture hybride, s’intéresse depuis belle lurette à cet enjeu majeur. Il déplore d’ailleurs le faux débat que créent les médias autour de la question: "Les preuves entourant l’existence des changements climatiques sont accablantes, lance-t-il. Ce sont les médias qui créent la controverse autour de la question. Si vous faites un reportage sur le réchauffement climatique, vous devez interroger un spécialiste pour vous dire que le phénomène est sérieux, et un autre qui vous dira qu’il n’existe pas de preuves convaincantes. Or, il y a peut-être 10 ou 15 scientifiques dans le monde qui soutiennent cette dernière thèse, alors que des milliers d’autres s’entendent pour dire qu’il faut agir."

Agir, oui, mais le scientifique ne croit pas que la science puisse répondre à tout lorsqu’il est question d’enjeux environnementaux. "La science est très bonne pour poser des questions et décrire des problèmes, mais elle est bien mauvaise pour donner des solutions, dit-il. La nature est si complexe et nos technologies, tellement rudimentaires…"

Pour lui, les gouvernements auraient la possibilité de faire avancer les choses s’ils s’y engageaient sérieusement. Malheureusement, il constate que les trois grands partis fédéraux demeurent obnubilés par une théorie qui les limite dans tout: la croissance. "On ne peut pas avoir un développement ininterrompu. Même si on le dit durable…"