J’ai presque envie de changer d’idée. Ce sera pas une première, dites-vous? Z’avez bien raison. Prenez le retour d’Andrée Boucher en politique municipale. Au départ, je trouvais ça marrant. Maintenant, je suis comme pas sûr s’il faut en rire ou juste brailler.
Mais cela n’a rien à voir avec le sujet de cette chronique, qui est en fait un retour sur celle de la semaine dernière qui, elle, traitait des radios commerciales et de la sortie de Pierre Lapointe à leur sujet.
Ces radios, vous disais-je, c’est la même chose que du détergent à vaisselle: il faut que ça sente bon le printemps et la joie de vivre, que dans les focus groups, tout le monde trouve ça génial, parce qu’il faut faire plaisir au plus grand nombre possible pour ensuite faire plaisir aux actionnaires en faisant rentrer le cash. Et la musique n’y est qu’un produit de consommation comme tous ceux qu’on vous y vend pendant les pauses.
Je vous disais aussi que c’est pas très grave. Qu’il existe des alternatives, suffit d’avoir un peu envie de changer d’airs.
Mais là, comme je le laissais entendre en intro, si j’ai presque envie de changer d’idée à ce sujet, c’est surtout la faute à mon dépanneur, à mon épicier, au resto où je commande du poulet, aux centres d’achats: à tous ces endroits où nous sommes captifs, et où on en profite pour nous polluer.
Quelle pollution? Dany Bédar en faisant mon épicerie, Star Ac en payant mon gaz, Joe Dassin en feuilletant des revues, Linda Lemay sur la ligne de mise en attente alors que je veux seulement me faire livrer un hot chicken, Village People en me cherchant un veston pas trop moche.
Remarquez, il y a une logique dans tout cela: la musique et l’objet de consommation, encore tendrement entrelacés. Ainsi, pour pousser la symbolique un peu plus loin, à force d’acheter des bidules, j’ai fini par connaître toutes les paroles de la chanson d’Annie Villeneuve (ou est-ce Suzie? C’est laquelle, la blonde?) sans l’avoir jamais écoutée de mon plein gré. Vous trouvez ça drôle? Ça paraît que c’est pas vous qui vous faites prendre à fredonner inconsciemment l’insipide refrain "tombée à l’eau, tomber de haut".
Donc je change d’idée, ou enfin, je nuance un peu. Comme dirait l’autre: l’homme est par nature un peu toton, mais finalement, c’est parfois la radio qui le corrompt.
Plus sérieusement, certains d’entre vous me reprochent souvent une vision un peu étriquée, pour ne pas dire manichéenne de la culture, comme s’il n’y avait que la bonne et la mauvaise. C’est le cas de l’excellent (je le dis sans sarcasme aucun) Yves Bolduc, qui écrivait sur notre site Internet: "Moi, j’ai beaucoup de difficulté à comprendre pourquoi il faudrait toujours n’être qu’un inculte ou une élite. Moi, j’aime la musique. Des fois, c’est assez mainstream, des fois, c’est plutôt comfort, comme dans comfort food. Des fois, j’ai le goût d’écouter cent fois la même criss de toune, d’autres fois, je ne veux que me faire surprendre. Vous savez, c’est un peu comme dans l’amour. La routine, c’est bien et la nouveauté, ça l’est aussi. Mais est-ce mieux?"
En ce qui concerne la dernière question, je ne répondrai qu’en la présence de mon avocat, mais pour le reste, vous avez bien raison, M. Bolduc. Je l’avoue, je suis un peu facho sur les bords en ce qui concerne la musique. Aussi, vous auriez pu ajouter qu’on peut faire dire à peu près n’importe quoi à n’importe quelle œuvre.
Cela me rappelle le roman de Bret Easton Ellis, American Psycho, où le narrateur discourt avec force détails sur les pires merdes pop des années 80 comme s’il s’agissait d’inoubliables œuvres d’art. Un exemple, à propos de Genesis: "Invisible Touch (Atlantic, 1986) est sans conteste le chef-d’œuvre du groupe. C’est une méditation épique sur l’intangible, qui parallèlement approfondit et enrichit la signification des trois albums précédents. Il possède une qualité de résonance qui ne cesse de hanter l’auditeur, et la musique en est si belle qu’il est presque impossible de s’en arracher, car chaque chanson nous parle, d’une manière ou d’une autre, de l’inconnu, de la distance qui sépare les êtres (Invisible Touch), mettant en cause les rapports de domination et d’aliénation, que ce soit le fait d’amants ou d’états autoritaires (Land of Confusion) ou par la répétition des mots sans signification (Tonight, Tonight, Tonight). [Cet album] est à placer au rang des meilleures créations de rock’n’roll de la décennie…"
Les critiques du All Music Guide, une référence plutôt fiable, ne sont pas de cet avis, laissant simplement entendre que s’il s’agit "de leur meilleur vendeur, sa valeur artistique est pour le moins discutable (…), sachant ce dont ce groupe est capable".
Tout ça pour vous dire à quel point ce débat est parfaitement vain, et que, comme me le reprochait un autre lecteur la semaine dernière, ma chronique, comme la sortie de Lapointe, tenait finalement de la luthomiction.
Pour votre culture, la bonne: lutho, c’est pour violon, et miction, c’est pour pisser dedans.